La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Louise*, début quarantaine

Louise a entamé une transition en se séparant, tout récemment, autour de 40 ans. En douceur, et « petit à petit », répète celle qui, enfant, se souvient de différentes envies « honteuses ». Cette « honte » enfin derrière elle, voici son récit.

Elle nous accueille avec un petit sourire discret, dans son coquet appartement du Plateau, un matin dernièrement. Sous ses cheveux bouclés attachés et ses ongles bleus manucurés, on est loin d’imaginer tout le chemin parcouru.

Pourtant, Louise, début quarantaine, a été Louis* presque toute sa vie. « J’ai longtemps pensé que c’était une question d’orientation, dit-elle d’emblée. Et puis, petit à petit, j’ai compris qu’il y avait un ensemble de choses, mais que le genre était le plus gros du questionnement. »

Et cela remonte à loin. Était-ce à 7 ans ou 14 ans ? Impossible de le dire. Toujours est-il que, très jeune, notre interlocutrice, qu’on appellera Louise tout le long ici, se souvient d’avoir « découvert le travestisme ». C’est le mot qu’on employait à l’époque. « J’aimais porter les vêtements de ma mère. » Née dans une famille d’artistes bricoleurs, elle s’amuse en outre à se « bricoler » des jouets. Pas n’importe lesquels : « Je me fabriquais des pénis. Et j’ai découvert la sodomie à cette époque. [...] Mais c’était quelque chose de honteux ! » Elle arrête aussi net quand un ami se « fout » d’elle. « Et je pense que ça a fermé quelque chose... »

Elle n’a toutefois pas d’intérêt pour les garçons. « Non, pas tant, à aucun moment... »

Elle vit une première relation sexuelle « très difficile » avec une copine, autour de 17 ans. Difficile ? « Je n’arrivais pas à la pénétrer. Ça a pris vraiment du temps. » Idem avec les quelques filles qu’elle fréquente ensuite, avant de rencontrer, à 18 ans, sa femme, et la mère de ses enfants.

« On a été ensemble 20 ans », poursuit notre Louise tout doucement, d’un ton qui ne la quittera pas de l’entretien, mêlant confidences et réflexions, le fruit de plusieurs années de thérapie. C’est qu’au lit, ça ne se passe pas vraiment mieux. « La sexualité, pour elle, ça n’était pas le truc le plus important. Et ç’a été une frustration pour moi longtemps. » En effet, Louise a alors « soif », comme elle dit, « d’essayer des choses, plein de trucs, et je gardais beaucoup de culpabilité dans ma tête ».

Dans sa tête ? C’est qu’elle a « honte » de ses envies de « féminisation », allant de la soumission à la sodomie, des fantasmes qu’elle met aujourd’hui sous le couvert plus large d’une « jalousie de l’univers féminin ». Alors non, ses « envies » ne sont pas un sujet de conversation dans son couple.

C’était assez frustrant. Mais on avait tellement d’autres choses en commun, des projets, ça fonctionnait super bien !

Louise

C’est avec l’arrivée des enfants que tout déboule. Louise a du mal à « gérer ». « Je trouvais ça très difficile de devenir parent et d’avoir des envies sexuelles. [...] Et puis, j’ai toujours eu un côté très maternel, analyse-t-elle avec le recul. Est-ce que ça a déclenché quelque chose ? »

Chose certaine, elle recommence alors à faire ses « expériences », en solo toujours : « avec des jouets que j’achetais, puis que je jetais après, parce que j’avais honte... »

Ça l’habite tellement qu’elle finit par en parler. Enfin. C’est qu’elle a envie d’explorer avec sa femme ces jouets et cet univers de possibles. Mais madame, moins. En gros, c’est non. « Tu me prends comme je suis ou pas », paraphrase Louise.

Ce qui devait arriver arrive, et Louise, « frustrée », finit par la tromper. Avec qui ? Un homme, rencontré en ligne, un peu dominant sur les bords. Mais si elle est rongée par la culpabilité, l’aventure est révélatrice. « Et ç’a été très fort. Une grande découverte sexuelle. [...] Et le côté BDSM [bondage, domination, soumission, sado-masochisme] a été important, précise-t-elle, parce que dans la soumission, il y a un laissez-faire, tu n’as pas beaucoup à agir... » Et oui, ça lui convient. Pour cause, intellectualise-t-elle, avec le recul toujours : « C’est l’inverse de ce qu’on entend d’une relation sexuelle homme-femme. Et ça m’a beaucoup libéré sexuellement. »

Entendons-nous, c’est loin d’être alors plus clair dans sa tête. Il faut dire qu’à l’époque, « je suis encore dans le schéma basique binaire », poursuit Louise. « J’ai été avec un homme, donc je suis homosexuel... », croit-elle.

De nouveau, Louise (qui est toujours Louis, vous suivez ?) se confie à sa femme, et étrangement, ça ne se passe pas si mal. « Il y avait tellement d’amour, et il y en a toujours ! [...] On a décidé d’essayer de passer à travers ça. » Mais l’amour ne suffit pas, devine-t-on. Et on devine juste. Incapables de concilier leurs sexualités, ils finissent donc par se séparer.

C’était il y a cinq ans. Louise s’inscrit alors sur une application de rencontre pour hommes gais et commence tranquillement à s’affirmer. Mais dans l’intimité seulement. Pourquoi ?

La sexualité, c’est un jeu ! […] Ce n’est pas quelque chose qui te définit nécessairement.

Louise

À cette époque, Louise s’ouvre aussi à sa mère. « Je me trouve féminine et j’aime la sexualité avec les garçons », lui dit-elle en gros, une confidence qui rend le tout plus « réel », se souvient-elle, et qui lui permet, ce faisant, de cheminer.

À force de consulter, de discuter et de s’habiller de plus en plus comme bon lui semble, en privé et « petit à petit » en public, Louise évolue. D’homme hétéro à homme gai (une homosexualité qui donnait un « sens » dans sa tête à son divorce, vous suivez toujours ?), voilà qu’elle constate qu’elle est sans doute non-binaire et finalement pansexuelle. Conséquence ? La revoilà en couple quelques mois avec une femme, dans une dynamique inédite pour elle, lire : « entre deux êtres féminins » et surtout sans pénétration. De nouveau, « c’est une découverte ». « C’était vraiment chouette. [...] J’ai beaucoup évolué. On discutait beaucoup de sexualité, ce qui n’existait pas pour moi avant, et c’était vraiment fort. »

À la suite de cette histoire, Louise s’affirme une coche de plus (en Louise, désormais). Après de longs mois d’attente et autant de rendez-vous avec sa psy, elle commence à prendre des hormones. Cela fait maintenant six mois. « On avance, sourit-elle timidement ici. Ça se construit petit à petit. Je m’affirme petit à petit. »

Fait à noter : plus elle s’affirme dans sa transidentité, plus les rencontres intimes se font rares. « Comme si je réduis de plus en plus le champ d’action », constate-t-elle. C’est malheureux, mais tant pis. « C’est comme ça que je me sens bien. [...] Et j’ai commencé à m’aimer. Pour la première fois, je me sens bien dedans... »

Un mot enfin sur ses enfants. « Ils sont au courant de tout mon travail personnel, assure Louise. Et ils le prennent très bien. » Il faut dire que ce sont des ados, et, signe des temps, ils sont entourés d’amis « fluides ». « Et ça me donne beaucoup de courage, glisse-t-elle. Pour assumer ce que je n’ai jamais osé... »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat

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