Adam est un adolescent de 15 ans au physique non seulement ingrat, mais en prime polymorphe : il se métamorphose au gré des insultes. Et elles ne manquent pas, volent même plutôt bas, dans ce film d’animation complètement déjanté, où on ne sait trop s’il faut rire ou pleurer.

À voir l’accueil chaleureux réservé à Adam change lentement, premier long métrage signé Joël Vaudreuil, en salle ce vendredi, il faut croire que cette ambiguïté séduit. Lauréat du Grand Prix du Festival international du film d’animation de Niigata, au Japon, plus tôt cette année, le long métrage a également remporté le Grand Prix au Festival international d’animation d’Ottawa en septembre 2023. Présenté en première mondiale à Annecy (2023), son atterrissage en salle en France la semaine dernière (une semaine avant le Québec) a suscité à la fois enthousiasme et curiosité.

Film d’animation « audacieux sur la cruauté de l’adolescence », a titré Télérama, « fable poétique insolente sur l’identité », a commenté Les Échos, une « vraie et belle curiosité », a résumé Baz’art. Même Libération a trouvé ce « souffre-douleur » finalement « attachant ».

Le principal intéressé est le « premier surpris ». « C’est mon premier long métrage. Je n’avais pas d’attentes », a réagi Joël Vaudreuil, qu’on connaît comme batteur du groupe Avec pas d’casque (avec qui il part en tournée à la fin de l’été), rencontré il y a quelques jours.

En même temps, je pense que l’inconfort d’un adolescent est assez universel.

Joël Vaudreuil, réalisateur

Son Adam, au physique ingrat et anguleux, avec son dos courbé, ses bras (et ses seins !) ballants, au profil bedonnant, sans oublier sa petite moustache naissante, est un vrai cliché d’antihéros. Il attire évidemment les moqueries, et pas que de la clique populaire de son école secondaire. Sa propre grand-mère l’a traité de « long tronc » toute son enfance, en plus de le trouver « lent », « gros », en voulez-vous des insultes, en voilà. Voix rocailleuse de circonstance incluse, signée ici Isabelle Brouillette. D’ailleurs, en matière de voix, Joël Vaudreuil (qui signe évidemment la bande sonore, un brin angoissante, clin d’œil « aux vieux films d’horreur à la John Carpenter ») se paye ici la traite avec Simon Lacroix, Fabien Cloutier, Marc Beaupré, Sophie Cadieux, etc.

Mais attention, ceci n’est pas un film sur l’intimidation.

IMAGE FOURNIE PAR FUNFILM DISTRIBUTION

Scène tirée du film d'animation Adam change lentement

Je vois le film comme un coming of age animé, à l’humour noir et au rythme particulier.

Joël Vaudreuil, réalisateur

En un mot, dit-il, son « fantasme de spectateur ». Alors que les films d’animation flirtent habituellement soit avec la poésie, soit avec le trash, Adam change lentement est plutôt un film lent, à l’esthétique à la Beavis et Butt-Head, qui joue sur le malaise, à mi-chemin entre la comédie (décalée) et le drame (déjanté). On ne sait pas sur quel pied danser, et c’est voulu. « C’est écrit pour qu’une partie du scénario vienne de l’état du spectateur. Tout dépendant de l’état dans lequel tu es, tu vas en rire ou être triste, explique le réalisateur. Et moi, comme spectateur, j’aime cette ligne. »

L’ambivalence perdure aussi tout le long du film, puisqu’ici, effectivement, tout surprend : la grand-mère salement méchante, on l’a dit, mais aussi ce chat sans pattes dont Adam (Simon Lacroix) doit s’occuper, ce voisin torse nu chez qui il tond la pelouse tout l’été, et que dire de l’oncle simple d’esprit qui débarque chez lui ?

Marcher sur la ligne

En respectant plusieurs codes de la comédie adolescente, Adam change lentement compte évidemment sa scène de party joliment arrosé, et des maladresses en quantité. Mais l’humour vient ici moins des répliques que de l’absurdité de toutes ces situations (et on ne vous a pas parlé des sacs de cacas dans les arbres). Quant à la finale, sans rien divulgâcher, disons qu’elle joue encore et toujours sur cette fameuse ligne d’ambiguïté.

À noter que le tout est campé quelque part dans les années 1990, comme en témoignent les cassettes vidéo, téléphones fixes et autres magazines cochons cachés sous le lit. Légèrement autobiographique, Adam ? « La base du scénario, ce sont les émotions que le personnage ressent, répond Joël Vaudreuil. J’ai beaucoup pigé dans des inconforts que j’avais adolescent. » Des inconforts, à nouveau, assez « universels » : culpabilité mal placée, deuil d’une personne méchante qu’on n’a pas aimée (on vous laisse deviner qui), etc.

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Scène tirée du film d'animation Adam change lentement

Le côté « polymorphe » de son personnage, quant à lui, évidemment inventé, vient de l’intérêt de Joël Vaudreuil pour le « surnaturel », exploité dans ses précédents courts métrages, notamment La vie magnifique sous l’eau (2015). « On dirait que le surnaturel m’intéresse tout le temps, dit-il. Et puis c’est intéressant que ce volet soit lié aux interprétations du spectateur. » À nouveau, l’ambiguïté est de mise : est-ce réel, associé au ressenti d’Adam, ou à la perception des spectateurs ? À vous de voir !

Joël Vaudreuil s’est amusé et ça paraît. « J’avais envie d’un film où le personnage principal est davantage un observateur qu’un acteur, poursuit-il. Ces défis scénaristiques sont des plaisirs d’écriture. » Et grâce à sa petite équipe de production (Olivier Picard et David Pierrat de Parce Que Films), le résultat final est effectivement proche de son idée de départ. « Moins il y a de gens, moins tu fais de concessions ! La proposition est proche de l’idée de base », se félicite-t-il. C’est-à-dire un propos, et un ton, sur la fameuse « ligne » : « drôle, mais pas niaiseux ».

En salle