(New York) Paul Auster, auteur américain prolifique de romans, poèmes et films propulsé sur la scène littéraire internationale par sa Trilogie new-yorkaise, est mort mardi soir de complications d’un cancer du poumon à l’âge de 77 ans, a annoncé une amie de la famille.

L’écrivain est décédé à son domicile de Brooklyn, à New York, a indiqué Jacki Lyden dans un courriel à l’AFP, après avoir informé le New York Times.

« Paul s’est éteint ce soir, chez lui, entouré de ses proches », dont son épouse Siri Hustvedt et sa fille Sophie Auster, a écrit mardi Mme Lyden

Il était devenu célèbre grâce à ses romans sombres et existentialistes sur des écrivains solitaires, des étrangers et des marginaux. Ses ouvrages ont connu un énorme succès, en Europe particulièrement.

L’auteur au regard expressif et émouvant est devenu culte dans les années 1980 et 1990 avec sa Trilogie new-yorkaise et son film Smoke sur des âmes perdues fréquentant un bureau de tabac à Brooklyn.

Son épouse, qui elle aussi est écrivaine, avait annoncé l’an dernier qu’il souffrait d’un cancer. Fin août, dans une longue publication poignante sur Instagram, accompagnée de photos du couple jeune, elle indiquait que Paul Auster n’était pas sorti d’affaire, après avoir annoncé six mois auparavant, sur le même réseau social, le cancer de son époux soigné à New York.

« Nous n’avons pas encore passé le panneau “Vous quittez le Cancerland” qui marque la frontière du pays », avait-elle dit.  

Comparant le sort de son mari à celui « d’enfants malades », elle avait estimé que « Paul (avait) de nombreuses années derrière lui, son enfance, sa jeunesse, l’âge adulte » et qu’« il (était) aujourd’hui âgé. »

Reflets et faux-semblants

Né en 1947 dans l’État du New Jersey, Paul Auster est devenu une icône littéraire de New York. Auteur d’une trentaine de livres, il a été traduit dans plus de 40 langues.  

Plusieurs de ses romans creusent le thème du hasard et des coïncidences qui changent le destin de ses personnages.  

Dans Cité de Verre, Revenants et La Chambre dérobée qui forment la Trilogie, ses personnages partent à la recherche de leur identité à la manière de détectives dans le labyrinthe de Manhattan hérissé de gratte-ciel où tout n’est que reflets et faux semblants.  

Ce descendant de juifs ashkénazes a étudié à l’Université Columbia de New York les littératures française, italienne et britannique.

Après ses études, il vit à Paris de 1971 à 1975 et traduit des poètes français, mais il doit multiplier les emplois avant de pouvoir vivre de ses livres.

L’héritage de son père mort en 1979 lui permet de se consacrer à l’écriture.

Vénéré en France

Il s’est fait connaître en 1982 avec L’invention de la solitude, un roman autobiographique où il tente de cerner la personnalité de son père.  

Le romancier perce en 1987 sur la scène internationale, notamment en Europe, avec sa Trilogie new-yorkaise, un roman noir qui s’inspire du genre policier.  

Également scénariste, Paul Auster a contribué au film Smoke, et sa suite Brooklyn Boogie, deux films qu’il réalise avec Wayne Wang.

Parmi ses autres œuvres à succès figurent notamment Moon Palace, Le Livre des illusions et Brooklyn Follies.

Écrivain vénéré en France qu’il considère comme son « deuxième pays », il reçoit le Prix Médicis étranger pour le Léviathan en 1993.

Son éditeur dans le pays, Actes Sud, lui a rendu hommage mercredi, évoquant sa « chance » d’avoir pu le compter parmi ses auteurs.

Sur le réseau social X, le Booker Prize, prestigieuse récompense littéraire, a de son côté salué un auteur dont « l’œuvre a touché les lecteurs et influencé des écrivains à travers le monde ».

Démocrate affiché, il a dénoncé dans l’un de ses livres, les années Bush.

En avril 2022, il avait perdu son fils Daniel Auster, 44 ans, qu’il avait eu avec l’écrivaine Lydia Davis, sa première épouse. Ce dernier était mort d’une « overdose accidentelle » à New York après avoir été inculpé d’homicide involontaire pour le décès fin 2021, également par overdose, de sa fille Ruby, âgée seulement de dix mois.

