Le jeune retraité du punk raconte 25 ans à refuser de rentrer dans le rang dans Pleurer devant du pain, passionnant récit de son ultime tournée.

« Pourquoi un punk de 42 ans, aucunement au sommet de sa carrière, irait faire une tournée non profitable au Mexique dans des conditions moyennes avec des Mexicains qui, eux aussi, font tout ça “parce que” ? », demande Hugo Mudie, une excellente question.

« Parce que, justement », se répond lui-même l’icône du punk québécois dans Pleurer devant du pain, récit de son ultime tournée, entrelardé d’anecdotes plus ou moins glorieuses glanées au cours de ses 25 dernières années dans les tranchées de l’underground.

« Parce que. » La simple beauté du geste, celui de hurler devant des foules en sueur, aura longtemps justifié aux yeux du leader des Sainte Catherines les innombrables avanies encaissées sur la route cahoteuse de la marge, à mal manger, mal dormir et avoir mal partout – Hugo Mudie partage son quotidien avec l’arthrose dégénérative généralisée.

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Avec Fred Jacques et Marc-André Beaudet, des Sainte Catherines, en 2012

Sous-titré « Le dernier chapitre du chanteur punk », Pleurer devant du pain tient la chronique de la fin d’une histoire d’amour grisante, mais souvent toxique, entre la musique et un jeune arrogant de moins en moins jeune et de moins en moins arrogant. L’ivresse de la scène s’étant peu à peu transformée en routine, voire en fardeau. Il aura préféré tirer sa révérence en décembre dernier – finis les spectacles, finis les albums – que de devoir se mettre à faire semblant, un art qu’il n’a jamais tellement maîtrisé.

« Ma motivation derrière ma musique a beaucoup été dans la provocation, explique-t-il en entrevue. Je me suis longtemps demandé : “Ce monde-là m’aime, comment maintenant je peux faire pour les déranger ?” »

Il l’avoue lui-même : ses albums solos, puisant dans la power pop, l’indie rock et le country, auront aliéné plusieurs de ses fidèles. « C’est comme si je me forçais pour perdre des fans », lance-t-il, en riant à moitié. « Mais en même temps, je pourrais faire du folk acoustique comme tous les vieux punks en font, mais je n’ai jamais aimé créer en pensant à ma popularité. Si je voulais juste être populaire, je ferais autre chose dans la vie. »

Cool comme le grand frère

À l’âge de 5 ans, dit-il, Hugo Mudie savait déjà qu’il passerait sa vie à « fucker avec le statu quo », autrement dit, qu’il ne croiserait jamais aucun rang dans lequel il souhaiterait rentrer. Il crée à 15 ans son propre fanzine, qu’il poste partout dans le monde et dans lequel il signe des critiques de disques dans un anglais encore approximatif.

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J’avais un grand frère qui était très au courant de ce qui se faisait en musique et je le trouvais vraiment cool. Et si j’ai fait tout ça, c’était d’abord parce que je me demandais : Qu’est-ce que je peux faire pour que mon grand frère me trouve cool ?

Hugo Mudie

À 17 ans, quand il devient clair que sa carrière de hockeyeur ne connaîtra jamais les mêmes sommets que celle de son héros Ron Hextall, le rebelle sans cause s’en trouve une : chanter dans un groupe. Il est à peine majeur lorsqu’il fonde The Sainte Catherines, formation montréalaise désormais culte, dont la réputation d’inarrêtable machine de rock sera cimentée par le classique The Art of Arrogance (2002).

Le groupe signe en 2005 un contrat avec Fat Wreck Chords, une des étiquettes punk américaines les plus importantes. Mais une fois devenu père (son fils a maintenant 17 ans et sa fille, 14 ans), Mudie s’ennuiera trop de sa marmaille pour continuer à se casser la voix et le corps aux quatre coins sombres du monde. Les clichés du sexe, de la drogue et du rock’n’roll l’avaient aussi déjà pas mal usé.

« Dans ma tête, c’était ça, la seule façon d’être une rock star », confie-t-il au sujet de ses anciens excès. « Je le dis aujourd’hui et j’ai un peu honte, mais j’avais 24 ans, j’étais con et je voulais que Fat Mike [chanteur de NOFX] me parle. À un moment donné, je me suis rendu compte que ce n’était pas moi, ça, que l’enfant que j’avais été rirait du gars que j’étais devenu. »

À la défense de l’art pour l’art

S’il a fait ses adieux à la scène en décembre dernier, Hugo Mudie n’a pas pour autant renié le punk rock et œuvre toujours à l’organisation du Pouzza Fest, dont la prochaine édition se tiendra du 17 au 19 mai.

« Je le dis ici. Pas en mon nom, mais en celui de tout l’underground (musical du moins) : Nous sommes supérieurs », écrit-il dans Pleurer pour du pain, la preuve qu’il n’a pas complètement soigné son insolence. « Ce n’est pas une question de goût. C’est juste meilleur. C’est une question de passion, d’efforts, de guts, d’audace, de cœur. Operation Ivy, c’est meilleur que Smash Mouth. […] Tom Waits est SUPÉRIEUR à Marie-Mai. »

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En prestation en 2016

« Toutes les fois que quelqu’un me dit que tel artiste pop est un génie, j’ai le goût de répondre : “Êtes-vous fous, criss ?”, s’exclame-t-il. Je pense que c’est un reflet de la société dans laquelle on vit, où ce qui compte, c’est les chiffres. C’est présent même dans mon milieu. Je vais demander à quelqu’un : “As-tu entendu ce band-là ?” et on va me répondre : “Non, ils ont juste 800 auditeurs mensuels sur Spotify. Pourquoi j’écouterais ça ?” Mais c’est quoi le rapport avec la musique ? »

Le but de la culture populaire, c’est de faire de l’argent, de vendre, et pour moi, c’est le contraire de l’art. Le but de l’art, ça devrait être de créer quelque chose qui n’a aucun autre but que d’être de l’art.

Hugo Mudie

Un conseil pour les jeunes punks ? « Faut que t’ailles au bout de ce que tu commences. Même si ça marche moyen. C’est comme ça, en tout cas, que tu vis des bonnes histoires. » Son livre en est la flamboyante preuve.

Pleurer devant du pain

Pleurer devant du pain

Hurlantes éditrices

221 pages