Le cinéaste australien George Miller a passé une bonne partie de sa vie dans les Terres dévastées de son héros Mad Max. Il est aussi derrière les films familiaux Babe et Happy Feet. Entretien avec un homme qui voit les bons côtés du monde afin d’imaginer les pires.

Il y a quelques jours, George Miller était au Festival de Cannes pour présenter hors compétition Furiosa : A Mad Max Saga, antépisode de Mad Max : Fury Road, succès commercial qui a décroché six Oscars en 2016. Quand nous lui avons parlé en entrevue virtuelle, mardi, il était maintenant à Toronto.

« Nous vivons dans un monde où il y a une impressionnante quantité de bienveillance, estime le réalisateur de 79 ans. Je suis arrivé en avion hier et tout s’est bien déroulé. Pour que cela se produise, le dévouement d’une foule de personnes, qui resteront anonymes pour la plupart, est nécessaire. C’est seulement quand ça va mal que nous en parlons. En écrivant le scénario de Fury Road, Nico Lathouris et moi appelions les Terres dévastées (Wasteland) le monde inversé. Ses habitants sont cruels entre eux, parce que pour survivre, ils doivent faire des choses qu’ils ne feraient pas autrement. L’exception est lorsque des comportements positifs sont observés. »

Comme spectateurs, nous sommes à la recherche de ces moments de grâce. Dans le film précédent, Max (Tom Hardy) et Nux (Nicholas Hoult) ont fait preuve d’altruisme. Cette fois-ci, c’est Praetorian Jack (Tom Burke). On pourrait dire qu’ils nous empêchent de sombrer dans le désespoir.

George Miller

George Miller explique qu’il commente rarement l’humanité de son œuvre. Les trois premiers Mad Max, sortis en 1979, 1981 et 1985 et mettant en vedette Mel Gibson, ainsi que Fury Road sont davantage reconnus pour leur esthétisme punk postapocalyptique et leurs intenses scènes d’action à haute vitesse. Furiosa ne fait pas exception, mais s’intéresse davantage aux gens qui peuplent ces lieux arides.

La compréhension de Chris

PHOTO JASIN BOLAND, FOURNIE PAR WARNER BROS.

Dementus (Chris Hemsworth, au centre) et des membres de son gang de motards

L’un de ces personnages est Dementus, interprété par Chris Hemsworth et son faux nez. Il est le chef d’un groupe de motards et ce sont ses hommes qui lui amènent Furiosa, alors âgée de 10 ans. Alyla Browne incarne la jeune fille débrouillarde et résiliente. Admiratif devant ces qualités, Dementus la prend sous son aile, à sa façon. Ayant lui-même perdu sa famille, il croit comprendre ce que sa prisonnière ressent.

« Je n’avais jamais rencontré Chris auparavant. Rapidement, j’ai découvert qu’il est une personne très complète pour un homme relativement jeune, raconte George Miller. J’ai ensuite connu ses parents, qui étaient deux importants travailleurs sociaux en Australie. Ce sont des pionniers pour le soutien aux enfants victimes de sévices. Toute la famille possède une connaissance approfondie des effets que ces situations peuvent avoir sur les jeunes. En lisant le scénario, il a bien mieux compris la dynamique entre Dementus et Furiosa que je l’avais imaginé. Il a même rédigé un journal sur son personnage. Il a ajouté une nouvelle dimension à cet homme tordu qui se voit comme un père ou un mentor. »

Laisser jouer son équipe

PHOTO CHRISTOPHE SIMON, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Les acteurs Chris Hemsworth et Anya Taylor-Joy flanquent le cinéaste George Miller lors de leur passage au Festival de Cannes, le 16 mai dernier.

Alyla Browne et Anya Taylor-Joy succèdent donc à Charlize Theron dans le rôle de Furiosa. Les deux ne partagent évidemment pas de scène, mais ont échangé plusieurs fois en compagnie de George Miller afin d’assurer une continuité dans l’évolution du personnage.

C’est un peu comme si j’étais l’entraîneur d’une équipe de basket. Les acteurs ont des compétences innées. En s’entraînant, ils en acquièrent de nouvelles. La préparation et les enseignements vont les guider, mais tu ne peux pas prendre part au match.

George Miller

« Leurs instincts vont leur faire faire des choses impossibles à anticiper, illustre le cinéaste. C’est un peu ce que je ressentais en regardant Alyla et Anya travailler avec Chris et c’est l’une des choses les plus excitantes de faire ce travail. »

Au centre de l’Australie

PHOTO FOURNIE PAR WARNER BROS.

Rictus Erectu (Nathan Jones) et Scrotus (Josh Helman), Joe (Lachy Hulme), qui contrôle la Citadelle, et The People Eater (John Howard), à la tête de Gas Town

L’histoire de celle qui deviendra l’impératrice d’Immortan Joe, avec la responsabilité de protéger ses femmes et de conduire l’indispensable camion-citerne de la Citadelle, a été ébauchée il y a longtemps.

« Pour que le récit de Fury Road, qui se passe presque en temps réel durant trois jours et deux nuits, soit cohérent, nous devions tout connaître des personnages et de la structure du monde dans lequel ils vivent. Nous avons écrit l’histoire de Furiosa, de son enlèvement jusqu’à ce qu’elle devienne impératrice, à 28 ans, afin de nous aider à préparer le tournage de Fury Road. Nos notes sont devenues un scénario. »

Plusieurs de ces notes étaient sous forme de scénarimage (storyboard). Dans une entrevue après la sortie de Fury Road, George Miller soutenait que 3500 planches avaient été dessinées pour bâtir son film. Le développement des technologies ayant évolué, la production de Furiosa s’est moins appuyée sur le scénarimage, mais ce qui avait été établi a été conservé.

La carte des Terres dévastées que nous avions conçue prend forme dans Furiosa. On voit où était la Terre verte, ainsi que les trois forteresses – la Citadelle, Pétroville (Gas Town) et le Moulin à balles (Bullet Farm).

George Miller

« Pour la première fois, on définit tout ce qui occupe le centre de l’Australie. On ne sait pas ce qui se passe sur les côtes, qui sont trop éloignées. On ne sait même pas si les villes existent toujours », souligne George Miller, mystérieux.

Où est Max ?

PHOTO JASIN BOLAND, FOURNIE PAR WARNER BROS.

Les War Boys d’Immortan Joe

Max Rockatansky n’est pas – vraiment – de Furiosa. Toutefois, à l’instar de l’héroïne, les grandes lignes de sa vie précédant les évènements de Fury Road ont été écrites il y a plus de 10 ans.

Les flashbacks qui hantaient Max tout au long du film de 2015 n’ont rien à voir avec la vieille trilogie. Ils sont le résultat d’un choc post-traumatique subi un an avant qu’il devienne le « sac de sang » de Nux. George Miller en fera d’ailleurs un long métrage si la réception de Furiosa est bonne.

« Dans Fury Road, on pouvait s’imaginer ce que Max avait vécu et comment ça l’affectait. Il y a tout de même place pour développer, conclut-il. C’est la nature de l’histoire que nous racontons. »

Furiosa : A Mad Max Saga est à l’affiche.