La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Martin*, début quarantaine

Martin* y a pensé, a fantasmé solide sur le projet, puis a reculé. Voici pourquoi.

Le quadragénaire, en couple depuis 10 ans, nous a écrit dernièrement parce qu’il était fâché. Tanné de lire des récits de polyamoureux « heureux », d’ouverture « libératrice », comme si la non-monogamie était une panacée, il a voulu remettre les pendules à l’heure. Non, ce n’est pas forcément la « solution », en tout cas pas pour tout le monde, tient-il ici à nuancer.

Assis sur un banc de parc, notre interlocuteur vide son sac gentiment. Il faut dire que les derniers mois ont été assez éprouvants. Pourtant, il a toujours été « open », débute-t-il. Précision : « pas comme la fille de la semaine dernière ! », rajoute-t-il, en allusion au témoignage d’une certaine Laura* à la vie assez libérée, merci.

Lisez « L’ouverture de Laura »

N’empêche : sa première relation sexuelle, vers 22 ans (« C’est tard, je ne pognais pas ! Je suis gêné ! »), se passe dans une relation ouverte. « Elle voyait plusieurs gars en même temps. Ça allait bien. Je savais dans quoi je m’embarquais. »

De son côté, Martin est plus sage. Il cherche « LA femme de [sa] vie » : « Celle avec qui j’allais passer ma vie et avoir des enfants. » Avant de la trouver, il a quelques blondes et une poignée de « fuck friends », rien de trop significatif, juste assez pour apprendre à communiquer ses désirs et à exprimer ses limites. Ah oui, et vivre un certain fantasme : faire l’amour en forêt. « Et c’est pas mal moins le fun que dans les films ! », assure-t-il en riant.

Toujours est-il qu’au tournant de la trentaine, Martin rencontre finalement la mère de ses enfants. Madame sort d’une relation toxique, et il incarne à ses yeux l’« inverse » : « Je ne suis pas manipulateur, je suis ouvert au dialogue, j’encourage mes partenaires à être elles-mêmes et à exprimer leurs besoins. Comme moi, je me permets d’être moi-même. »

Au lit ? « Très bien », sourit-il. Certes, l’arrivée des enfants est éprouvante (« elle n’était jamais dedans »), mais ils surmontent cela ensemble et dans la communication. De son côté, Martin se fait « patient », et madame apprend à dire plus clairement ses « envies », illustre-t-il.

Les enfants grandissant, le couple se met à explorer. « Pendant la pandémie, on avait juste ça à faire ! » Et ? « Et on a exploré le sexe anal ! Ça a été une révélation. Elle ne savait pas qu’elle était ouverte, et moi, je ne savais pas que je pouvais prendre plaisir à ça ! »

Mieux : « Les deux, on a découvert qu’on pouvait sortir de nos habitudes ! »

Tout va pour le mieux, croit-on (à tort), quand notre interlocuteur ajoute alors, et à ce moment précis de l’entretien : « Mais il y avait un problème. » Lequel ? « Je suis dépressif. »

Il s’explique : la vie au boulot est difficile, le quotidien avec de jeunes enfants est exigeant, bref, il en arrache. Et si cela n’a étrangement pas de répercussions immédiates sur sa vie sexuelle, ça en a d’importantes sur sa relation. C’est qu’il devient impatient, négatif, désagréable – « je m’apitoyais beaucoup sur mon sort » –, et madame s’éloigne tranquillement. « Elle sentait moins d’amour. »

Or voilà qu’une semaine où son couple va particulièrement mal, elle arrive tout à coup avec une proposition. « Et si on essayait le polyamour ? », paraphrase-t-il, avant de se corriger : « Le terme exact, c’est : et si on pratiquait la non-monogamie ? » C’était l’hiver dernier.

