Les auteurs, qui ont été tour à tour premiers ministres du Québec, s’adressent à leur successeur, François Legault, afin de défendre l’autonomie des instituts et centres hospitaliers universitaires que menace l’actuel projet de réforme du système de santé.

Monsieur le Premier Ministre, nous intervenons auprès de vous, d’une seule voix, motivés par la conviction qu’aucun enjeu n’est plus important pour les Québécoises et les Québécois que l’accès à des services de santé et des services sociaux de qualité.

Comme vous le savez, nous ne sommes jamais intervenus ensemble avant aujourd’hui. Mais dans les circonstances actuelles, nous croyons qu’il est de notre devoir de vous faire part de nos préoccupations. Vous voudrez bien croire que nous le faisons avec déférence et dans le seul but d’exprimer les préoccupations que nous inspire le projet de loi 15 dans sa facture actuelle. Nous sommes en effet d’avis que la fusion des centres hospitaliers et des instituts universitaires à une société d’État nouvellement créée aura un impact négatif important sur ces institutions qui jouent un rôle essentiel dans la société québécoise.

Si l’objectif de la réforme est de rendre le système de santé et de services sociaux plus efficace en général, et toujours plus intégré, il existe des exceptions à préserver dans l’intérêt même des patients et de la poursuite des missions d’excellence de ces institutions.

Les centres hospitaliers et instituts universitaires réunissent dans une même organisation les soins, la recherche, l’enseignement, l’évaluation des technologies et la prévention. Ces activités sont indissociables et parfaitement intégrées.

Ces institutions ont aussi chacune leur histoire et leur spécificité. Elles se sont distinguées de diverses manières, la plupart d’entre elles en priorisant certaines spécialités de la médecine ou des soins, notamment par leur ultraspécialisation, ou par leurs liens avec leurs communautés ou leurs régions. Elles se sont aussi illustrées par leur esprit d’initiative, qui n’aurait pu se manifester sans leur autonomie institutionnelle.

À titre d’exemple, le modèle de l’Institut de cardiologie de Montréal a atteint l’excellence en la matière et une renommée internationale depuis sa fondation en 1954, par un groupe de médecins et de citoyens engagés, sous le leadership inspirant du DPaul David. Son modèle unique est fort simple : il consiste en un continuum intégré de l’application clinique de la recherche, de la prévention, de l’enseignement et de l’évaluation des technologies. Cette approche contribue à ce que, tous les jours, les patients bénéficient de ses recherches et découvertes. La proximité des piliers stratégiques du modèle de l’Institut de cardiologie de Montréal a produit un nombre imposant d’innovations. L’assimilation de l’Institut de cardiologie de Montréal par sa fusion complète dans Santé Québec, ou encore la dissociation de ces piliers, briserait l’esprit de l’Institut de cardiologie de Montréal et réduirait les grandes retombées cliniques de ses découvertes.

L’intégration des missions de soins, de recherche et d’enseignement a permis aux établissements universitaires, tels que l’Institut de cardiologie de Montréal, d’améliorer les soins aux patients et de devenir des modèles d’excellence dans leurs domaines respectifs.

La fusion à Santé Québec des soins de l’Institut de cardiologie de Montréal et des autres établissements universitaires mènerait inévitablement à un recul de leurs performances dans la poursuite de leur mission d’excellence en santé, au détriment des patients et de l’ensemble de la société québécoise. En effet, la disparition de l’intégration des soins cliniques et de la recherche freinerait entre autres la traduction des découvertes en amélioration de la vie des patients.

Nous pensons aussi que la perte de leur entité juridique distincte et de leur autonomie aurait des impacts défavorables majeurs sur l’Institut de cardiologie de Montréal et les autres établissements universitaires pour le recueil de financement philanthropique. Ce financement est essentiel à la pérennité et à la croissance des missions de soins de pointe, de recherche, de prévention, d’évaluation des technologies et d’enseignement.

Les dons sont en général liés à une équipe thérapeutique, une institution de proximité, une recherche qui apparaît pertinente au citoyen contributeur au financement. Le citoyen qui contribue ne cherche pas à financer un système, mais bien un objet, une institution, une recherche, un service qui le touchent d’une façon ou d’une autre.

Il nous apparaît aussi inconcevable pour le fonctionnement de ces institutions universitaires d’opter pour une approche à deux niveaux, de manière à ce que les soins aux patients soient isolés dans une entité distincte alors que la recherche clinique, l’enseignement et la prévention doivent être organisés et dirigés dans une organisation différente.

Pour toutes ces raisons, cette fusion complète ou partielle nous paraît s’éloigner dangereusement de l’objectif visé par la réforme envisagée, qui est de rendre le système de santé et de services sociaux plus efficace.

Par cette fusion, ces établissements universitaires perdraient leur caractère spécifique et leur approche unique, notamment en matière de soins à la population. Elle les priverait en plus de leur conseil d’administration bénévole consacré à leur réussite. Ces conseils peuvent actuellement compter sur des membres qui leur apportent une expertise de pointe et une collaboration de proximité avec la communauté, contribuant puissamment à leur succès et à leur reconnaissance.

Nous sommes tous conscients de l’importance de faire évoluer notre système de santé pour faire face aux défis toujours plus exigeants de l’accessibilité et de la qualité des soins. Monsieur le Premier Ministre, nous en appelons à votre connaissance du réseau québécois de la santé et de la nécessité d’y maintenir la capacité d’initiative de nos instituts et centres hospitaliers universitaires et d’éviter de compromettre les grands bénéfices qu’en retirent les Québécoises et les Québécois.

Veuillez agréer, Monsieur le Premier Ministre, l’assurance de notre plus haute considération.

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