« L’aide médicale à mourir dans un salon funéraire, on ne s’y attendait pas », me lance Alain Leclerc, directeur général de la Fédération des coopératives funéraires du Québec.

Dire que l’arrivée de l’AMM a eu l’effet d’une bombe dans l’industrie des services funéraires n’est pas exagéré. En l’accueillant dans ses locaux, le Complexe funéraire Haut-Richelieu n’a pas seulement forcé la ministre Sonia Bélanger à modifier sa loi. Il a aussi forcé toute l’industrie à se positionner. Et certains membres sont plus mal à l’aise que d’autres avec le concept.

« On aurait pu régler la question simplement, croit Alain Leclerc, dont la Fédération regroupe 20 coopératives. Il aurait fallu restreindre ce type d’établissement le temps de se donner un pas de recul. »

Ce n’est pas notre métier. Et ce n’est pas le même accompagnement. Nous, on travaille avec les familles endeuillées. Avec l’AMM, on est plus près des soins palliatifs. Ça nous force à nous redéfinir et à développer une nouvelle expertise.

Alain Leclerc, directeur général de la Fédération des coopératives funéraires du Québec

On note la même prudence du côté d’Athos, le plus grand groupe privé de services commémoratifs au Québec avec 6 cimetières et 22 enseignes, dont Urgel Bourgie, Memoria et Lépine Cloutier. « Est-ce notre rôle de maison funéraire d’offrir nos locaux pour l’AMM ? », demande Patrice Chauvegros, vice-président marketing et développement du groupe qui coordonne entre 9000 et 10 000 funérailles annuellement. « Je n’ai pas la réponse à ça. On s’est demandé si on voulait se rendre jusque-là et pour l’instant, la réponse est ni oui ni non. Nous sommes en réflexion. »

Un meilleur encadrement

L’aide médicale à mourir est encore un phénomène marginal et seulement 1 % des gens qui y ont eu recours l’ont reçue hors des établissements habituels que sont les hôpitaux, les résidences pour personnes âgées ou les maisons de soins palliatifs. Mais tous les membres de l’industrie s’attendent à ce que la demande augmente.

On aimerait des balises plus claires. On s’est adaptés quand la tendance des funérailles personnalisées est arrivée, on s’est dotés d’un code de procédure. Avec l’AMM, il ne faut pas faire n’importe quoi. Ça nécessite un réel accompagnement.

Alain Leclerc, directeur général de la Fédération des coopératives funéraires du Québec

À ce jour, un seul membre de la Fédération a reçu un cas d’AMM entre ses murs. « On a fait un post-mortem et son expérience nous sert pour réfléchir à la suite », précise M. Leclerc.

Celui par qui le « scandale » est arrivé, Mathieu Baker, propriétaire du Complexe funéraire Haut-Richelieu, qui a été le premier à offrir des « forfaits » à ses clients qui voulaient recevoir l’aide médicale à mourir, souhaite lui aussi que la ministre Bélanger précise sa loi. « J’ai essayé à plusieurs reprises de la joindre, dit-il. J’ai laissé des messages, j’ai envoyé des courriels. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Mathieu Baker, propriétaire du Complexe funéraire Haut-Richelieu

En gros, la situation actuelle est la suivante : on nous dit “vous avez le droit de le faire, mais vous ne pouvez pas en parler et vous ne pouvez pas charger pour louer l’espace”. Or, quelqu’un qui reçoit l’AMM à l’hôtel va payer pour sa chambre. Cette loi mérite des clarifications.

Mathieu Baker, propriétaire du Complexe funéraire Haut-Richelieu

Autre situation qui soulève des questions chez certains concurrents : une conférence sur l’aide médicale à mourir qui se tient dans les locaux du Complexe funéraire Haut-Richelieu est-elle considérée comme de la promotion indirecte d’un service ? La conférencière, Josée Poissant, titulaire d’une maîtrise en éthique, ne fait jamais la promotion de l’AMM durant sa conférence (une personne du ministère serait même allée s’en assurer), mais les publicités annonçant sa conférence arborent le logo du complexe. Au bureau de la ministre Sonia Bélanger, on répond que ce n’est pas considéré comme de la promotion, tout en reconnaissant qu’on est sur une ligne mince. C’est le genre de situation qui fait dire à plusieurs propriétaires de salons funéraires qu’ils naviguent en zone grise. « C’est comme si on nous disait : on vous checke, et si vous vous plantez, on va vous donner une amende », observe André Gagnon, vice-président au Complexe funéraire Haut-Richelieu.

Une réputation à préserver

Frédérique Légaré souhaiterait, elle aussi, davantage de balises. « Sinon, dit-elle, c’est l’image de la profession qui va en pâtir. » Directrice générale des salons Lesieur et frère, une entreprise familiale située à Magog et à Saint-Jean-sur-Richelieu, Mme Légaré craint que les entreprises funéraires se retrouvent en apparence de conflit d’intérêts.

J’ai un malaise avec le fait que nous puissions bénéficier directement de l’AMM. Nos intérêts pécuniaires pourraient créer des comportements qui iraient à l’encontre de la protection de la population.

Frédérique Légaré, directrice générale des salons Lesieur et frère

« Si j’accepte l’aide médicale à mourir d’une personne chez nous, c’est sûr qu’après ça, elle n’ira pas chez mon compétiteur pour organiser ses funérailles. C’est moi qui vais faire tout le reste. Au final, c’est notre façon de gagner notre vie. »

Il y a des règles très claires qui sont établies dans le domaine funéraire, rappelle la jeune femme : « On n’a pas le droit de solliciter une population d’un certain âge dans les RPA, on n’a pas le droit de faire du porte-à-porte ou de la sollicitation téléphonique. C’est très rigide et c’est pour protéger la population vieillissante afin qu’elle ne se fasse pas attraper par des gens qui ont un intérêt pécuniaire en regard à leur situation. »

« En ce moment, ajoute Mme Légaré, il n’y a pas de règles, pas d’encadrement et je trouve que c’est préjudiciable à l’intégrité de la réputation de l’industrie. Les gens pourraient penser que nous sommes motivés par l’appât du gain. Moi, je ne veux vraiment pas embarquer là-dedans. »