Malgré un cancer diagnostiqué la même année, il a achevé un dernier livre à la tonalité nostalgique, Baumgartner, un « petit livre tendre et miraculeux », selon les mots de sa femme Siri Hustvedt.  

Paul Auster en cinq œuvres clés

En une vingtaine de romans, plusieurs récits et essais autobiographiques, ainsi que des recueils de poésie, Paul Auster a exploré les thèmes du deuil, du hasard et du déterminisme.

Tour d’horizon en cinq œuvres clés.

L’invention de la solitude

Premier livre de Paul Auster, paru en 1982, L’invention de la solitude est un récit autobiographique, où l’auteur écrit sur son père, mort subitement en 1979.

Dans cette œuvre divisée en deux parties, qui oscille entre mémoires et essai critique, il tente de dresser un portrait de ce père, Samuel Auster, lointain, « invisible » et insaisissable, à travers les objets qu’il a laissés derrière lui.

Paul Auster fouille la mémoire familiale et commence à explorer les motifs qui se retrouveront dans toute son œuvre : le deuil, l’absurdité, le hasard, l’ordre des évènements.

La trilogie new-yorkaise

L’auteur obtient son premier succès international, notamment en Europe, avec La trilogie new-yorkaise, publiée au milieu des années 1980, qui comprend trois romans : Cité de verre, Revenants et La chambre dérobée.

Dans ces trois récits, les personnages enquêtent sur les autres et sur eux-mêmes : l’écrivain Quinn, pris par erreur pour un détective privé, accepte de mener l’enquête sur un universitaire religieux extrémiste dans Cité de verre, tandis que Revenants narre une filature qui s’étire sur des années dans les rues new-yorkaises et La chambre dérobée évoque la disparition inexpliquée d’un personnage nommé Fanshawe.

New York, ses gratte-ciel et son dédale de rues servent de décor à cette trilogie et resteront associés à Paul Auster qui n’a eu de cesse de réinventer la mégapole dans ses livres.

Avec ses trois romans, l’écrivain a « renouvelé le genre littéraire » du roman noir pour Françoise Nyssen, ancienne ministre de la Culture et ex-présidente d’Actes Sud, qui a publié tous les livres de Paul Auster en France.

L’auteur fait évoluer des personnages en quête d’identité au sein de récits à tiroirs, ce qui deviendra son procédé narratif favori.

Léviathan

Léviathan, sorti en 1992, met en scène le personnage de Ben Sachs, écrivain qui assure être né au moment où la bombe atomique pulvérisait Hiroshima, le 6 août 1945. Il se détourne de l’écriture pour se lancer dans le terrorisme et finit déchiqueté par l’explosion d’une bombe artisanale de sa fabrication. L’histoire est contée par un ami de M. Sachs, Peter Aaron, lui aussi écrivain qui décide de reconstituer le récit pour contrer l’enquête de la police.

Ce roman aux histoires enchâssées reçoit un accueil triomphal, notamment en France où Paul Auster remporte le Prix Médicis étranger en 1993.

Le livre des illusions

Paru en 2002, Le livre des illusions, considéré par certains critiques comme l’un des plus aboutis de Paul Auster, est une réflexion sur le deuil, l’errance, la création artistique et les coïncidences de la vie.

Dans ce roman, le personnage principal, David Zimmer, professeur de littérature dans le Vermont, est dévasté par la mort de sa femme et de ses enfants dans un accident d’avion. Pour échapper au désespoir, il se lance dans l’écriture d’un livre sur une star du cinéma muet, Hector Mann, portée disparu depuis 1929. Un soir, une femme mystérieuse lui annonce qu’Hector Mann le réclame sur son lit de mort, ce qui l’entraîne dans un périple inattendu.

Baumgartner

« C’est un petit livre tendre et miraculeux », a expliqué sur Instagram Siri Hustvedt, écrivaine et épouse de Paul Auster, au sujet de Baumgartner.

Dernier roman de l’auteur, paru début mars en France, il a été rédigé alors qu’il était malade d’un cancer du poumon.

Baumgartner s’aventure dans les méandres de la mémoire d’un vieux professeur de philosophie, Sy Baumgartner, qui a perdu sa femme, Anna, morte noyée, une dizaine d’années auparavant.

Avec un personnage qui ressemble à s’y méprendre à son auteur (tous deux nés à Newark dans le New Jersey, avec une femme poétesse), Paul Auster remonte le temps, fait le bilan d’une vie et signe ses adieux.

Daxia Rojas, Agence France-Presse