Plusieurs ont été surpris d’apprendre de la ministre Geneviève Guilbault le mois dernier que le remplacement déjà prévu du pont de l’île d’Orléans devra se faire en accéléré dans les quatre prochaines années.

Puisqu’on a tardé à agir pour remplacer cet actif en fin de vie, c’est maintenant un enjeu de sécurité d’ouvrir un nouveau pont d’ici 2028. Rappelons que le pont actuel est le seul axe de desserte depuis 1935 pour les 6800 résidants de l’île d’Orléans.

Mais pourquoi 2,7 milliards pour remplacer un pont à deux voies ? La courte échéance dictée par le fait d’avoir trop attendu, le fait que des matériaux devront être apportés par barges en raison des limites de poids sur le pont et le mode d’approvisionnement choisi qui fait peser tous les risques sur le soumissionnaire sont tous des facteurs qui contribuent à la facture très élevée.

Le remplacement en accéléré du pont de l’île d’Orléans va ainsi utiliser des ressources équivalentes aux dépenses prévues en maintien d’actifs sur l’ensemble du réseau routier au Québec pour une année complète, soit environ 2,6 milliards, selon le Plan québécois des infrastructures (PQI) 2024-2034.

Le remplacement accéléré du pont des Piles en Mauricie montre que cette situation n’est malheureusement pas unique. Le PQI⁠1 indique en fait que des structures du réseau routier supérieur représentant 37 % de la valeur de remplacement de l’ensemble de ces structures sont en très mauvais état et qu’elles devront donc être réparées de fond en comble ou remplacées dans un avenir proche.

La problématique de l’état des infrastructures au Québec est plus large que le réseau routier. Malgré les fortes hausses du budget du PQI depuis 2015, le déficit de maintien d’actifs (DMA) des infrastructures, soit le coût des travaux nécessaires immédiatement pour remettre l’ensemble des infrastructures provinciales dans un état acceptable, a continué d’augmenter pour atteindre maintenant 37,1 milliards de dollars.

Les nouvelles constructions privilégiées

Cela s’explique par le fait que les augmentations de budget au PQI ont privilégié les nouvelles constructions (+103 %) plutôt que le maintien des actifs existants (+59 %), et ce, alors que les budgets de maintien d’actifs étaient déjà insuffisants. On doit soustraire de ces hausses l’impact de l’inflation dans les coûts de construction depuis 2015, soit environ 50 %. On s’aperçoit alors que les budgets au PQI pour le maintien d’actifs n’ont presque pas augmenté en termes réels. Le PQI indique par ailleurs que les budgets vont diminuer dans les prochaines années.

Du côté municipal, le portait 2023 des infrastructures en eau du Québec chiffre à 44,7 milliards de dollars la valeur des conduites et des chaussées au-dessus qui sont en mauvais état. Il faut ajouter à cela les travaux nécessaires pour remettre en état les autres routes et immeubles municipaux, ainsi que les actifs des sociétés de transports en commun.

Le DMA des infrastructures municipales est donc lui aussi élevé.

L’état des infrastructures constitue ainsi un enjeu majeur d’équité intergénérationnelle. Le DMA des infrastructures constitue une autre dette passée aux générations futures, qui s’ajoute aux intérêts sur la dette publique que les générations futures devront acquitter, et ce, au moment où d’autres dépenses seront requises pour adapter nos infrastructures aux changements climatiques, et où les finances publiques subiront les pleins impacts du vieillissement des cohortes de baby-boomers.

La remise à niveau de nos infrastructures représente aussi un défi majeur de construction pour les prochaines décennies alors qu’Hydro-Québec prévoit d’investir 150 milliards dans les prochaines années pour augmenter sa production et sa capacité de transport d’électricité, que plusieurs projets liés à la transition énergétique de milliards de dollars chacun ont déjà été annoncés, et qu’il faudra continuer d’investir massivement dans la construction de nouveaux logements.

Il faut donc s’attendre à ce que la forte demande pour les travaux continue pour l’avenir prévisible. Les heures travaillées dans la construction ont beaucoup augmenté et tout porte à croire que l’industrie fonctionne déjà au maximum de sa capacité, comme en témoigne l’accélération de l’inflation dans les coûts observée depuis 2021. Les gestes faits par le gouvernement pour augmenter le nombre de travailleurs et la productivité dans l’industrie sont bienvenus, mais ne suffiront pas à rétablir l’équilibre entre l’offre et la demande.

L’état de nos infrastructures exige donc plus que jamais de prioriser le maintien des actifs existants et de soumettre tous les projets pour de nouvelles infrastructures à des analyses coûts-bénéfice rigoureuses et transparentes.

À cette fin, le gouvernement devrait établir des budgets distincts pour le maintien d’actifs et les nouvelles constructions.

Il devient aussi impératif pour le gouvernement d’effectuer une planification du volume total de travaux réalisables sur 10 à 15 ans et d’assurer une coordination plus formelle entre les projets au PQI, ceux des grandes villes et ceux d’Hydro-Québec pour réduire la concurrence inflationniste pour les ressources limitées de l’industrie de la construction.

1. Consultez le Plan québécois des infrastructures 2024-2034 Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue