Dans La bête, son 10long métrage, Bertrand Bonello met en scène une femme qui, dans un monde où les émotions n’ont plus leur place, retrouve l’homme de sa vie tandis qu’elle purifie son ADN grâce à l’intelligence artificielle.

Libre adaptation de La bête de la jungle, nouvelle d’Henry James parue en 1903 où un homme, craignant une tragédie, passe à côté du bonheur de partager sa vie avec la femme qu’il aime, La bête, film d’anticipation mâtiné d’horreur de Bertrand Bonello, transpose nos inquiétudes et nos craintes face à l’intelligence artificielle qui envahit les différentes sphères de nos vies.

« Quand j’ai commencé à écrire sur l’intelligence artificielle, j’ai travaillé avec un chercheur. J’avais une idée assez précise des dangers, mais j’étais loin de me douter que l’année où le film serait fini, l’intelligence artificielle serait l’un des grands sujets de l’année. L’intelligence artificielle est un outil et il faut que l’être humain contrôle l’outil, et là, on a une vraie peur que l’outil soit le maître de l’humain. Donc c’est un film d’anticipation qui devient assez contemporain », affirme le cinéaste français rencontré lors de son passage à Montréal l’automne dernier lors du Festival du nouveau cinéma.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Bertrand Benello

De fait, l’an dernier, l’intelligence artificielle était au cœur des revendications de la grève des scénaristes et des acteurs aux États-Unis qui craignaient, dans un avenir rapproché, d’être remplacés par celle-ci. Dans la foulée, Tom Hanks et Zelda Williams, fille du regretté Robin Williams, avaient dénoncé l’utilisation de l’IA pour reproduire la voix d’acteurs décédés.

« Moi, je me suis amusé avec ChatGPT. Je lui avais demandé d’écrire un scénario à la Bertrand Bonello et en cinq ou six secondes, il a sorti quatre pages de traitement. Je ne veux pas dire que c’est génial, mais ce n’est pas nul. Dans trois ans, ce sera un million de fois plus puissant. Forcément, ça fait vraiment peur, mais on sait très bien que, notamment au niveau de la médecine, ça va être prodigieux. Après, il y a des questions d’ordre éthique, moral, politique, et c’est là qu’on est terrifié, surtout du côté politique parce qu’il faudrait que le monde entier s’accorde sur une espèce de charte morale… mais s’accorder avec la Russie ou la Chine, ce n’est pas évident, quoi. »

Campé en France et aux États-Unis, à trois époques différentes, 1910, année où la crue de la Seine a provoqué une grande inondation à Paris, 2014, avant que le mouvement #metoo prenne réellement son essor, et 2044, dans un avenir pas si lointain, La bête met en scène une femme, Gabrielle (Léa Seydoux), qui veut se débarrasser de ses émotions afin d’être en phase avec son époque.

PHOTO CAROLE BETHUEL, FOURNIE PAR MAISON 4:3

George MacKay et Léa Seydoux dans La bête, de Bertrand Bonello

« Outre le déluge à Paris, ce que j’aimais bien de 1910, c’était de prendre un moment où, quatre ans avant la guerre, l’on croit encore que le XXsiècle sera complètement lumineux, explique Bertrand Bonello. Dans la partie se déroulant en 2014, tous les discours que tient le personnage masculin sont d’Elliot Rodger, auteur d’une tuerie motivée par sa haine des femmes en 2014. Et pour 2044, j’avais envie d’un futur concret. Je voulais que ce soit un futur qu’on visualise parce que c’est demain et, avec un peu de chance, on sera encore là. »

Afin de vivre sans émotion, Gabrielle doit purifier son ADN. Au cours du processus, où elle revivra des pans de ses vies antérieures, elle renouera avec Louis (George MacKay), l’homme de sa vie. À chaque époque où elle le croise, Gabrielle craint une catastrophe imminente : « La peur est une émotion forte. La bête, c’est un plaidoyer pour rester vivant. L’émotion, quelle qu’elle soit, nous rappelle qu’on est vivant. »

«  Le film possible à nouveau »

Présenté à la Mostra de Venise l’an dernier, La bête a bien failli ne pas voir le jour. Rencontrant plusieurs difficultés pour obtenir du financement, Bertrand Bonello a reporté l’écriture du scénario afin de tourner Zombi Child (2019) et Coma (2022). Coproduit avec le Canada, le film a finalement obtenu sept millions d’euros (environ dix millions CAN).

« De pouvoir enchaîner deux films, l’un à 250 000  euros, l’autre à 7 millions, c’est ma vraie liberté. Si je faisais que des films à 250 000 euros, je serais frustré, et que des films à 7 millions, je trouverais ça pesant. Moi, j’aime bien les variations, ces grands écarts. »

Puis est arrivée la pandémie en 2020. Et en 2022, la mort accidentelle de Gaspard Ulliel, qui devait incarner Louis aux côtés de Léa Seydoux. C’est donc l’acteur britannique George MacKay, notamment vu dans 1917, de Sam Mendes, qui a repris le flambeau.

« La présence de George MacKay a apporté une grosse nouvelle couleur sur 1910, où l’anglais et le français se mélangent, où il y a un truc plus européen que je trouvais assez Henry James, dont la nouvelle est le point de départ du film, mais qui en est très loin. Et puis moi, surtout, ça m’a éloigné de Gaspard ; je n’aurais pas pu le remplacer par un acteur français parce qu’il y avait trop de comparaisons possibles. Là, c’est autre chose. C’est le même film, mais c’est autre chose. Pour moi, George a rendu le film possible à nouveau. »

En salle

Qui est Bertrand Bonello ?

Né à Nice en 1968, formé en musique classique, Bertrand Bonello accompagne des artistes sur scène avant de se tourner avec succès vers le cinéma.

En 1998, son premier long métrage, Quelque chose d’organique, tourné à Montréal, sa ville d’adoption, est projeté à La Berlinale dans la section Panorama.

En 2014, trois après L’Apollonide : souvenirs de la maison close, Saint-Laurent, qui sera son plus grand succès en salle, est sélectionné en compétition à Cannes.