Nos critiques de bandes dessinées d’ici et d’ailleurs

Œuvre d’art sur l’art

On reconnaît tout de suite la patte d’André-Philippe Côté lorsqu’on ouvre AMA, bande dessinée romanesque à laquelle il songe depuis 20 ans et sur laquelle il a planché à temps partiel pendant une décennie. Le bédéiste très connu comme caricaturiste du quotidien Le Soleil s’affranchit ici du réalisme en mettant en scène des personnages anthropomorphiques pour raconter une histoire qui, pourtant, puise abondamment dans celle du Québec du XXe siècle. En racontant le parcours d’Ama, la femme artiste qui donne son petit nom à l’œuvre, il évoque en effet le choc entre l’académisme et les esthétiques modernes, se questionnant au passage sur l’art contemporain et son marché. Son propos est éloquent, son scénario qui flirte avec l’enquête journalistique est habile et sa façon de travailler la lumière est époustouflante.

AMA

AMA

Moëlle Graphik

248 pages

8/10

Trio rigolo

Connus des lecteurs du magazine Spirou depuis 15 ans déjà, les cavaliers de l’apocadispe n’ont rien de preux chevaliers ni de menaçants mousquetaires : il s’agit simplement de trois garnements qui excellent à se mettre dans le pétrin. Il y a les deux meneurs et le suiveux, hilarant tant il est terrorisé à l’idée de se faire prendre. En route vers l’aventure, quatrième album de la série, met en scène avec une vitalité qui ne se dément pas un trio au sommet de son art de la bêtise. Avec l’énergie débordante de leur jeune âge et leur logique tête en l’air, ils imaginent des plans débiles et doivent redoubler de créativité pour éviter de se faire prendre ou corriger les petits cataclysmes qu’ils provoquent. Libon, leur créateur, leur donne un coup de pouce en les entourant d’adultes pas trop futés… Une série réjouissante à mettre dans les mains des préados de 10 ans et plus qui sont bons lecteurs.

Les cavaliers de l’apocadispe – En route vers l’aventure

Les cavaliers de l’apocadispe – En route vers l’aventure

Dupuis

70 pages

8/10

La sagesse des contes

Le puits est l’un des premiers titres à paraître sous une nouvelle bannière de l’éditeur Dargaud appelée COMBO. Ce mot qui est une forme abrégée de « combinaison » veut évoquer le fait que cette nouvelle collection présentera des œuvres aux influences multiples. Celle du scénariste Jake Wyatt et de la dessinatrice Felicia Choo rappelle en effet, dans son ton, les contes empreints de sagesse et de magie venus d’Extrême-Orient. Ici, on a affaire à une jeune femme appelée Lizzy qui, pour sauver sa vie et son âme, doit rembourser les pièces qu’elle a volées dans un puits à souhaits. Or, on s’en doute, il ne lui suffira pas de remettre la somme empruntée pour s’en tirer : comme le lui explique une espèce de sorcière gardienne du puits, ce ne sont pas les sous qui ont de la valeur, mais les souhaits… Lizzy vivra bien des aventures en cherchant à se racheter dans ce livre illustré avec beaucoup de finesse qui emprunte aussi à la littérature médiévale.

Le puits

Le puits

COMBO

177 pages

7,5/10

Rêver la préhistoire

Inspiré par les origines des arts rupestres qui le passionnent, le scénariste Fabien Grolleau a imaginé une histoire pouvant expliquer à la fois leurs origines et leurs fonctions. Ses idées, précise-t-il, ont été nourries par des textes scientifiques. Peindre avec les lions suit la trajectoire d’une femme, Ellé, de sa naissance à l’âge où elle est devenue une grande « traceuse », rôle qui est à mi-chemin entre le chaman et le peintre dans sa société préhistorique. Ce faisant, il cherche aussi à redonner aux femmes la place centrale que des chercheurs estiment aujourd’hui qu’elles occupaient dans ces sociétés anciennes. L’aspect rêveur du scénario donne un ton solennel au récit bellement mis en image par Anna Conzatti. Son trait fait parfois penser à celui du dessin animé Il était une fois l’homme, mais ses scènes les plus poétiques sont riches et elle est particulièrement convaincante lorsqu’elle dessine des animaux.

Peindre avec les lions

Peindre avec les lions

Dargaud

188 pages

7/10

En rouge et sombre

Un « péplum sanglant », prévient l’éditeur sur la couverture de Brigantus, nouvelle série dessinée par Hermann (Comanche, Jeremiah, etc.). Il n’y a en effet que le rouge du sang, ou presque, qui perce les gris brumeux des pages de cet album dont le scénario est signé Yves H. On retrouve au début de cette histoire une centurie romaine dépêchée en territoire picte, situé dans l’Écosse actuelle. D’où l’épais brouillard qui enveloppe les personnages, une atmosphère qui sied particulièrement bien au style de Hermann. Le Brigantus du titre, c’est une armoire à glace à l’esprit peut-être un peu simple qui est tenu à l’écart du reste de la compagnie, mais qui est aussi sa plus féroce machine de guerre. Accusé de traîtrise, il devra sauver sa peau. Ce coup d’envoi est visuellement prenant, mais le scénario n’annonce rien d’aussi fort.

Brigantus – Banni

Brigantus – Banni

Le Lombard

56 pages

6/10

Une approche personnelle

Aurélie Wilmet est une illustratrice et bédéiste belge qui a notamment réalisé une résidence de création à Québec il y a quelques années. Elle en a profité pour développer ce qui est devenu Épinette noire, récit aux frontières de l’imaginaire campé dans le désert de neige du Nunavik. Elle imagine une femme pilote d’avion qui fait la navette entre différents villages du Nord pour transporter des marchandises et qui fait l’objet d’une mission de sauvetage après un atterrissage d’urgence. Un peu tout dans ce récit assez mince semble plaqué. C’est davantage par un traitement visuel très personnel que la créatrice donne de l’élan à son album. Ses pages souvent colorées semblent dessinées au feutre et ses compositions évoquent le collage sur deux dimensions. Ses séquences rêveuses en bleu et blanc sont particulièrement réussies.

Épinette noire

Épinette noire

Super Loto

208 pages

5/10