(Québec) Une quinzaine d’affaires de mauvais traitements envers une personne âgée ou handicapée sont maintenant dénoncées chaque jour au Québec.

Les plaintes et les signalements pour maltraitance reçus par les chiens de garde du réseau de la santé continuent d’augmenter. Et pas qu’un peu. Ils ont explosé de 120 % en un an.

Québec attribue cette augmentation à une meilleure connaissance de la loi dans le réseau de la santé et à l’élargissement plutôt récent de son champ d’application. En clair, la maltraitance n’est pas nécessairement plus répandue, elle est surtout plus dénoncée.

Selon un rapport du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) déposé à l’Assemblée nationale, 5756 cas présumés ou avérés de maltraitance ont été dénoncés aux autorités du réseau en 2022-2023. C’est un nouveau record : il y en avait eu 2618 l’année précédente.

On en comptait 866 il y a cinq ans, en 2018-2019, première année complète d’application de la Loi visant à lutter contre la maltraitance envers les aînés et toute autre personne majeure en situation de vulnérabilité.

Longtemps sous-estimée, la maltraitance sort de l’ombre peu à peu depuis l’adoption de cette loi en 2017. Elle a été bonifiée en 2020, puis en 2022.

Dénoncer « sans délai »

La maltraitance prend plusieurs formes. C’est un employé qui rudoie un aîné. Un résidant qui en agresse sexuellement un autre. Un fils qui abuse financièrement d’un parent. Un établissement qui ne donne pas les soins de base à ses résidants.

Une victime de maltraitance ou un témoin de maltraitance peut porter plainte au commissaire local aux plaintes et à la qualité des services de son CISSS ou de son CIUSSS.

La loi oblige par ailleurs les travailleurs du réseau de la santé et les professionnels à dénoncer « sans délai » au commissaire toute situation de maltraitance dont ils sont témoins ou qu’ils soupçonnent contre un aîné ou un adulte vulnérable hébergé dans un CHSLD privé ou public, une résidence pour aînés, une ressource intermédiaire (RI) ou de type familial (RTF). On leur demande aussi de dénoncer les abus qu’ils constatent lors d’une visite au domicile d’un patient.

Cette obligation de signalement s’est élargie au fil des ans, ce qui explique en partie la hausse des cas dénoncés en 2022-2023, selon le rapport du MSSS.

« Il y a également le fait que les prestataires de soins et de services ont une meilleure connaissance de leur rôle et responsabilité grâce aux nombreuses formations offertes dans le réseau de la santé et des services sociaux, afin de protéger toute personne majeure en situation de vulnérabilité », ajoute-t-on.

« Excellente nouvelle »

L’explosion des dénonciations, « c’est une excellente nouvelle ! », lance Jean-Philippe Payment, président du Regroupement des commissariats aux plaintes et à la qualité des services du Québec.

« Enfin, la maltraitance est dénoncée. Je présume que pendant beaucoup d’années encore, on va avoir des chiffres en augmentation. » Il rappelle qu’une vaste enquête publiée en 2020 par l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) a conclu que pas moins de 6 % des aînés vivant à domicile sont victimes de maltraitance.

Selon M. Payment, il y a « clairement un changement d’attitude » dans le réseau de la santé. La lutte contre la maltraitance est devenue une priorité et les travailleurs connaissent mieux les dispositions de la loi aujourd’hui.

Avec la réforme Dubé, les commissaires aux plaintes ne relèveront plus des conseils d’administration des CISSS et des CIUSSS, mais bien d’un commissaire national qui sera sous l’égide de Santé Québec. Le financement de leurs activités sera également fixé par la nouvelle agence.

Jean-Philippe Payment salue ces deux changements, qui garantissent une plus grande indépendance aux commissaires et les mettent à l’abri de pressions des établissements.

Pas encore de sanctions pénales

Un changement apporté à la loi l’an dernier prévoit des sanctions pénales pour contrer la maltraitance, mais leur entrée en vigueur a tardé.

Selon le rapport du MSSS, 18 dossiers de demande d’enquête pour sanctions pénales étaient recevables et en cours de traitement, en date du 15 septembre dernier. Vingt autres dossiers ont été jugés non recevables par la Direction des enquêtes du Ministère, dont quatre ont été transmis aux autorités policières.

La Direction des enquêtes du MSSS n’aurait donc pas encore transmis de dossiers au Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP).

« Après vérifications, aucune poursuite n’a encore été intentée par le DPCP relativement à cette Loi », signale MPatricia Johnson, porte-parole adjointe du DPCP.

La loi prévoit que des sanctions pénales de 2500 $ à 25 000 $ pour un membre du personnel qui omet de dénoncer la maltraitance dont il est témoin ou qu’il soupçonne. Les auteurs de maltraitance sont passibles d’amendes de 5000 $ à 125 000 $ dans le cas d’une personne physique, de 10 000 $ à 250 000 $ pour un établissement ou une personne morale. Il y a également des sanctions pénales contre ceux qui exercent des représailles contre un plaignant ou qui entravent le travail des enquêteurs du Ministère.

Les sanctions pénales ne sont évidemment pas le seul châtiment auquel s’expose un auteur de maltraitance. Une poursuite au criminel peut être intentée. Un employé fautif peut être suspendu, voire congédié, ce qui arrive dans quelques cas chaque année.

La maltraitance en chiffres

Le rapport du MSSS donne un aperçu de 558 cas de maltraitance qui ont nécessité un processus spécial d’intervention des autorités, un processus prévu à la loi pour venir en aide aux victimes.

Sexe de la victime

66 % sont des femmes
34 % sont des hommes

Âge moyen de la victime

74 ans

Lieu de résidence des victimes*

Domicile privé : 61 %
Résidence privée pour aînés : 16 %
CHSLD : 10 %
Ressource intermédiaire ou de type familial : 5 %
Autre : 8 %

* Le tiers habitent seules

Le sexe des personnes maltraitantes

65 % sont des hommes

Lien avec la victime

61 % sont un membre de la famille
9 % sont une « personne offrant des services », donc un travailleur du réseau de la santé
6 % sont un colocataire
24 % sont d’autres personnes comme un voisin, un autre résidant ou un ami

Types de maltraitance*

Financière : 62 %
Psychologique : 49 %
Physique : 27 %
Négligence : 27 %
Sexuelle : 10 %
Autres : 8 %

* Le total cumulatif dépasse 100 % étant donné que plus d’un type de maltraitance peut être présent dans une même situation.