Sophie Fouron ne m’avait pas avertie d’apporter mes mouchoirs. Mais j’aurais dû me méfier…

J’aurais dû savoir que l’animatrice de Tenir salon, remarquable émission qui me tire une larme à tout coup, est dans la vie comme à l’écran. D’une sensibilité à fleur de peau, elle a cette façon unique de toucher le cœur des gens et d’insuffler une bouffée d’humanité dans le paysage télévisuel québécois.

Plus présente que jamais dans les médias, Sophie Fouron, que l’on peut voir notamment à la barre de La vie est un carnaval à TV5, n’a plus vraiment besoin de présentation. Mais comme c’était la première fois que l’on se rencontrait, j’ai malgré tout eu envie de lui poser la question qu’elle pose toujours aux invités de La vie est un carnaval : comment tu te décrirais à des gens qui ne te connaissent pas ?

Ses yeux se sont vite embués en évoquant la famille aimante et inspirante qui a fait d’elle ce qu’elle est. « Je pense que je suis vraiment la fille de mes parents et la sœur de mes sœurs… Quand je parle de ma famille, ça m’émeut. C’est comme une force, une chance, un privilège de venir de cette famille qui m’a donné tellement d’amour. C’est inouï, ce que ça m’a permis de faire… Je dis souvent que j’ai des racines et des ailes – pour paraphraser le titre d’une émission de TV5. »

Les racines de Sophie Fouron sont à la fois dans un verger de Rougemont où sa mère a grandi et aux Cayes, en Haïti, où est né son père. Sa mère, Pierrette Bienvenue, était infirmière. Son père, le DJean-Claude Fouron, disparu le 19 octobre 2022, est le fondateur de l’unité de cardiologie fœtale du CHU Sainte-Justine – la première du genre au Canada.

Médecin diplômé d’Haïti prêt à entamer sa dernière année de résidence en pédiatrie, le jeune DFouron pose sa valise à Montréal un jour de 1960, durant l’exode des cerveaux provoqué par la dictature de Duvalier. Le mot « résidence » n’est pas ici qu’une image. « Il est arrivé de l’aéroport directement à Sainte-Justine ! C’est là qu’il dormait. Il y avait des lits pour les résidents à l’époque. »

C’est dans ce même hôpital que les parents de Sophie Fouron se sont rencontrés pour ne plus jamais se quitter. Le début d’une grande histoire d’amour, entre cet homme brillant au grand cœur et cette infirmière première de classe et aventurière.

« Ils étaient amoureux jusqu’à la dernière minute. Je pense que c’était leur plus grande force dans l’adversité. C’était un amour foudroyant. »

De l’adversité, il y en a sans doute eu pour ce couple qui a vécu aux États-Unis dans les années 1960, alors que les unions mixtes étaient encore illégales dans certains États. Mais les parents n’en ont jamais soufflé un mot à leurs trois filles.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Sophie Fouron

À tort ou à raison, on ne parlait jamais de racisme chez nous. Mes sœurs et moi, on a ces conversations maintenant. Est-ce que mon père voulait nous protéger ou lui-même ne voulait pas en parler ?

Sophie Fouron

De son père, elle garde surtout le souvenir d’un grand humaniste qui, en soignant les petits cœurs, soignait les cœurs inquiets de leurs parents aussi. « Mon père disait que tout le monde avait la même valeur. Je garde ça très précieusement. Je trouve qu’il faut s’en souvenir tout le temps. Ne pas hiérarchiser selon ce que l’on fait ou d’où l’on vient… Toujours voir l’humain derrière. »

Elle ne compte plus le nombre de fois où des mères lui ont demandé, une gratitude infinie dans le regard, si elle était la fille du DFouron. « Chaque fois, c’est allô le mouchoir ! Mon père voyait ces femmes dans un moment de grande vulnérabilité, alors qu’elles étaient enceintes d’un bébé qui avait des problèmes cardiaques. Il opérait sa magie et son grand humanisme. »

Longtemps, Sophie Fouron a vécu en se souciant peu de la moitié haïtienne de son identité. « Ce n’est pas que je niais mon identité haïtienne. Mais je ne l’avais jamais célébrée. »

Elle a grandi dans le quartier Snowdon à Montréal, dans un milieu blanc privilégié avec des amies blanches. Elle ne s’est jamais sentie minoritaire. Avec son teint clair de métisse, elle trouvait assez commode d’avoir ce luxe de ne pas se sentir vraiment concernée par les enjeux liés au racisme.

Avec le temps, ça l’a rattrapée. Il y a eu un premier petit déclic provoqué par une question troublante, un jour où elle était sur son balcon avec sa fille de 2 ans. « Vous êtes la nounou ? », lui a demandé l’amie d’une voisine.

La question l’a blessée. Pourquoi cette inconnue présumait-elle qu’une femme qui prend soin d’un enfant au teint plus clair que le sien est forcément la nounou ? Et si elle se sentait blessée par un tel commentaire, comment se sentaient les gens au teint plus foncé que le sien qui vivent du racisme au quotidien ?

