Pourquoi, Patrick Senécal, faites-vous de l’humour ? « Parce qu’il en manque dans nos débats, en ce moment. S’il y en avait plus, le monde irait mieux », répond l’écrivain.

Civilisés, son nouveau roman, montre l’étendue de sa palette. Après le thriller policier et fantastique, il s’aventure dans l’humour grinçant. Et puisque c’est Patrick Senécal, l’histoire vire à l’épouvante et elle pourrait mal finir…

Une fois de plus, le livre est bien accueilli. Notre critique Sylvain Sarrazin lui donne la note de 8/10⁠1. Mais l’auteur ne laisse pas le succès lui monter à la tête. « Je suis plus un raconteur qu’un styliste », lance-t-il.

À travers ce nouveau récit, il voulait explorer le mélange d’esprit de sérieux et de mauvaise foi qui contamine le débat.

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Comme auteur et comme lecteur, Patrick Senécal s’intéresse à la fois à l’humour et à l’horreur.

Le rire surgit là où on ne l’attend pas. Par exemple, dans certaines chroniques opiniâtres. « Des fois, je lis ça et je me dis : sacrament que c’est drôle ! Ça va tellement loin… » Il cible autant la droite que la gauche.

C’est devenu tellement dur de prendre du recul face à soi-même, de concéder quelque chose à l’autre. On manque d’humanité, on passe vite au procès d’intention.

Patrick Senécal

L’autre n’exprime pas seulement une idée avec laquelle on est en désaccord. Il devient une mauvaise personne. « Ça devrait pourtant être possible de parler d’un sujet sans y plaquer sa grille idéologique », dit-il.

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À cette étape de sa carrière, le principal danger pour Patrick Senécal est de se répéter et de s’ennuyer.

Le ton n’est pas fâché ni désespéré. Plutôt celui d’un observateur un peu incrédule.

Senécal est conscient que lui aussi parle d’un point de vue particulier. Il voulait éviter la caricature de l’artiste vieillissant qui « panique face aux wokes » ou qui « devient exactement celui qu’il se jurait de ne jamais devenir quand il avait 17 ans ».

Face à ces pièges, sa solution est simple : « fesser sur tout le monde ». Et cela, Civilisés le fait très bien.

Le premier flash du livre lui est venu en voyant la bande-annonce du film suédois Sans filtre. Le luxueux voyage d’influenceurs et d’ultra-riches sur un yacht vire au cauchemar.

Il a imaginé un voyage en bateau qui mène 12 volontaires à une obscure expérience sociale. Parmi eux : un médecin, une policière, un agronome, une étudiante militante, une avocate, un ingénieur, une écrivaine et un prof de philo. Ils n’ont rien en commun.

On ne dévoilera pas trop l’intrigue. Disons seulement ceci : dans cette microsociété, le vernis de la civilisation finira par craquer…

L’humour et l’horreur ne sont pas si différents, croit Senécal. Une scène d’horreur ratée devient comique, et l’humour qui ne fait pas rire provoque un malaise.

Senécal s’intéresse aux deux, comme auteur et comme lecteur. Lorsqu’il enseignait le cinéma au cégep de Drummondville, il a essayé d’en démonter les mécanismes, avec Monty Python and the Holy Grail. Il montrait la scène où un chevalier se fait démembrer, un morceau à la fois. Au terme de ce processus, il continue de défier son adversaire, comme si la victoire était encore possible. « Une étudiante est venue me voir. Elle disait : “Je comprends pourquoi vous trouvez ça drôle, mais ça ne me fait pas rire .” Autant en horreur qu’en humour, on ne peut pas forcer quelqu’un à aimer ça. »

Senécal se souvient d’une scène particulièrement violente dans Le vide. La plus sanglante de son œuvre, croit-il. « Un lecteur m’a dit que ça allait tellement loin qu’il a ri. Il faut savoir doser. […] Mais le plus important est de garder une cohérence interne au récit. Les personnages ne doivent pas se contredire eux-mêmes. »

C’était encore le but avec Civilisés. Il a d’ailleurs vérifié auprès de sa conjointe, qui est psychologue et sa première relectrice, si la réaction d’un personnage était vraisemblable.