D’abord, Martin n’est pas contre. « OK, ça pourrait me tenter. Je voyais ça comme une curiosité sexuelle. » Pendant une semaine, l’idée fait du chemin jusque dans leurs ébats : « Le sex talk pendant l’amour, dit-il, on s’imagine un trip à trois, à quoi ça ressemblerait, et on se met vraiment dedans ! »

La lune de miel est toutefois de courte durée.

Ça a duré une semaine. Après, je me suis mis à paniquer complètement.

Martin, début quarantaine

C’est que d’un coup, en discutant des règles (on suit le rythme de l’autre, on ne veut rien savoir des détails, etc.), Martin se fige. Ses idées (négatives) s’emballent. « Je me suis rappelé que je déteste dater ! Je déteste la cruise ! Je suis de même ! Je me sens comme un prédateur ! »

Madame tente de le rassurer, en vain. Ses mots, loin de l’apaiser, attisent en fait ses insécurités : « Elle me dit qu’elle ne veut pas non plus se faire un gars par semaine. Mais plutôt du polyamour : trouver quelqu’un avec qui vivre une intimité. » Réaction ? « Je capote ma vie. »

Exit d’un coup les scénarios inspirants, l’idée même de voir sa blonde dans les bras d’un autre le « dégoûte ». « Et j’ai fait la pire crise d’anxiété de toute ma vie », laisse tomber Martin, qui se retrouve alors en petite boule par terre, paralysé…

La crise jette évidemment un froid sur le projet, qu’ils mettent d’un commun accord sur « pause ». « Et j’ai commencé à aller mieux… »

On l’aura compris, l’histoire ne s’arrête évidemment pas là. Quelques semaines plus tard, madame lui fait un aveu. C’était écrit : elle a en fait retrouvé quelqu’un – une « ancienne flamme » –, et l’idée d’ouvrir le couple vient de là. « Il ne s’est rien passé, assure Martin, mais elle a senti une connexion. » Et songé à l’explorer. Visiblement, l’anxiété de Martin a fait avorter le projet.

Nouvelle épreuve, sauf que Martin comprend ici qu’elle l’a tout de même choisi, lui. « Elle m’aime vraiment ! », réalise-t-il. Suivent d’énièmes rapprochements. « Encore une fois, confirme-t-il, et on a eu des baises d’enfer ! » Seulement voilà : madame n’a toujours pas fait une croix sur le projet (avec ou sans l’autre, ce n’est pas exactement clair à ce moment), mais propose d’y aller à son rythme, selon ses envies. Elle suggère d’essayer un club libertin, pourquoi pas acheter de nouveaux jouets ? « On vivait nos fantasmes, dit Martin. On était sur un nuage. Et on a eu parmi les meilleures baises de notre vie. Wow ! »

Une semaine avant notre rencontre, re-crise. Madame ne va pas, et Martin comprend enfin ce qui se passe : non seulement elle n’a pas fait une croix sur le projet, mais elle n’a pas (encore) fait une croix sur le gars. Jusque-là, du moins.

Et je me retrouve en train de consoler ma blonde de sa peine d’amour d’un gars avec qui elle voulait vivre un polyamour !

Martin, début quarantaine

Comment il se sent ? ose-t-on. « Je ne sais pas. Je ne sais plus, répond-il. Je ne m’attendais pas un jour à vivre ça dans ma vie. […] C’est bizarre ! Même elle, elle trouve ça ridicule ! »

Tout cela pour dire qu’au cas où l’on n’aurait pas compris : « c’est compliqué ! », conclut Martin. « Est-ce que tant que ça restait dans le fantasme, ça me plaisait ? Et quand vient le temps de concrétiser, je manque de confiance en moi ? » Chose certaine, « il doit y en avoir beaucoup de gars – et de filles – comme moi, ajoute-t-il. Et peut-être qu’il y a des gens qui s’engagent là-dedans, et ça ne leur tente vraiment pas ! » Qu’on se le dise : « C’est mauditement dur ! »

*Prénom fictif, pour protéger son anonymat

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