Sans tambour ni trompette, mais avec la petite gêne qui convient quand on abandonne une promesse électorale, le gouvernement Legault a fait savoir qu’il renonçait à réformer le mode de scrutin. Non seulement le projet de loi 39 mourra au feuilleton, mais la réforme électorale ne fera plus partie du programme de la Coalition avenir Québec (CAQ).

L’idée du scrutin proportionnel est morte, tuée – comme d’habitude ! – par des députés d’arrière-ban du parti au pouvoir qui ont toujours une peur bleue de changer le mode de scrutin qui les a fait gagner. Imaginez, quelques-uns pourraient perdre leur siège au profit d’un député « de liste » choisi pour rétablir un peu d’équilibre entre le vote populaire et le nombre de sièges. « Même pas un vrai député », les entend-on murmurer…

À la décharge de M. Legault, il n’est pas le premier à abandonner cette idée. Presque toutes les provinces canadiennes ont jonglé avec une réforme d’une forme ou d’une autre pour ensuite la rejeter, parfois même par référendum.

Au Québec, René Levesque l’avait promise. Son ministre Robert Burns avait accouché d’un excellent livre vert sur la question. Puis l’idée de la réforme fut abandonnée devant le peu d’enthousiasme du caucus péquiste.

À Ottawa, Justin Trudeau s’était aussi fait élire en promettant une réforme du mode de scrutin, mais elle était tout à son avantage et plutôt pernicieuse : il proposait le scrutin préférentiel, dans lequel les électeurs notent leur préférence (premier, deuxième, etc.) pour chacun des partis. Ce qui est idéal pour un parti de centre, comme les libéraux fédéraux, qui ont des adversaires autant à droite qu’à gauche.

Le gouvernement Legault n’a pas tort de dire qu’avec la pandémie, il aurait eu l’air déconnecté de présenter une telle réforme à ce moment-ci. Mais rien ne l’empêchait de la remettre à plus tard, de la garder dans son programme, sans l’abandonner complètement. Ce faisant, il prouve qu’il n’en veut tout simplement pas.

Les plus cyniques diront : pourquoi le voudrait-il quand les sondages actuels, à neuf mois du scrutin, lui permettent d’espérer obtenir près de 100 députés sur 125 lors du prochain scrutin ?

Sauf que l’histoire récente du Québec démontre qu’obtenir près d’une centaine de sièges à l’Assemblée nationale peut être une bien mauvaise chose pour un parti politique. Appelons ça la « malédiction du deuxième mandat fort ».

Depuis la Révolution tranquille, c’est arrivé deux fois – et au même premier ministre. En 1973, Robert Bourassa l’avait emporté avec 102 siège sur 110 pour gagner son deuxième mandat. En 1989, toujours sous Robert Bourassa, les libéraux gagnaient 92 sièges dans une Assemblée nationale de 125 députés.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE

Robert Bourassa

Et que s’est-il passé alors ? Les deux fois, non seulement les libéraux n’ont pas réussi à obtenir un troisième mandat (en 1993, M. Bourassa avait quitté la politique pour des raisons de santé pour être remplacé par Daniel Johnson fils) mais ils ont subi une défaite majeure aux élections suivantes.

En 1976, à la surprise générale, René Lévesque battait les libéraux de façon décisive, son caucus passant d’un maigre 6 députés à 71. En 1994, Jacques Parizeau l’emportait avec 77 sièges alors que les libéraux n’en avaient plus que 47, soit 45 de moins qu’aux élections précédentes.

Mais revenons au « deuxième mandat fort ». Après une éclatante victoire, c’est la nature humaine, on se croit invincible et installé au pouvoir pour longtemps. Rapidement, c’est presque inévitable, un certain relâchement s’installe : un peu plus de nominations partisanes, des politiques de subventions moins rigoureuses surtout si des amis sont en cause, des efforts démesurés sur le financement du parti, etc.

Mais surtout, quand on a une centaine de députés, il est inévitable que cela fasse des mécontents avec autant de concurrence pour les nominations. Pas seulement pour les postes de ministres. Souvent, les rancunes les plus grandes sont pour les postes moins prestigieux qui viennent avec une bonification salariale : présidence de commission parlementaire, etc.

Un député mécontent, ça peut se mettre à parler en mal de ses collègues, des conseillers du chef et, inévitablement, cela va trouver une oreille compatissante quelque part à la tribune de la presse parlementaire.

Avec le temps, les partis de l’opposition se relèvent de leur défaite et commencent à être plus en plus en mesure de se faire entendre par la population. Une incartade parfois bénigne peut être gonflée jusqu’à devenir un grand scandale.

Ainsi, la petite équipe de six députés du Parti québécois entre 1973 et 1976 a si bien fait son travail d’opposition qu’à la fin de son second mandat, Robert Bourassa était vu comme un politicien faible et corrompu – pour des choses dont on ne se souvient plus aujourd’hui. Surtout, elles ne l’auront pas empêché de redevenir premier ministre moins d’une décennie plus tard.

Mais M. Bourassa, et deux fois plutôt qu’une, a goûté aux plaisirs ambigus de gérer un caucus d’une centaine de députés. Dommage qu’il ne soit plus là, il aurait pu en parler à François Legault.

Dans une version précédente de cette chronique, il était indiqué qu'en 1989, le Parti libéral avait fait élire 99 députés dans une Assemblée nationale de 122 députés, ce qui est inexact. Nos excuses.