Des amendements proposés par le ministre de la Santé à son projet de loi sont insuffisants aux yeux des anciens élus

(Québec) Dans une sortie rarissime, six ex-premiers ministres critiquent d’une seule voix la réforme de Christian Dubé. Ils s’adressent même directement à François Legault, insatisfaits des amendements présentés mardi par le ministre de la Santé.

Le bureau du premier ministre a confirmé avoir reçu une lettre signée par six anciens premiers ministres en milieu d’après-midi, mardi, peu après que le ministre Dubé eut présenté une série d’amendements pour ajuster à nouveau son projet de loi 15, qui vise à rendre plus efficace le réseau de la santé et des services sociaux.

Au centre de ses propositions : donner plus de pouvoirs aux futurs conseils d’établissement qui remplaceront les conseils d’administration et clarifier tout le processus d’octroi de dons aux fondations. Cette sortie de Christian Dubé n’est pas étrangère aux pressions faites par les anciens premiers ministres, d’abord rapportées par Radio-Canada. M. Dubé a d’ailleurs confirmé mardi avoir eu des « discussions » avec certains d’entre eux.

« Un ou une première ministre m’a dit : ‟Allez le plus loin possible […] en ne dénaturant pas votre projet de loi.” Puis, ça m’a enligné parce que ces premiers ministres à qui j’ai parlé sont assez respectueux du travail d’un ministre. Ils sont capables de dire : ‟Écoutez, on vous passe le message, mais on n’a pas besoin de savoir vous allez faire quoi demain matin” », a résumé M. Dubé en mêlée de presse mardi.

Or, une source près du dossier a confirmé à La Presse que la missive a été envoyée après qu’ils ont pris connaissance des amendements proposés par le ministre, puisque ceux-ci ne sont pas suffisants, selon eux. La lettre est datée du 24 octobre 2023 et adressée uniquement au premier ministre François Legault. Elle est signée par Pauline Marois, Lucien Bouchard, Jean Charest, Philippe Couillard, Daniel Johnson et Pierre Marc Johnson.

Comme vous le savez, nous ne sommes jamais intervenus ensemble avant aujourd’hui. Mais dans les circonstances actuelles, nous croyons qu’il est de notre devoir de vous faire part de nos préoccupations.

Extrait de la lettre

Les anciens élus s’opposent à ce que les centres hospitaliers et les instituts universitaires soient « fusionnés » à Santé Québec, nouvelle société d’État que vient créer la réforme Dubé. Selon eux, cela « aura un impact négatif important sur ces institutions qui jouent un rôle essentiel dans la société démocratique ».

On souligne que ces institutions réunissent « dans une même organisation les soins, la recherche, l’enseignement, l’évaluation des technologies et la prévention », que « leurs activités sont indissociables et parfaitement intégrées » et qu’elles « ont aussi chacune leur histoire et leurs spécificités ».

« Un recul »

Le projet de loi 15 vient créer Santé Québec, qui deviendra l’employeur unique du réseau de la santé et des services sociaux. Cette nouvelle société d’État doit superviser tout le volet opérationnel du Ministère, qui pourra de son côté se concentrer sur la définition des grandes orientations. Les conseils d’administration des établissements seront remplacés par des conseils d’établissement.

« L’assimilation de l’Institut de cardiologie de Montréal par sa fusion complète dans Santé Québec, ou encore la dissociation de ces piliers briserait l’esprit de l’Institut de cardiologie de Montréal et réduirait les grandes retombées cliniques de ses découvertes », citent en exemple les anciens élus. Au cœur de leurs griefs : la perte d’une entité juridique distincte par établissement.

La fusion à Santé Québec […] des autres établissements universitaires mènerait inévitablement à un recul de leur performance dans la poursuite de leur mission d’excellence en santé, au détriment des patients et de l’ensemble de la société québécoise.

Extrait de la lettre de six anciens premiers ministres

Devant ces préoccupations, le ministre de la Santé a déposé mardi des amendements qui rapprocheront davantage les conseils d’établissement des conseils d’administration actuels. Il propose que « les fonctions et les pouvoirs » des conseils d’administration relatifs à « l’enseignement, à la recherche et à l’innovation » soient délégués aux conseils d’établissement et non à Santé Québec.

La dénomination « conseils d’établissement », prévue initialement au projet de loi, serait remplacée par « conseils d’administration d’établissement » afin de refléter leurs nouvelles fonctions, a-t-on indiqué. Les pouvoirs relatifs aux activités philanthropiques seraient plutôt confiés au PDG de l’établissement.

« Santé Québec va déléguer »

« Ce que Santé Québec va faire, c’est qu’il va déléguer aux différents établissements, les CHU, les CIUSSS, toute la question de la recherche, toute la question des fondations, toute la question de l’innovation, donc il y a une délégation de pouvoirs », a assuré M. Dubé.

Il va se dire peut-être beaucoup de choses dans les prochaines semaines, mais il y a une chose qui est claire : les enfants, ils vont continuer d’aller à Sainte-Justine, les gens vont continuer d’aller au CHUM. Il n’y a personne qui va perdre son identité.

Christian Dubé, ministre de la Santé

Le premier ministre a brièvement commenté l’affaire avant que la lettre soit rendue publique. « Moi, ça m’arrive aussi de consulter des anciens premiers ministres. Donc, c’est correct. Mais je veux dire, nous, on tient à nos décisions », a dit M. Legault après la période des questions.

Le ministre a expliqué qu’il avait réfléchi plusieurs semaines avant de proposer un « compromis correct » qui n’allait pas « dénaturer » son projet de loi. Le ministre voulait trouver « l’équilibre » entre maintenir son objectif d’améliorer la coordination et la collaboration entre les établissements (par l’entremise de Santé Québec) et arriver en même temps à « protéger l’identité de ces groupes-là ».

Avec la collaboration de Tommy Chouinard, La Presse