Dès jeudi, le festival littéraire Metropolis bleu accueillera en ville bon nombre d’auteurs étrangers, jusqu’à dimanche. L’écrivain français Hervé Le Corre sera de l’évènement pour venir présenter son nouveau roman, Qui après nous vivrez, une dystopie franchement effrayante dont nous avons discuté avec lui.

Qui après nous vivrez commence au milieu du XXIe siècle et suit trois générations qui doivent faire face au chaos causé par les épidémies, les guerres, les famines, les canicules et les catastrophes naturelles. Quel était le point de départ de cette dystopie qui semble tellement probable que c’en est troublant ?

C’est peut-être parce que je suis aussi un petit peu inquiet que j’ai écrit ce livre. J’ai essayé de rendre les choses que je racontais les plus réalistes, les plus crédibles possibles. Le point de départ, c’est un peu ce qui nous est arrivé à tous, en 2020, à cause de la pandémie : ces scènes de confinement, ces rues désertes, ces images terrifiantes qui nous arrivaient des quatre coins du monde. [...] Toutes ces choses ont fait qu’à un moment donné, j’ai eu l’impression d’être à l’intérieur d’une fiction comme j’avais bien aimé les voir ou les lire pour me faire peur, au cinéma ou dans les romans. Je ne suis pas mort d’angoisse, mais mon imagination s’est mise à tourner. Et là, je me suis dit : depuis le temps que j’ai envie d’écrire ce genre d’histoire, je vais me lancer. J’étais en train de terminer mon précédent roman, qui était un roman noir tout à fait ordinaire, et là, j’ai commencé à prendre des notes et à réfléchir à ces histoires de pandémie. En plus, en regardant les infos, en écoutant la radio, avec les guerres, les famines, les actes de barbarie commis partout sur la planète, je me suis dit qu’il suffit peut-être de pousser un peu plus loin les situations pour arriver au point de rupture.

L’un des personnages du roman dit qu’à la fin du XXe siècle et au début du XXIe, « les alertes ont été données, sonnées, gueulées » ; mais rien n’a été fait pour freiner notre course effrénée « vers le bord de la falaise ». Est-ce que ce roman est une manière de tirer la sonnette d’alarme ?

Je serais très prétentieux si je considérais ce roman comme une alarme tirée. Les alarmes, elles sonnent depuis longtemps, déjà, et elles sont explicitées par des gens bien plus compétents, bien plus sérieux que moi – des gens du GIEC, des scientifiques en épidémiologie ou des sociologues, tous ceux qui essaient de réfléchir un petit peu au destin de la planète avec des arguments scientifiques.

Justement, vous écrivez : « On s’attendait au pire, mais pas à ça. » Croyez-vous qu’on fait preuve d’aveuglement volontaire par rapport à l’avenir de la planète ?

Je crois que notre problème à tous, c’est le déni, l’absence d’action collective déterminée, la fuite en avant, le chacun pour soi dans son couloir de nage, un peu comme dans une piscine olympique où chacun avance en ignorant son voisin, en essayant d’arriver le premier. [...] Les gens savent, mais n’y croient pas. À partir du moment où l’on croit, on a alors une conviction et on peut se battre pour quelques triomphes. Si on se contente de savoir et de ne rien faire de cette connaissance, alors on continue en mettant ça dans un coin de son esprit et en se disant que ça passera peut-être. Finalement, la misère, la faim ou la guerre, on s’en accommode puisque c’est loin et c’est toujours chez les autres.

Quels sont les pièges à éviter lorsqu’on écrit une dystopie ?

C’est la question que je me suis posée tout le temps ! J’en ai lu, des dystopies ; beaucoup de choses ont déjà été racontées et imaginées et la principale difficulté, c’est de ne pas refaire ce qui a déjà été fait, de ne pas donner aux lecteurs et lectrices éventuels l’impression d’avoir déjà lu ça. J’avais pour modèles un roman d’Emily St. John Mandel, Station Eleven, qui est pour moi une merveille d’écriture et de construction ; La route, de Cormac McCarthy ; La constellation du chien, de Peter Heller ; et beaucoup d’autres. Ces livres-là m’avaient vraiment transporté et malgré l’admiration que je leur portais, il fallait que je m’en détache. La plupart des romans dystopiques ou post-apocalyptiques ne racontent pas ce qui s’est passé, ils se contentent d’attraper la situation après l’effondrement, après la catastrophe. Moi, je me suis appliqué à montrer comment la catastrophe intervient et quelles sont ses conséquences immédiates, comment le désordre, le chaos et la barbarie s’emparent des sociétés et des civilisations.

Dans la dernière partie du roman, vous écrivez que sans espoir, on meurt ou on se tue. Puis il y a la finale, où l’un des personnages dit : « Ça ira. On verra demain. » Êtes-vous malgré tout optimiste face à l’avenir de la planète ?

On va dire que mon optimisme est très mesuré. Cette phrase finale, elle m’est venue comme ça, je n’ai pas cherché à la charger de messages. À partir du moment où je l’ai écrite dans la bouche de ce personnage, j’ai dit : le roman peut s’arrêter. Dans les chansons de la Révolution française, il y a cette chanson, Ça ira. Donc ça peut être presque une petite allusion un peu plaisante à l’acte révolutionnaire. Et je pouvais laisser les personnages sur cette espèce de perspective un peu plus claire, un peu plus optimiste que dans le reste du roman.

Une rencontre avec Hervé Le Corre est prévue jeudi soir à la librairie Gallimard (à 18 h 30). Le romancier participera également à trois tables rondes dans le cadre de Metropolis bleu, à l’Hôtel 10 : L’imagination romanesque a-t-elle tous les droits ? (le 27 avril à 13 h), La violence dans les mots (le 27 avril à 16 h), et À quoi ressemblerait une société juste ? (le 28 avril à 16 h).

Qui après nous vivrez

Qui après nous vivrez

Rivages

393 pages

Consultez le site de Metropolis bleu pour la programmation complète

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