De la Commission des liqueurs à la Société des alcools, le marché de « la boisson » a considérablement évolué au Québec. Or, le récent reportage de Nathaëlle Morissette⁠1 et les enjeux associés au conflit de travail qui se dessine à la société d’État montrent qu’une réflexion sur la nature, le mandat et l’avenir de la SAQ s’impose.

La SAQ court deux lièvres à la fois. Négocier, importer et commercialiser des vins et spiritueux de partout dans le monde au meilleur rapport qualité-prix est une chose. Agir en partenaire d’une production locale en plein essor en est une autre.

Or, il serait temps que ce partenariat soit mis de l’avant dans le but de soutenir notre industrie locale, puis de progressivement réduire la part de nos importations dans le marché des vins, de la bière et des spiritueux, au profit des consommateurs, friands de produits locaux de qualité, et des producteurs d’ici.

La SAQ dispose d’un considérable rapport de force commercial. Elle peut s’appuyer sur son monopole pour exiger des producteurs étrangers des prix – avant taxes – hautement compétitifs.

Malheureusement, cette recherche du meilleur rapport qualité-prix alimente une culture d’entreprise axée sur le bénéfice à court terme, laquelle n’est pas la plus adaptée au développement et au soutien des producteurs du Québec. Après tout, l’approche qui consiste à écraser les prix des importations et à miser sur les produits les plus rentables n’est pas la même que celle qui consiste à accompagner une production locale en plein essor.

Préciser la mission

On ne peut traiter l’industrie locale des vins et spiritueux de la même manière et avec les mêmes cibles de rentabilité que celles des producteurs étrangers. Si la SAQ doit agir comme un véritable partenaire du marché local, il faudrait commencer par l’inscrire dans sa loi constitutive.

À ce jour, cette loi, centrée sur le « mandat de faire le commerce des boissons alcoolisées », ne contient aucune mention explicite du rôle de la SAQ dans le soutien au développement des producteurs d’ici.

Pourtant, derrière chaque produit québécois vendu se trouve une valeur ajoutée : des emplois, une occupation du territoire, une diminution de l’empreinte environnementale, etc.

La lecture du rapport annuel 2022-2023 de la SAQ le confirme. Les retombées économiques directes et indirectes de l’accroissement de la production locale ne sont pas sur son écran radar. On y présente des résultats, sans distinction entre la mission d’importation (destinée à une haute rentabilité) et le rôle de partenaire de la production québécoise. Sur les 119 pages du rapport, le bilan – d’ailleurs plus visuel que substantiel – de l’augmentation des ventes « Origine Québec » tient sur une seule page.

Place aux changements

Dans le débat – souvent simpliste – sur une hypothétique privatisation de la SAQ, on oublie d’ordinaire qu’une très large part du commerce de boissons alcoolisées se trouve déjà hors du monopole de la société d’État. C’est d’ailleurs le cas de l’essentiel de la vente de bières. Or, la place grandissante du marché occupée par les microbrasseries du Québec dans les dépanneurs et épiceries offre matière à réflexion.

Pour assurer le développement de notre production nationale, des changements s’imposent. Faut-il revoir le mandat de la SAQ pour rendre plus explicite son rôle de partenaire des producteurs d’ici ? Scinder en deux les activités de la société d’État afin de distinguer son mandat d’importation au meilleur coût de celui de commercialisation et de soutien des produits locaux ?

Ou, encore, faire un pas de plus dans la libéralisation du marché en facilitant, à l’instar des bières de microbrasserie, la vente de vins et spiritueux locaux dans les dépanneurs, les épiceries et les restaurants ? Voilà qui saurait rallier les consommateurs québécois.

À ce jour, les producteurs locaux sont à la merci des décisions de la SAQ, du moins dès que leur production dépasse le modèle de la vente à la propriété.

Notre rapport à l’alcool a beaucoup évolué depuis le plébiscite sur la prohibition organisé par Wilfrid Laurier en septembre 1898. Le Québec avait alors manifesté sa spécificité en votant massivement contre une politique de prohibition largement appuyée par le reste du Canada. Depuis, la mise en place d’un monopole d’État, en 1921, nous a bien servis.

Toutefois, la société d’État n’a toujours pas trouvé la voie pour soutenir de manière idéale les producteurs québécois. Sans des précisions claires de l’actionnaire, la maximisation du bénéfice risque encore longtemps d’empêcher la SAQ d’assumer pleinement le rôle moteur qu’elle pourrait jouer dans ce secteur de notre économie. Il s’agit d’optimiser les profits, certes, mais sans écraser les producteurs d’ici.

1. Lisez l’article « Vente de spiritueux québécois à la SAQ : la fin du “bar ouvert” » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue