En 2022-2023, 5211 Québécois ont eu recours à l’aide médicale à mourir (AMM). De ce nombre, une vingtaine de personnes l’ont reçue au salon funéraire.

Elles ont choisi cette option pour plusieurs raisons : elles n’avaient pas envie de pousser leur dernier souffle dans une chambre d’hôpital, elles n’avaient pas accès à une place en maison de soins palliatifs, et elles ne voulaient pas mourir à la maison afin de préserver les souvenirs de leurs proches.

La réaction au reportage de mon collègue Hugo Pilon-Larose a été très vive.

Lisez l’article « Soins de fin de vie : aide médicale à mourir inc. »

En pleine commission parlementaire, la ministre Sonia Bélanger a dû modifier sa loi sur l’élargissement de l’AMM pour préciser que les gens avaient le droit de mourir à l’endroit de leur choix. Elle y a mis deux conditions : on ne peut pas faire la promotion ou la publicité d’un service en l’associant directement ou indirectement à l’aide médicale à mourir, et on ne peut pas imposer des frais en lien avec l’AMM.

Je ne sais pas si je choisirais de finir mes jours dans un salon funéraire, mais je comprends tout à fait les raisons qui peuvent motiver les gens à faire ce choix.

Je me dis que si, collectivement, on fait confiance aux salons funéraires pour accompagner le deuil, pourquoi ne pas faire confiance à leur professionnalisme et à leur éthique pour accueillir l’aide médicale à mourir ? Si l’industrie est bien encadrée, le choix du lieu où l’on meurt ne devrait-il pas être une décision qui nous revient ? J’ai eu envie de revenir sur le sujet pour en savoir plus sur l’expérience des familles qui avaient fait ce choix. Et pour mieux comprendre quel avait été l’impact de cette nouvelle réalité dans l’industrie des services funéraires où, m’avait-on dit, des propriétaires de salon ressentaient un certain malaise.

Une expérience positive

« Ceux qui sont contre ça ne l’ont jamais vécu », me lance Maxime Signori Marleau. Sa mère, Dominique Signori, est la première personne au Québec à avoir reçu l’aide médicale à mourir dans un salon funéraire, le 15 mars 2023.

« Ma tante venait de mourir à l’hôpital et ça n’avait pas été super, alors il était hors de question pour ma mère de mourir là, me confie le fils de Mme Signori. Elle ne voulait pas mourir à la maison non plus par souci pour nous qui allions rester après », poursuit-il.

Mme Signori s’est éteinte entourée de quelques proches, dont sa mère et son fils. Deux employés du complexe funéraire étaient présents dans la pièce, en retrait.

Ça s’est fait très amicalement, comme si on les connaissait depuis 10 ans. Ma mère était encore en forme physiquement, alors elle est arrivée au salon à pied. On a bu des cafés brésiliens, on a écouté de la musique, puis elle est partie… J’ai vraiment aimé comment ça s’est passé, de façon très humaine. Je dirais que mon expérience a été 100 % positive.

Maxime Signori Marleau

Depuis ce jour, le Complexe funéraire Haut-Richelieu a accueilli 16 cas d’aide médicale à mourir, dont celui de Jean-Paul Soulié, un ancien collègue de La Presse, mort le 23 janvier dernier. Sa conjointe, Colette Dorion, me confie que l’hôpital n’était pas une option pour M. Soulié. « Cela s’est fait dans la simplicité et le calme », précise-t-elle avec pudeur.

Tout sauf l’hôpital

« Je pense que les gens sont prêts à avoir une discussion collective à propos du lieu où ils souhaitent mourir, croit le DRichard Dumouchel, qui pratique l’AMM depuis 2016. Je ne dirais pas d’emblée à un patient qu’il y a un salon funéraire qui offre cette option, mais si mon patient m’exprime le souhait de ne pas mourir à la maison ou à l’hôpital, je me sentirais à l’aise de lui dire que cette possibilité existe. »

Pour son collègue le DLaurent Boisvert, cette nouveauté n’a rien de surprenant. « Les gens ne veulent pas partir en petite jaquette bleue », me confirme le médecin qui pratique exclusivement l’AMM depuis 2020. Au cours des dernières années, il a administré l’AMM dans un parc, dans une chambre d’hôtel, dans un jardin… « Ça répond à un besoin, souligne-t-il. Pour moi, l’hôpital, c’est l’option de dernier choix. »

Le médecin ajoute qu’il n’est pas toujours possible de recevoir l’AMM à l’hôpital. Et quand c’est possible, il arrive qu’il faille souvent libérer la chambre rapidement. « Ça dépend du centre hospitalier », affirme-t-il.

Oui, les hôpitaux font des pieds et des mains pour aménager un espace, mais avec le brouhaha, l’intercom, etc., ce n’est pas toujours un contexte serein. Si vous avez une chambre privée au CHUM ou au CUSM, c’est super. Mais ce n’est pas représentatif.

Le DLaurent Boisvert, qui pratique exclusivement l’AMM depuis 2020

Le DBoisvert estime que la société québécoise a évolué. « En 2015, les gens malades qui voulaient mourir se jetaient en bas d’une falaise. Il y a eu un rejet viscéral de la religion et aujourd’hui, les gens nous disent : vous ne me direz pas comment mener ma vie ni comment je vais mourir. »

Selon lui, la ministre responsable de la loi sur l’AMM, Sonia Bélanger, n’a pas à s’inquiéter d’éventuels dérapages. « Il n’y a pas beaucoup de contextes médicaux où tu dois obligatoirement avoir un deuxième avis et un consentement écrit, insiste-t-il. Que les gens se rassurent : on n’est pas en train de tuer du monde qui ne veut pas mourir ! »