(Québec) Avec l’appui de François Legault, Christian Dubé maintient la ligne dure et n’a pas l’intention d’aller plus loin dans les amendements apportés mardi à son imposant projet de réforme, malgré l’insatisfaction de six ex-premiers ministres. Libéraux et péquistes lui demandent au contraire de les écouter.

Le ministre de la Santé a présenté une série d’amendements pour donner plus de pouvoirs aux conseils d’administration d’établissement (qui seront remplacés dans sa réforme par des conseils d’établissement) et clarifier le processus d’octroi de dons à des fondations. Cette sortie survient après que six ex-premiers ministres du Québec ont fait pression sur M. Dubé pour qu’il apporte des modifications à sa réforme.

Or, les aménagements proposés ne satisfont pas les anciens élus, qui ont choisi de s’adresser directement à François Legault mardi. Dans une lettre ouverte, publiée dans plusieurs médias mercredi, ils s’opposent à ce que les centres hospitaliers et les instituts universitaires soient « fusionnés » à Santé Québec, nouvelle société d’État que vient créer la réforme Dubé.

La missive est signée par Pauline Marois, Lucien Bouchard, Jean Charest, Philippe Couillard, Daniel Johnson et Pierre Marc Johnson.

« Nous, on pense que ce qui est proposé par Christian [Dubé], ça permet de protéger l’argent qui est ramassé par la recherche et où va aller cet argent-là, mais on veut absolument protéger le pouvoir du ministère de la Santé, éventuellement de Santé Québec », a soutenu le premier ministre Legault à son arrivée à la période des questions, mercredi. « Ce n’est pas vrai qu’en fin de compte, c’est le conseil d’administration qui va décider, disons à l’Institut de cardiologie, qu’est-ce qu’on se donne comme priorité », a-t-il ajouté.

Talonné à la période des questions, François Legault a évoqué « la résistance » aux changements de certains conseils d’administration au sein d’instituts et des centres universitaires pour garder leur « petit pouvoir ».

À son arrivée au Parlement mercredi, le ministre Dubé a fait essentiellement savoir qu’il n’apporterait pas de nouveaux changements à sa réforme. Il a réaffirmé qu’il avait l’appui du premier ministre pour aller de l’avant avec la création de Santé Québec. Le projet de loi 15 vient créer cette nouvelle société d’État, qui deviendra l’employeur unique du réseau de la santé et des services sociaux.

« J’ai dit à M. [Lucien] Bouchard, j’ai deux objectifs, soit d’améliorer la coordination dans le réseau et, en même temps, je suis prêt à bouger sur les fondations pour les protéger. Est-ce qu’on s’entend sur tout ? La réponse, c’est non », a fait valoir M. Dubé, rappelant qu’il devait « trouver un équilibre pour le patient ».

Le ministre Dubé expliquait la veille vouloir trouver « un compromis correct » qui n’allait pas « dénaturer » son projet de loi pour maintenir son objectif d’améliorer la coordination entre les établissements (par l’entremise de Santé Québec) et arriver en même temps à « protéger l’identité de ces groupes-là ».

« Ce qui marche, il faut le préserver », dit Bouchard

En entrevue au 98,5 FM, l’ancien premier ministre Lucien Bouchard a affirmé que les centres hospitaliers et les instituts universitaires « ne seront plus ce que c’était » si la réforme Dubé va de l’avant dans sa forme actuelle. « Une institution [possède] une âme. On pense – en tout cas, c’est mon impression et plusieurs personnes la partagent – qu’on va venir désâmer ces institutions-là », a-t-il soutenu.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Lucien Bouchard, ex-premier ministre du Québec

Selon M. Bouchard, « on va démotiver des gens qui sont du côté de l’excellence et qui sont capables, avec une corporation qui a des pouvoirs décisionnels et un vrai conseil d’administration, d’arrimer les soins cliniques, la recherche, l’enseignement et l’innovation ».

« Du jour au lendemain, il n’y a pas de vrai conseil d’administration. Les pouvoirs qui sont là sont délégués, d’autres sont seulement consultatifs, et puis, ça vient d’en haut, unique », a-t-il poursuivi au micro de Paul Arcand, rappelant que « ce qui marche, il faut le préserver ».

Ils deviennent une simple case dans une immense structure qui va employer peut-être au-delà de 300 000 [personnes]. [Santé Québec] va être le plus grand employeur au Canada. Est-ce qu’on pense qu’il va y avoir de l’efficacité là-dedans ?

Lucien Bouchard. ex-premier ministre du Québec

M. Bouchard n’était pas disponible pour accorder une entrevue à La Presse, mercredi.

Remous à l’Assemblée nationale

Cette sortie rarissime a provoqué des remous dans les corridors de l’Assemblée nationale. « Je n’ai jamais vu Lucien Bouchard s’allier à Jean Charest. Je n’ai jamais vu Pauline Marois s’allier à Philippe Couillard », a lancé le député libéral André Fortin.

« C’est un précédent important et ils ne le font pas parce que ça leur tente, […] ils le font parce que c’est majeur et que ça va avoir un impact majeur sur les patients. Il est là, l’enjeu », a ajouté le député de Pontiac, qui estime que M. Dubé « se doit de les écouter ». Selon lui, les changements apportés par M. Dubé demeurent « la même bébelle » avec un nouveau nom.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

André Fortin, député libéral

Mardi, M. Dubé a proposé que « les fonctions et les pouvoirs » des conseils d’administration relatifs à « l’enseignement, à la recherche et à l’innovation » soient délégués aux conseils d’établissement et non à Santé Québec. La dénomination « conseils d’établissement », prévue initialement au projet de loi, serait remplacée par « conseils d’administration d’établissement » afin de refléter leurs nouvelles fonctions, a-t-on indiqué. Les pouvoirs relatifs aux activités philanthropiques seraient plutôt confiés aux PDG de l’établissement.

Une réforme « centralisatrice »

Tout comme le Parti libéral, le Parti québécois estime que le ministre Dubé s’apprête à commettre « une erreur majeure » qui aura « des impacts pendant des années et des années ».

« La machine bureaucratique veut absorber des centres universitaires, des instituts de recherche qui fonctionnent dans un but de centralisation, et on sait que ça va créer une espèce de sclérose de ces centres de recherche là et c’est ce qu’il faut à tout prix éviter », a déploré le député péquiste Joël Arseneau. Il demande à M. Dubé de « créer une catégorie particulière » pour ces huit établissements.

« Notre préoccupation, la première, c’est que le monde au Québec ait des soins de santé », a exprimé le chef parlementaire de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois. « [Il faut que] le système ne soit pas un monstre bureaucratique ultracentralisé. Il faut qu’il y ait une forme de pouvoir local », a-t-il ajouté, indiquant qu’il faut que « l’espace » entre le soignant et le gestionnaire « arrête de s’agrandir ».

« Cette distance n’a pas arrêté de s’agrandir au cours des 10, 15 dernières années à cause des réformes de ces premiers ministres-là qui veulent nous donner leurs opinions aujourd’hui », a-t-il rétorqué.

Avec Tommy Chouinard, La Presse