Même si l’opération à un genou s’est bien déroulée, la skieuse Valérie Grenier devra aiguiser sa patience pendant sa rééducation, qui s’annonce plus longue que prévu. Son orthopédiste fait le point.

Bien que propriétaire d’un condo sur les pentes à Tremblant, le DSébastien Simard, pourtant un amateur de ski alpin, a raté la Coupe du monde de décembre dernier, tenue 40 ans après la première présentée dans la station reine des Laurentides. La faute à un ami qui fêtait ses 50 ans à Montréal. Il est hors de question que l’orthopédiste manque le second rendez-vous en décembre prochain.

Si son plan se concrétise, Valérie Grenier fera alors son grand retour en compétition après ses graves blessures encourues lors d’une chute en super-G à la Coupe du monde de Cortina d’Ampezzo, le 28 janvier. Cela fera alors 10 mois que la skieuse de Mont-Tremblant aura subi une opération de reconstruction du genou droit, soit une période de rémission plus longue qu’elle le souhaitait à l’origine.

« En langage de ski, c’était une run parfaite », lui a pourtant annoncé le DSimard après avoir effectué l’intervention d’une durée d’un peu moins de trois heures, le 12 février, au Centre d’excellence d’orthopédie de Montréal (CEOM), une clinique privée située à Laval.

La blessure était plus sérieuse que le diagnostic initial prononcé dans un hôpital d’Innsbruck, où la skieuse s’était rendue pour subir une opération à l’épaule gauche visant à replacer son humérus fracturé.

Non seulement le ligament croisé antérieur (LCA) de son genou était-il entièrement rompu, mais le ligament collatéral interne (LCI) avait lui aussi cédé complètement plutôt que partiellement. Le ménisque latéral était également déchiré. En raison de l’hyperlaxité articulaire et du statut d’athlète de haut niveau de la patiente, le médecin a procédé à une autre intervention pour renforcer la stabilité du genou.

« Heureusement, toutes les étapes ont super bien été, s’est réjoui le DSimard dimanche soir. C’est une jeune femme en parfaite santé, avec des capacités physiques hors norme. C’est agréable d’opérer ces gens-là parce qu’ils guérissent bien puisqu’ils ont des tissus de bonne qualité. Quand tu fais des points, c’est solide. Les os sont aussi solides. »

En partant avec du bon matériel, ça donne souvent de bons résultats.

Le DSébastien Simard

Le chirurgien a dû composer avec un défi supplémentaire : le clou de titane inséré dans le tibia de l’athlète de 27 ans, vestige d’une précédente intervention en 2019, quand elle s’était fracturé quatre os après une chute aux Championnats du monde en Suède. Un autre orthopédiste avait jugé nécessaire de le retirer au préalable, alors que le DSimard pensait être en mesure de l’éviter, ce qu’il a réussi.

« Comme je l’ai dit à Valérie à la fin, un peu à la blague : personne n’aurait fait mieux, peut-être égal, mais pas mieux ! », a raconté le spécialiste du genou, qui pratique aussi dans le réseau public à l’hôpital de Saint-Eustache.

« Jeune et moderne dans ses techniques »

Skieur alpin et ex-combattant en arts martiaux mixtes, le DSébastien Simard a fait parler de lui il y a une douzaine d’années quand il a dû reconstruire un genou de Georges St-Pierre (GSP). Pour une question d’assurances, le champion mondial s’était finalement rendu aux États-Unis pour l’intervention.

Le chirurgien a cependant opéré GSP pour d’autres blessures et il est par la suite devenu un spécialiste de confiance pour d’autres athlètes de l’Ultimate Fighting Championship (UFC). Il a remplacé un genou d’Ellen Mathiesen, la mère d’Erik Guay, toujours monitrice à Tremblant, et opéré Scott Livingston, le préparateur physique de Guay et de Grenier.

Ce n’est pas uniquement ce qui a convaincu Valérie Grenier de choisir le DSimard parmi les orthopédistes proposés par la coordonnatrice médicale de Canada Alpin, la Dre Marie-Ève Lefebvre.

« Je lui ai parlé sur FaceTime et il avait l’air d’avoir beaucoup d’expérience, mais d’être aussi jeune et moderne dans ses techniques, a expliqué Grenier lundi matin. Je n’ai eu que de bonnes recommandations à son sujet et j’ai vraiment aimé sa vibe. »

En dépit d’une pratique de près de 25 ans, le DSimard admet avoir ressenti une certaine fébrilité le matin de l’opération, au même titre que ses collègues au CEOM.

« Il n’y a aucune personne que j’opère mieux qu’une autre – je suis toujours pleinement concentré –, mais il y a un stress supplémentaire quand c’est une athlète de haut niveau connue, et que tu sais que plein d’autres chirurgiens se seraient portés volontaires pour le faire. Tu as de la pression sur les épaules et il faut être prêt à l’assumer. Au début de ma carrière, je ne pense pas que j’aurais été prêt. »

Forage

Curieuse de nature, Grenier était consciente pour la première partie de la procédure, soit l’arthroscopie et la suture du ménisque, coussin cartilagineux assurant la répartition du poids, la stabilité et l’absorption des chocs entre le tibia et le fémur. Elle a été placée sous anesthésie légère pour « le travail un peu plus hard core ».