Le grand déclic s’est vraiment fait en 2018 quand Sophie Fouron est allée en Haïti pour l’émission Chacun son île. Un voyage de retour aux sources qui l’a bouleversée. « J’ai pleuré toute la semaine ! C’est comme si ma moitié enfouie était remontée à la surface… Je ne pouvais plus l’ignorer. »

Le fait de renouer avec ses racines s’est accompagné pour elle d’une forme d’engagement plus affirmé. Une volonté d’être plus solidaire et de ne plus se taire devant les injustices. « Le silence complice, ce n’est plus possible. »

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Sophie Fouron, en compagnie de Rima Elkouri

Depuis quelques années, que ce soit avec Tenir salon, qui nous invite à pousser avec elle la porte d’un salon de coiffure pour y découvrir les parcours inspirants de Québécois de différentes origines, ou avec le magazine de société festif La vie est un carnaval, elle a envie d’utiliser sa tribune pour aller à la rencontre de l’Autre. Donner une voix à des gens qui n’en ont pas. Laisser des personnes immigrantes qui ont fait tant de sacrifices se raconter. Une façon aussi pour elle de rendre hommage à son père, à ses compatriotes et à tous ceux et celles qui, comme lui, sont venus de loin.

Ma petite et humble contribution, c’est vraiment que l’on essaie de se comprendre mieux et de découvrir chez l’Autre qui ne nous ressemble pas des traits communs. Pour moi, ce n’est pas compliqué du tout. Parce qu’on a tellement plus en commun que de différences.

Sophie Fouron

En lice cette année encore au gala Dynastie, qui célèbre les réalisations exceptionnelles de personnes issues des communautés noires du Québec, elle me confie qu’elle était mal à l’aise la première fois qu’elle y a été nommée finaliste, alors qu’elle était justement en tournage en Haïti. « Je me disais : ce n’est pas ma place ! Je prends la place d’une autre personne ! Je ne sentais pas que j’avais la légitimité d’y être. J’avais aussi l’impression que c’était un peu une façon de ghettoïser les gens… Je t’en parle et j’ai des frissons. Parce que je me sens coupable d’avoir réagi comme ça. »

Je suis bien mal placée pour la culpabiliser davantage parce que j’ai réagi exactement de la même façon il y a plusieurs années quand je me suis retrouvée en lice pour des prix remis à des personnalités médiatiques arabes ou issues de minorités. Mais au fil du temps, ma réflexion sur le sujet, tout comme celle de Sophie Fouron, a évolué. Nous avons fini par saisir l’importance symbolique que revêtent ces prix, notamment pour des jeunes de minorités en manque de modèles.

Comme le dit Michelle Obama, que Sophie Fouron aime bien citer, il est difficile d’aspirer à une chose qui n’est pas visible. Difficile de se projeter et de déployer ses ailes quand personne ne nous dit que c’est possible.

Choyée par la loterie de la vie, l’animatrice mesure sa chance d’avoir eu à la maison des modèles aussi extraordinaires. « D’avoir une fondation si solide, ça permet de déployer tes ailes, de rêver. Ça me touche toujours quand je vois des gens qui ne sont pas partis de la même place, qui accomplissent des choses, qui réussissent, qui aident les autres… Ce sont des leçons de vie. Moi, je n’ai pas de mérite. J’ai été portée par une vague d’amour encore et toujours. »

Regardez Tenir salon sur le site de TV5Unis Regardez La vie est un carnaval sur le site de TV5Unis

Questionnaire sans filtre :

Le café et moi : le café est l’un des grands bonheurs de ma vie. Quand je voyage, je me pose toujours cette question : est-ce qu’il va y avoir du bon café ? Je traîne ma petite cafetière au besoin. La vie est trop courte pour boire du mauvais café ! J’aime le bon café, en bonne compagnie, idéalement sur une terrasse. J’en prends tous les jours un ou deux. Jamais après 14 h !

Des personnes que j’aimerais réunir à ma table, mortes ou vivantes : une tablée de femmes noires courageuses. Tracy Chapman, une artiste qui me fascine depuis toujours et que j’admire pour son intégrité, sa liberté, son courage d’être complètement elle-même. Harriet Tubman, une badasss afro-américaine qui était esclave et qui a consacré sa vie à libérer d’autres esclaves ; Christiane Taubira, une femme d’exception, tellement incroyable dans sa façon de se tenir debout. Elle a l’air le fun aussi !

Un livre qui m’a marquée : Americanah de Chimamanda Ngozi Adichie. C’est vraiment un bon roman. J’aime ce livre notamment parce qu’il y a des scènes qui se déroulent dans un salon de coiffure. C’est la vie d’une femme nigériane qui découvre le racisme aux États-Unis. Je l’inviterais bien aussi à ma table. Je pense qu’elle ferait lever le party !

Un livre que j’ai hâte de lire : Nous, les autres, de Toula Drimonis (Somme toute). Ça touche à des enjeux au cœur de ma réflexion. L’immigrant invisible, si on le chasse ou lui ferme la porte, la société ne fonctionne plus.

Des mots qui m’inspirent : Mon père disait souvent : « Il est plus important de bien s’entendre que de vouloir avoir raison. » Ça résume tout… Alors, parlons-nous !

Qui est Sophie Fouron ?

  • Née à Montréal en 1969
  • Bachelière en science politique et titulaire d’une maîtrise en communication de l’Université de Montréal
  • Journaliste et ancienne globe-trotteuse, elle a animé Ports d’attache et Chacun son île (TV5)
  • Conceptrice et animatrice de Tenir salon (TV5)
  • Animatrice de La vie est un carnaval (TV5)
  • Coanimatrice avec Benoit McGinnis de Retour vers la culture (ARTV)