On apprenait récemment que le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, n’attendrait pas les recommandations du « comité des sages » sur l’identité de genre pour interdire à l’avenir la construction et la rénovation de toilettes et vestiaires neutres ou non genrés dans les écoles⁠1. Une décision inquiétante pour la protection des droits fondamentaux.

Au moment d’annoncer le « comité des sages », la ministre de la Famille, Suzanne Roy, promettait pourtant qu’il n’y aurait pas de recul sur les droits des personnes trans et non binaires, qui sont les personnes les plus à risque de subir des violences et intimidations dans les toilettes et vestiaires. Or, force est de constater que les mesures annoncées contreviennent à cette promesse. Voici pourquoi.

Exiger pour l’avenir que soient construites dans les écoles uniquement des toilettes et vestiaires genrés « filles/garçons » a tout d’une atteinte au droit à l’égalité des personnes qui ne se reconnaissent pas dans la binarité des genres (art. 15 de la Charte canadienne). En interdisant la construction de toilettes et vestiaires collectifs « personnes non binaires » au côté de toilettes et vestiaires « filles » et « garçons », en interdisant de plus la construction ou la rénovation de vestiaire universel (même individuel), on exclut directement les personnes non binaires sur la base de leur identité de genre.

La directive s’expose à des risques de poursuites constitutionnelles en ce sens qu’elle renforce, perpétue et accentue le désavantage dont les personnes qui ne se reconnaissent pas dans la binarité des genres sont victimes.

La directive risque par ailleurs de compromettre le droit des personnes non binaires au respect de leur vie privée en prévoyant uniquement des toilettes universelles individuelles (art. 5 de la Charte québécoise et art. 35 CcQ). Choisir d’utiliser des toilettes autres que celles destinées aux garçons et aux filles peut amener son lot de conséquences sociales, notamment celui de forcer le dévoilement de la non-binarité de certaines personnes, surtout que la directive prévoit que les toilettes universelles individuelles devront être « situées à des endroits stratégiques permettant une surveillance adéquate ».

S’il est vrai que la présence de toilettes universelles individuelles peut permettre d’éviter de subir des situations de violence à l’intérieur même des toilettes, elles ne protègent pas les personnes non binaires des violences qu’elles subissent à l’extérieur, notamment en raison d’un dévoilement forcé. La directive porte aussi atteinte au droit à la sauvegarde de la dignité des personnes qui ne se reconnaissent pas dans la binarité des genres puisqu’elle nie leur existence (art. 4 de la Charte québécoise).

La directive ne fait pas qu’entraver les droits fondamentaux, elle fait également obstacle à certaines obligations des établissements scolaires de respecter des lois et règlements en matière de droit du travail et de droit à l’éducation. Les établissements ont par exemple l’obligation d’offrir aux élèves un milieu d’apprentissage sain et sécuritaire et doivent adopter des mesures de prévention visant à contrer toute forme d’intimidation ou de violence fondée notamment sur l’identité de genre. Or, pour garantir ce milieu d’apprentissage sain et sécuritaire, il s’agit de mettre en place des toilettes et vestiaires inclusifs, pas de les interdire.

Ainsi, au contraire de ce qu’affirme le ministre, cette directive n’offre pas aux élèves un milieu d’apprentissage qui « respecte les droits de tout un chacun ». Elle constitue plutôt un important recul des droits et une mise en danger d’élèves qui subissent déjà un nombre important de violences et de stigmatisations. De récents évènements tragiques au Canada et aux États-Unis en témoignent, comme la mort de Nex Benedict, victime d’intimidation dans les toilettes des filles de son école.

Il n’est pas trop tard pour le gouvernement de tenir ses promesses et de reculer sur ces choix injustifiés en droit et préjudiciables. Il n’est pas trop tard pour faire mieux.

Cosignataires : Djemila Carron, professeur.e et responsable de la clinique de justice sociale au département des sciences juridiques de l’UQAM (cliniX) et Valérie P. Costanzo, professeure au département des sciences juridiques de l’UQAM

1. Lisez « Drainville maintient les toilettes mixtes existantes, mais interdit les nouvelles » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue