Quand je demande à la ministre déléguée à la Santé et aux Aînés, Sonia Bélanger, ce qu’elle pense de l’aide médicale à mourir au salon funéraire, sa réponse fuse.

« Je ne trouve pas que c’est une bonne idée, lance-t-elle. On considère l’aide médicale à mourir comme un soin et donc, ce soin doit être administré dans un environnement adéquat. Je ne suis pas du tout en faveur d’aller dans un commerce pour recevoir l’AMM. »

Pour moi, mourir, ce n’est pas un party. C’est le choix de la personne si elle veut être entourée, mais cela doit se faire dans un recueillement, dans un environnement paisible. Il faut faire preuve d’une certaine pudeur quand on parle de la mort. Je ne voudrais pas que ça devienne festif.

Sonia Bélanger, ministre déléguée à la Santé et aux Aînés

Quand je pose la même question au DGeorges L’Espérance – et que je lui demande de commenter la vive réaction que cette nouvelle réalité suscite –, le président de l’Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité répond sans hésiter : « C’est une tempête dans un verre d’eau. On s’en fout complètement que ça ait lieu dans un salon funéraire ! C’est un faux problème. L’important, c’est qu’on respecte les protocoles. Les salons funéraires sont des espaces où on est habitué à la mort. »

Le DL’Espérance rappelle qu’il y a des gens qui sont morts dans un parc, dans un camp de chasse ou au bord d’un lac. « Le parc Stanley, à Vancouver, a même un espace réservé pour ça », lance-t-il.

Les gens sont raisonnables, arrêtons de les prendre pour des imbéciles ! Pourvu que ce soit fait dans le respect et la dignité, je ne vois pas où est le problème à ce qu’il y ait de la bouffe et du champagne.

Le Dr Georges L’Espérance

Ce n’était pas prévu

La ministre Bélanger le reconnaît, elle n’avait pas du tout prévu ce retournement de situation.

« La nouvelle est sortie en pleine commission parlementaire, explique-t-elle. J’ai eu l’impression que cela sortait de n’importe où, j’ai senti un opportunisme. »

Plusieurs membres de l’industrie des services funéraires m’ont confié avoir eu l’impression que le gouvernement avait modifié la loi pour permettre l’AMM dans d’autres lieux afin de répondre à un besoin d’espace, car il en manque dans les hôpitaux. Mais la réaction viscérale de la ministre ne donne pas du tout ce sentiment.

La loi est éloquente. On ne veut pas que l’aide médicale à mourir soit commercialisée d’aucune façon. Les gens peuvent recevoir l’AMM aux soins palliatifs, dans les hôpitaux et les CHSLD, en maison de soins palliatifs ou à domicile.

Sonia Bélanger, ministre déléguée à la Santé et aux Aînés

Visiblement, le choix du salon funéraire n’emballe pas la ministre, même si sa loi le permet désormais. À noter qu’il n’existe aucune mention du lieu dans la loi fédérale sur l’aide médicale à mourir.

Qui décide quoi ?

On m’a raconté qu’une dame avait bu une coupe de champagne et dansé une dernière valse avec son mari avant de recevoir l’AMM. Une autre a regardé un film d’horreur en mangeant de la pizza en compagnie de sa fille avant de dire au revoir à ses proches.

La ministre Bélanger dit que la mort n’est pas un party, mais que fait-on de tous ces gens qui souhaitent partir dans une ambiance festive ?

J’ai posé la question à Martine Roberge, professeure d’ethnologie au département des sciences historiques de l’Université Laval. « On peut se demander qu’est-ce qui choque et qu’est-ce qu’il y a de mal à s’approprier ce passage », observe-t-elle.

L’industrie de la mort n’est pas à l’abri de l’économie de l’évènementiel, reconnaît la professeure Martine Roberge. Et il y a bel et bien une solennité à préserver, une ligne à ne pas franchir. Mais dans la foulée, elle note que les nouveaux rituels entourant la mort répondent à un besoin. « Notre regard sur la mort change. On observe une dédramatisation », observe-t-elle.

« On est dans la ritualité des modernes, poursuit cette spécialiste. On est passé de la déritualisation à la personnalisation des rites. On invente désormais des rituels en phase avec nos valeurs. »

La professeure Martine Roberge trouve paradoxal qu’on puisse se situer « pour ou contre » un rite d’adieu.

Ce moment appartient à l’individu. Il choisit le jour et l’heure à laquelle il va quitter le monde des vivants. Son expression prime sur le groupe. C’est propre à notre société démocratique.

Martine Roberge, professeure d’ethnologie au département des sciences historiques de l’Université Laval

« Nos rites sont là pour donner du sens à l’insensé, poursuit Martine Roberge. Ce sont des moments très intimes avec des proches. Dans le rite de mort, il y a l’accompagnement du mort et celui des vivants. Le corps s’est dématérialisé et on est plus souvent dans la célébration de la vie de l’individu. Ce qu’on voit aujourd’hui, c’est que les rites sont plus tournés vers les endeuillés et les survivants. »