Parmi les recueils de poésie parus récemment ou à paraître bientôt, voici quatre titres qui ont retenu notre attention.

Et si le bot se déshabillait ?

À l’ère des grandes questions sur l’utilisation des intelligences artificielles, l’idée de recourir à un robot conversationnel dans un cadre littéraire ne peut qu’intriguer. Surtout lorsqu’il est question de désir, mot qui ne côtoie pas souvent « robot ». Dans Je regarde de la porno quand je suis triste, on découvre une machine dont se révèle timidement la sensualité à mesure que l’autrice nourrit celle-ci de sa libidineuse parole. Divisé en trois parties – Renaître, Guérir et Jouir –, le premier recueil de Sayaka Araniva-Yanez est à la fois dégoulinant et réservé, érotique et pudique. C’est en s’amusant à échanger avec une intelligence artificielle jouant au « psychothérapeute », testant sa sensibilité au gré des formules séductrices, que la poète a développé son idée. Résultat : un dialogue lyrique captivant entre le « Vous » et « La machine », qui souvent emprunte au vocabulaire religieux et sacré. Une proposition originale et léchée qui saura plaire tant aux puristes qu’aux amateurs de poésie contemporaine.

Je regarde de la porno quand je suis triste

Je regarde de la porno quand je suis triste

Triptyque

108 pages

8/10

Les mots justes pour se souvenir

Beata Umubyeyi Mairesse n’a que 15 ans lorsqu’elle est rescapée du génocide contre les Tutsis au Rwanda. Trente ans plus tard, alors que les jeunes témoins de cette tragédie sont au cœur de leur vie adulte, elle appelle dans Culbuter le malheur à une parole souveraine, une réappropriation de ce récit trop souvent expliqué par les autres plutôt que par ses survivants. « Nos cœurs en nous brûleront / Jusqu’à ce que notre histoire/Soit par nous racontée », écrit-elle, établissant sa volonté claire de combattre le révisionnisme et les discours haineux. On apprécie particulièrement le rythme de cette œuvre, qui coule de source et qu’on aimerait bien entendre lue par sa créatrice. Dans une langue riche et précise, l’autrice franco-rwandaise laisse coexister dans ce bijou de beauté le devoir de mémoire, le moment présent et l’espoir. Une magnifique histoire sur la guérison, que l’autrice dit avoir écrite pour « les enfants du jour d’après » et dans laquelle elle dessine, un bon mot à la fois, un imaginaire décolonisé. « De souffle en souffle / De bout en bout / Où allons-nous ? »

Culbuter le malheur

Culbuter le malheur

Mémoire d’encrier

128 pages

7/10

D’un pôle à l’autre

Anthropologue en plus d’être poète, Roseline Lambert semble puiser à même son expérience terrain dans Lac noir, recueil qui s’intéresse à la lumière qui change, au climat, aux fjords et aux fleuves, mais aussi à la transmission et à la mémoire. Joyau littéraire gorgé d’émotion, le texte est ponctué d’échanges avec le spectre de sa grand-mère qui se reflète dans les flots : « Elle souffle la rumeur du lac / Comment évaporer l’iode de mon cœur / filer la pâte fumée qui englue ma tête ». Ce livre aux accents nordiques est construit comme une cartographie, chaque poème baptisé de coordonnées géographiques. La plume imagée de Roseline Lambert a un petit goût d’aventure. Elle y explore « la lumière cassée » et les ambiances contrastées que nous offre la nature. Les magnifiques photographies de la collection du Pyhälahden valokuvaamomuseo à Lapua, en Finlande, accompagnent à merveille les mots de l’autrice, facilitant notre plongée dans son univers. « Je décharge pour ma hurlade / Dans tous les lacs noirs du monde » : de la Finlande au Monténégro, l’autrice dépose des morceaux de son histoire dans les eaux qui la baignent, pour le plus grand plaisir de ceux qui les pêcheront.

En librairie le 13 mars

Lac noir

Lac noir

La Peuplade

144 pages

8/10

La banalité de la quête existentielle

« Je suis né dans un drap/Puis je meurs dans le même drap / C’est toujours comme ça », écrit Jean-Christophe Réhel. C’est tout en simplicité qu’il aborde dans Taureau Taureau la solitude et les questions existentielles, comme on confierait spontanément ses angoisses à un journal. Embroussaillé, le recueil cherche son rythme. Bien qu’il contienne des perles, il donne parfois l’impression d’être un assemblage de retailles. « Le soleil ne peut pas durer / Pas plus qu’un sourire ou une pinte de lait ». Les images que construit l’auteur sont simples, introspectives, et ses vers sont teintés de doute. Difficile parfois de déceler le sens du texte, et d’en extirper l’émotion. Ce n’est que vers ses dernières pages, alors que l’auteur met en œuvre une prose plus libre, que le sens de Taureau Taureau se révèle. Le talent littéraire de Jean-Christophe Réhel est éminent, mais ne semble pas atteindre son potentiel dans les formes succinctes.

Taureau Taureau

Taureau Taureau

Del Busso

80 pages

6/10