Presque un demi-siècle s’est écoulé depuis l’emprise communiste sur le Vietnam du Sud, dépassant les 45 ans de domination rouge en Europe de l’Est.

La chute de Saigon le 30 avril 1975 a changé la destinée d’un peuple. Les chars communistes entrèrent dans la capitale sud-vietnamienne, écrasant la dernière poche de résistance des parachutistes. Cinq généraux de l’armée se sont suicidés. Ce fut un jour de panique générale.

Des gens s’entassaient à l’intérieur de l’enceinte de l’ambassade des États-Unis, avec le mince espoir d’être secourus par des hélicoptères atterris sur le toit du bâtiment. D’autres se précipitaient vers le port de Saigon pour embarquer sur le dernier bateau surchargé de 3000 personnes. Plusieurs se dirigeaient vers les villes côtières, sautant sur de frêles embarcations de 10 à 12 mètres pour prendre le large en direction des navires de la septième flotte américaine. Enfin, ceux qui restaient, impuissants, les larmes aux yeux, attendaient le sort qui leur serait réservé par les vainqueurs réputés sanguinaires.

Après ce jour, pendant 10 ans, un flot incessant de Vietnamiens ont fui l’enfer communiste. L’océan Pacifique a permis à 1 million de boat people d’atteindre les rivages de la liberté, mais il a aussi englouti sous ses vagues plus de 100 000 infortunés.

Après l’invasion, la punition collective ne tarda pas à s’exercer. Jusqu’à 1 million de Sud-Vietnamiens furent emprisonnés dans les camps de travaux forcés appelés camps de rééducation, répétition des laogai chinois et du goulag soviétique, où les prisonniers affamés mouraient lentement par épuisement. J’ai été parmi eux pendant quatre ans. Les familles des prisonniers furent chassées des villes, laissant leurs maisons aux cadres communistes. L’accès à l’université fut interdit aux enfants des prisonniers et de la classe bourgeoise. Les entreprises privées furent confisquées pour organiser une nouvelle économie étatique. Une grande quantité de riz prit la route du Nord, créant une pénurie au Sud, qui devait se nourrir avec le maïs et le sorgho autrefois réservés aux animaux.

À ma sortie de prison, j’ai réussi à m’enfuir sur un bateau de pêche surchargé de 60 personnes. Nous avons été secourus en haute mer par le yacht de M. Wurtsinger, un écrivain australien d’origine autrichienne.

Après quatre heures de négociation entre Singapour et l’Office des Nations unies pour les réfugiés, nous avons été admis dans le camp de Singapour. Un ami du temps où j’étais étudiant à Polytechnique, J. M. Rivard, m’a parrainé pour aller à Montréal. Quant à ma femme, elle a embarqué avec 15 personnes sur une autre embarcation qui était en train de couler aux limites territoriales de Singapour.

Un hélicoptère blanc des Nations unies fit signe à la marine de Singapour pour les secourir. Une femme et son enfant furent montés à bord puis rejetés à la mer à la disparition de l’hélicoptère. Les corps des victimes furent retrouvés à la plage. Ma femme a flotté en haute mer pendant 24 heures avant d’être sauvée par un navire indonésien. Les Nations unies ont demandé des explications au gouvernement singapourien. Lee Kuan Yew a répondu : « C’est une allégation très sérieuse, nous allons faire une enquête. » Et tout est tombé dans l’oubli.

En ce jour mémorable, le 30 avril noir, dans ma nouvelle patrie, mes pensées se tournent vers le passé douloureux de l’enfer communiste. Je pense aux héros de l’armée sud-vietnamienne, en particulier aux cinq généraux qui se sont suicidés. Je prie pour mes compatriotes naufragés qui ont vu leur rêve brisé, englouti au fond de l’océan. En même temps, je réitère ma profonde gratitude envers ma nouvelle patrie et son peuple généreux, gratitude que nous, réfugiés de la mer, avons gravée sur nos cœurs avec une encre indélébile.

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