Ce genre de défis, Senécal les relève bien, à en juger par son impressionnant parcours. Il compte déjà 23 romans, certains traduits dans plusieurs langues – y compris le polonais – et des lecteurs fidèles.

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Patrick Senécal et Paul Journet

À cette étape de sa carrière, le principal danger est de se répéter et de s’ennuyer. Pour se déstabiliser, une fois de plus, il est allé voir ailleurs s’il y était.

Ce qui ne change pas avec l’expérience scientifique funeste de Civilisés, c’est son goût de l’invention. Senécal ne parle pas de lui. Il n’aspire pas au réalisme. « Je n’ai rien contre ce genre. Ça peut être excellent. C’est juste que ce n’est pas moi. Je n’en suis pas capable », lance-t-il.

Ce qui revient souvent, en revanche, c’est la violence. Il ne s’en excuse pas. Pour lui, la littérature n’a pas à être gentille ou morale. « Je ne fais pas de morale, mais je pose des questions morales », nuance-t-il.

« La méchanceté fait partie de l’humain, enchaîne-t-il. À une époque, il y avait le cirque romain ou les exécutions publiques.

« Je m’intéresse à cette violence latente en nous. Elle signifie quoi ? On fait quoi avec elle ? »

Son livre Les sept jours du talion, devenu un film, vient en tête. Un père y torture le meurtrier de sa fille. « Il sait que c’est mal, et ça ne lui fait pas de bien, mais il est incapable de s’arrêter. Ça, c’est une situation qui m’intéresse. Je ne veux pas glorifier la violence, comme le fétichisme des guns dans le cinéma hollywoodien. Je ne veux pas non plus faire un héros vengeur qu’on aime malgré ses crimes. »

À travers ses histoires, Senécal vise autre chose : faire face à cette violence. Tout comme il scrute aussi notre esprit de sérieux, pour mieux en rire.

Même s’il est célébré, il n’a jamais voulu faire consensus. « C’est correct, les gens qui se sentent brusqués. On peut se sentir offensé. Mais inversement, il n’existe pas de droit à ne pas être offensé. »

Et on imagine que si un militant déforme son récit pour l’attaquer, il pourrait, peut-être, en tout respect, trouver ça un peu drôle.

1. Lisez la critique de Civilisés de Sylvain Sarrazin

Questionnaire sans filtre

Mon rituel de café : Je ne bois pas de café, mais je bois un jus d’orange en écoutant la radio. Excitant, hein ?

Mon dernier livre marquant : Dolce Agonia, de Nancy Huston, que j’ai lu l’an passé. Ça date pas mal, je le sais, mais c’est le meilleur livre que j’ai lu dans les cinq dernières années.

Un livre que tout le monde devrait lire ? La vie devant soi, de Romain Gary

Un évènement historique auquel j’aurais aimé assister : La chute du mur de Berlin sur place

Une personne qui m’inspire ? Ma blonde. C’est quétaine, mais c’est vrai. Elle a tellement fait de moi un meilleur être humain.

Des gens avec qui j’aimerais souper ? Vivant : Trent Reznor (Nine Inch Nails) ; mort : Émile Zola

Un conseil pour un jeune artiste ? Ne deviens pas artiste pour être connu.

Qui est Patrick Senécal ?

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Patrick Senécal

Né à Drummondville en 1967, il étudie à l’Université de Montréal en études françaises puis enseigne pendant 13 ans au cégep de Drummondville. En 1994, il sort son premier roman, 5150, rue des Ormes. Mais c’est son livre Sur le Seuil, publié aux éditions Alire, qui le fait connaître en 1998. Depuis, il a publié près d’une vingtaine de romans qui ont été vendus à plus d’un million d’exemplaires, dont Aliss (2000), Hell.com (2009) et Flots (2022). Il a scénarisé trois films tirés de ses romans ainsi que la télésérie Patrick Senécal présente.