Accrochez-vous, ça va chauffer ! Natalie-Ann Roy signe un recueil de récits érotiques, assez coquin merci, jouissif à lire et justement baptisé Jouissive. S’ils sont certes volontairement festifs, par bouts même très explicites, les textes réunis s’inscrivent surtout dans une démarche de réparation, carrément de guérison. Explications.

« Je veux réchauffer les chaumières, c’est sûr ! », confirme l’autrice, graphiste de métier, à qui l’on doit en outre les très habiles et suggestives illustrations du livre, publié chez Québec Amérique. Après avoir dirigé les collectifs Libérer la colère (2018) puis Libérer la culotte (2021), Natalie-Ann Roy ose ici un projet solo audacieux, incarné, assumé et franchement décomplexé. Esprits prudes s’abstenir.

Au menu, donc : 24 courts récits, situés quelque part entre « le vanille et le trois quarts porno explicite », rit la principale intéressée, rencontrée chez elle plus tôt cette semaine. Ou 2 ou 3 piments sur 5, si vous préférez. Une série de « pauses sexto » ou échanges chauds d’un couple hétéro en devenir, complète le sulfureux portrait.

Les textes et autres incarnations de fantasmes sont très diversifiés, certains plus convenus (« Le chantier » et son travailleur de construction sculpté, eh oui !), d’autres franchement moins (« L’été de Camille », plein d’ardentes surprises…).

À noter que si la plupart mettent en scène des fantasmes féminins hétéros, consentement éclairé toujours évidemment inclus, certains flirtent avec la bicuriosité, voire la bisexualité. Un texte est même carrément narré au masculin. « C’est à 80 % hétéro parce que je suis pas mal hétéro, explique l’autrice. J’avais aussi envie d’explorer ce qu’est un homme, comme j’avais envie d’explorer ce qu’est une personne bi ou lesbienne. Je peux avoir des fantasmes de ça : l’écriture m’ouvre à un monde de possibles. » Point de texte non binaire ni trans, cela dit. « Peut-être que j’avais peur de faire une erreur ? Je ne veux pas heurter. Je veux respecter. »

Le luxe de l’exploration

Natalie-Ann Roy en convient, son livre témoigne d’un sacré « acte de courage » : « Je fais un projet seule, de cette nature, en me rendant vulnérable, et en mettant de l’avant une sexualité festive, renouvelée et incarnée », confirme-t-elle. D’autant plus courageux quand on sait que le projet est né alors qu’elle était en « burn-out », et l’en a aussi agréablement sortie. Ceci explique cela ? « J’étais en burn-out depuis un an, confirme-t-elle, et il y a tellement de lourdeur là-dedans… »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Natalie-Ann Roy

J’ai voulu me sortir la tête de l’eau et c’est passé par la sexualité, en partie.

Natalie-Ann Roy

Si vous voulez tout savoir, c’est en faisant plusieurs siestes, « burn-out » oblige, que Natalie-Ann Roy s’est retrouvée avec beaucoup de temps pour « explorer ». Ou plutôt « s’explorer ». « J’ai eu le « luxe » d’explorer mon corps librement, sans jugement, sans avoir de liste d’épicerie ou de 9 à 5 à gérer. Et c’est comme si je m’étais retrouvée et réapproprié mon corps. » Et si cette réappropriation est venue avec une bienheureuse jouissance, elle s’est aussi accompagnée d’une inspiration créative : ces textes !

Ce n’est pas tout. Il faut aussi savoir que Natalie-Ann Roy est une « survivante ». « J’ai vécu des violences sexuelles en bas âge, à la garderie. » Des violences qu’elle a osé explorer, pour la toute première fois, dans Libérer la colère, à 36 ans, pour en finir avec la honte et viser enfin une guérison. « Avant, je n’en avais jamais parlé… » Si elle ne souhaite pas plonger trop loin dans ses traumas (Natalie-Ann Roy a un diagnostic de choc post-traumatique complexe), l’autrice explique s’être inspirée de cet « espace très sombre » pour rebondir, pas à peu près. « C’est comme une mue, illustre-t-elle, on retire les couches de honte, vers la réparation. » D’où l’angle, le ton et le propos, exclusivement positifs, on l’a dit. Il n’y a aucune noirceur ici, ni même l’ombre d’un sentiment de honte. Que de la joie.

Si elle sait que ses lecteurs seront sans doute davantage des lectrices, les hommes auraient aussi tout intérêt à la lire, croit-elle. « Peut-être pour créer des ponts ? C’est cool, la porno, mais il n’y a pas que ça ! […] Il y a aussi le parler, le soin, le « checker si on est encore correct pendant l’acte », il y a du consentement joyeux ! »

D’ailleurs, elle ne le cache pas : Natalie-Ann Roy ne détesterait pas provoquer quelques « petites révolutions » ici ou là : « Je pense que beaucoup de nos sexualités sont vécues dans le tabou ou la honte, déplore-t-elle. Surtout chez les femmes : on est toujours trop ou pas assez ceci, même dans nos fantasmes, je pense qu’on se limite dans nos têtes. Moi, j’aimerais ça générer un peu de liberté, un petit souffle. Parce que l’expérience humaine, ça part de là ! »

Sa prise de parole est militante, on l’aura compris, et surtout fière de l’être. « Post-#metoo, enchaîne-t-elle, les femmes, on prend notre place. On est tannées des scripts qui nous disent comment vivre nos vies et comment vivre notre sexualité. Il y a de la militance, c’est sûr, il y a quelque chose de politique. C’est un espace de courage et de prise de parole. »

Parlant de courage, se sent-elle un peu guérie ? « Ça aide, conclut-elle en souriant. Je pense que c’est un processus de vie. »

Jouissive

Jouissive

Québec Amérique

189 pages