Le LCA de Grenier n’était pas réparable, comme pour 90 % des victimes de cette blessure fréquente en ski alpin, si bien que le DSimard a dû procéder à une reconstruction. Plutôt que la greffe d’un tendon provenant d’un cadavre – allogreffe –, le DSimard a choisi une autogreffe pour remplacer le ligament. Dans le cas d’une athlète de pointe, cette option réduit de beaucoup les risques de récidive, sans les éliminer totalement. En revanche, elle implique de prélever un greffon – dans ce cas-ci deux tendons du muscle ischiojambier –, ce qui n’est pas sans conséquence.

« La majorité des gens vont garder une petite faiblesse, mais elle est pratiquement impossible à ressentir s’ils font bien leur récupération. Bien sûr, on parle ici de quelqu’un qui fait bien les choses. »

PHOTO GABRIELE FACCIOTTI, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Valérie Grenier en action à Cortina d’Ampezzo, le 27 janvier dernier

À l’aide de trois incisions et de trois trous pour y glisser une caméra, le DSimard a foré un tunnel dans les têtes du fémur et du tibia. Il a ensuite inséré le tendon dans ces cavités avant de les attacher avec des boutons. Avant de les fixer de façon définitive dans l’os, il a évalué la mobilité du genou pour ajuster la longueur du « ligament ».

Avec le temps et la vascularisation du tendon, celui-ci se transformera carrément en ligament de manière naturelle. « Ce processus, qu’on appelle la ligamentisation du greffon, prend jusqu’à six mois avant que ce soit solide. »

Le LCI, lui, a la « capacité de guérir » s’il est opéré rapidement. Le DSimard l’a donc rattaché. « La reconstruction du ligament collatéral interne donne de moins bons résultats qu’une réparation. Si on peut l’attraper tôt, comme c’était le cas chez Valérie, on peut le réparer en toute confiance que ça va bien guérir. »

« Des moments plus difficiles que d’autres »

La suite appartient au processus de rééducation, à la nature et à la résilience de la patiente. « C’est comme à la boxe, a illustré l’orthopédiste. Le coup de poing qui te fait mal est celui que tu n’as pas vu venir. La première fois que les gens se blessent, ils s’attendent à avoir de la douleur ou de la difficulté à marcher. Rarement va-t-on leur parler de la difficulté psychologique. »

Or, Valérie Grenier est déjà passée par là : elle a dû se soumettre à une deuxième intervention après des complications en 2019, ce qui lui a fait rater toute la saison suivante. « Pour nous, c’est un gros atout, a souligné le médecin. Elle sait comment vivre une rééducation. Elle a donc déjà entamé le processus. »

Aux bons soins de sa mère à la résidence familiale de Lefaivre, sur la rive sud de la rivière des Outaouais, face à Montebello, Grenier a commencé la physiothérapie en appliquant de la glace pour réduire l’inflammation et en effectuant des exercices pour retrouver la pleine extension de sa jambe, élément crucial durant les premiers jours suivant la procédure.

En raison de sa blessure à l’épaule, la Franco-Ontarienne ne peut pas utiliser de béquilles. Avant de pouvoir mettre du poids sur son genou – dans environ un mois –, elle est donc confinée à un fauteuil roulant… ou à la chaise de bureau à roulettes de sa mère.

Les premières nuits, c’était assez douloureux, mais là, je prends de moins en moins d’antidouleurs.

Valérie Grenier

Sinon, elle s’entraîne comme elle peut avec ses membres fonctionnels, utilisant notamment un système de courroies de suspension.

Le moral, lui ? « Ça ne va pas si mal, il y a des moments plus difficiles que d’autres », a-t-elle indiqué. Le plus pénible est d’être toujours assise ou couchée, et de ne pratiquement pas pouvoir mettre le nez dehors. « Je peux juste me placer devant la fenêtre et regarder le soleil. »

Quand elle fait une surdose de Netflix, elle lit, apprend l’italien et suit l’intégralité des épreuves de Coupe du monde. Pour l’heure, celle qui venait de signer sa deuxième victoire et son premier podium en descente ne veut même pas songer à une date de retour.

« Ce sera peut-être plus long qu’on pensait, mais je veux vraiment y aller un jour à la fois. Ça ne sert à rien de me demander combien de temps ça prendra. Ça dépend de tellement de choses. Je ne veux pas précipiter mon retour non plus et risquer de me reblesser. »

De sages paroles que son orthopédiste, qu’elle revoit mardi à Laval, applaudira. « Ses chances de retour au même niveau sont excellentes, a-t-il évalué. Et peut-être même mieux, car la période de rééducation permet aussi de travailler des trucs parfois négligés dans le feu roulant des compétitions. » À Tremblant ou ailleurs.

Plaidoyer pour l’orthopédie québécoise

Le DSébastien Simard se réjouit que Valérie Grenier ait confié son avenir sportif à un orthopédiste québécois. « Il y a cette idée que la médecine aux États-Unis est meilleure que celle au Canada, ce qui est complètement faux, a-t-il tranché. Avec l’accessibilité des informations, ce que je fais ici ressemble énormément à ce qui se fait en Europe et aux États-Unis. On a chacun notre recette personnelle, mais on parle tous de la même soupe. » Le spécialiste du CEOM note qu’il se rend parfois en Floride pour « coacher » des collègues américains et qu’il a procédé à un remplacement de genou pour Serge Savard. « On s’entend que M. Savard peut aller là où il veut. […] Il y a d’excellents chirurgiens au Québec. Je me débrouille, mais il y en a d’autres qui sont aussi très bons. Les gens n’ont pas besoin d’aller ailleurs. »