La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Arnold*, fin soixantaine

Arnold a une belle plume. Il a même déjà publié. Et pour séduire les femmes, et les emmener dans son lit, il leur écrit. Entretien avec un écrivain coquin.

Le sexagénaire a pensé annuler « 200 fois » avant de nous rencontrer. C’est que personne n’est vraiment au courant de son histoire, assez cocasse merci, à part son psy. Parce qu’il n’écrit pas n’importe quoi, on l’aura compris. Il scénarise en fait littéralement les fantasmes de ses correspondantes. Leurs désirs sont ses ordres, comme le veut l’expression, et dictent en plus sa prose. Et puis la suite des choses...

Mais commençons par le commencement. « Il y a plus de personnes qui ont été agressées dans leur jeunesse qu’on le croit », commence notre interlocuteur, installé en retrait, dans un restaurant achalandé du DIX30, un petit midi dernièrement. « J’ai été agressé trois fois, par trois personnes différentes. » Oui, trois hommes de son entourage, à 14, 16 puis 18 ans. « On n’oublie pas, enchaîne-t-il. Mais on ne veut pas le revivre dans sa mémoire. » Ceci explique cela ? Arnold attend d’avoir 24 ans avant sa toute première relation amoureuse. « Très tard, dit-il. J’avais peur... »

Cette histoire – avec une femme, comme toutes celles qui vont suivre –, qu’il qualifie de « platonique » et dont on ne saura rien, dure 20 ans. « Et puis je suis allé consulter, parce que je n’avançais pas, je ne vivais rien de satisfaisant. Et j’ai mis fin à la relation. »

Il se rembarque assez rapidement avec « une amie » avec qui, étrangement, la sexualité n’est pas plus épanouissante. « Platonique », répète-t-il. Sauf que cette fois, et au bout de quelques années, ils entament une conversation, façon de parler. « Si tu veux voir ailleurs, lui dit sa conjointe, je ne veux pas le savoir. » Une déclaration que notre Arnold prend pour une invitation. « Ce n’est pas ce que je cherchais, nuance-t-il. Je ne suis pas à l’aise avec ça. [...] Je suis un gars de parole. [...] Mais j’ai une libido tellement élevée ! »

Toujours est-il qu’après toutes ces années de vaches maigres, il s’inscrit rapidement sur un site « pour vivre [ses] fantasmes », quoique sans savoir exactement dans quoi il « s’embarque ». C’était il y a 20 ans.

Là, et un peu par hasard, il se met à échanger avec une femme ici, une autre là, et rapidement, la conversation finit par porter sur leurs fantasmes, justement. Comme il aime écrire dans la vie, notre Arnold s’amuse alors à les scénariser sur papier, ou plutôt sur clavier. « C’est ça qui allume ! Et qui crée le lien ! Mais ce n’est pas une stratégie, se défend-il en riant. J’aime écrire ! »

Ce n’est pas planifié ! C’est plutôt qu’à force d’écouter la personne, pour lui faire plaisir, j’écris un scénario.

Arnold

En 20 ans, il a dû écrire une quarantaine d’histoires. Si vous voulez tout savoir, oui, il les a presque toutes ensuite personnifiées, avec une bonne quinzaine de femmes différentes. « Plusieurs femmes ont eu droit à plusieurs scénarios », précise-t-il.

Pensez : différents jeux de rôle, notamment le cuisinier nu sous son tablier, ou encore le policier, des mises en scène situationnelles, comme faire l’amour sous la pluie, sur le bord de l’autoroute, ou encore sous un pont. « Des fois en public, des fois en privé. » Fait à noter : oui, la majorité de ses rencontres ont été ainsi « scénarisées ». « Je dirais que oui... »

« Je n’ai jamais eu d’aventure d’un soir, précise aussi Arnold, et ç’a toujours été avec des femmes sur ce site. Et oui, toutes avaient des conjoints. » Il a aussi sa lecture de la situation, aussi inhabituelle soit-elle. « Ce qui ressortait, constate-t-il, c’est que leurs conjoints ne portaient pas attention à ce qu’elles aimaient, ou ce qu’elles aimeraient vivre, ou se faire faire. »

Inversement, lui si. Mieux : « le scénario semble allumer la flamme », dit-il en souriant. Et on devine que la relation qui s’en suit est d’autant plus excitante. Forcément : « En général, c’est plus intense, oui. Je dirais pour les deux. Il y a déjà une prédisposition, ça allume, ça augmente le désir, les attentes, l’intensité ! Je ne pensais jamais parler de même ! », éclate-t-il de rire.

Non, il n’en a jamais ne serait-ce que glissé un mot à sa conjointe. « Elle ne veut pas le savoir », répète-t-il. Et à ce jour, il n’est toujours pas très « à l’aise » avec tout ça. « Ça m’a beaucoup perturbé. J’en ai parlé beaucoup avec mon psy. Et la beauté de ça, c’est qu’il n’est pas là pour te juger, mais juste pour te faire réaliser ce que tu ressens et ce dont tu as besoin... »

Pour toutes sortes de raisons, Arnold a cessé de fréquenter ce fameux site dans les dernières années. Il s’est alors tourné vers les services d’escortes (et ça non plus, il n’en est pas très « fier »), jusqu’à ce qu’il croise une énième femme, dans un ascenseur cette fois, et assez récemment. Une « étincelle » plus tard, et notre homme et la dame en question (de 70 ans !) se mettaient à échanger. Pour la première fois de sa vie, Arnold a ici une aventure avec une femme plus âgée, mais ce n’est pas tout : il a surtout cette fois scénarisé son propre fantasme. À lui ! « J’allais la rejoindre au milieu de la nuit », résume-t-il. « Et... on l’a réalisé ! »

Depuis, ils se voient quand ils peuvent, et il se demande même s’il n’est pas un peu amoureux. « Mais oui, j’aime ma conjointe, précise-t-il ici. C’est une excellente amie et partenaire de vie ! »

Morale ? « Est-ce qu’il doit y en avoir une ? », répond Arnold. « Pour moi, avance-t-il, l’amour unique n’existe pas. Et puis j’ai appris que la fidélité, c’est dans la tête. [...] J’ai aussi appris que si tout le monde aime le sexe, personne ne l’aime de la même manière. » Ah oui, ajoute-t-il avant de nous quitter : « Et personne n’est parfait, mais ce n’est pas parce que tu as une double vie que tu es bon ou mauvais... »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat

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