Le milieu artistique québécois s’est mobilisé jeudi après-midi, malgré la pluie, manifestant bruyamment devant les bureaux du ministre de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe, rue De Bleury, en scandant des slogans comme « Pas de futur sans culture » ou encore « Les artistes, c’est pas gratis ! »

Plus d’un millier de travailleurs du milieu culturel ont répondu à l’appel des quatre organisateurs de ce rassemblement : Sarah Laurendeau, Mireille Tawfik, Hugo Frejabise et Geneviève Gagné, qui se sont plus tard adressés directement à la foule massée dans la rue De Bleury, fermée à la circulation, juste au nord de la rue Sainte-Catherine.

Un mausolée avait été mis à la disposition des participants afin qu’ils déposent des objets liés aux projets non financés par le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ), qui a reçu une enveloppe de 28 millions sur quatre ans pour bonifier ses programmes dans le dernier budget de Québec.

Les quatre instigateurs de cette première Grande manifestation réclament une révision à la hausse des fonds alloués aux arts. « On demande 100 millions de plus dans le budget du CALQ », a précisé Sarah Laurendeau, actrice et DJ, qui s’est dite « confuse, furieuse, inquiète et épuisée » dans son allocution.

Les messages ne manquaient pas d’originalité : « Libres d’être en criss ». « J’aurais voulu être un artiste payé ». « Être ou ne pas être payé, telle est la question ». « Il ne restera pas toujours la culture ». « La cantatrice pauvre ».

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Plus d’un millier de travailleurs du milieu culturel ont répondu à l’appel.

Au grand étonnement des manifestants, le ministre Mathieu Lacombe a sorti son imper et s’est mêlé à la foule pour écouter les allocutions des artistes qui se sont relayés au micro pour dénoncer le sous-financement des arts.

Interrogé par La Presse, M. Lacombe s’est dit sensible aux doléances du milieu. « Je suis venu les écouter, a-t-il dit. Je comprends qu’ils auraient souhaité davantage dans le budget, mais c’était un point de départ. Le deuxième geste, je l’ai déjà indiqué, c’est de trouver des sommes additionnelles à l’intérieur des budgets qui me sont impartis. »

Le ministre Lacombe a insisté sur le fait que « le budget du CALQ avait augmenté de 35 % depuis 2018, bien au-delà de l’inflation, qui a augmenté de 22 % durant la même période ». « Maintenant je comprends que les besoins sont là et je suis en train de chercher des sommes supplémentaires », a-t-il dit, estimant que la députée solidaire Ruba Ghazal exagérait lorsqu’elle disait qu’il « méprisait la culture ».

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe

Questionné pour savoir si une enveloppe de 100 millions sur quatre ans était réaliste, le ministre a voulu baisser les attentes.

« Ce ne sera assurément pas 100 millions, mais je pense qu’on pourra faire un pas supplémentaire pour bonifier le budget du CALQ », a conclu le ministre. Une annonce pourrait être faite dans ce sens « dans quelques jours », a-t-il précisé avant de poursuivre ses discussions parfois musclées avec des artistes venus manifester.

Plusieurs artistes, compagnies et organismes culturels ont en tout cas exprimé haut et fort leur appui aux demandes formulées par les quatre artistes issus des arts de la scène.

À l’heure où on traverse un désert, on ne peut pas rester les bras croisés et essayer de chercher des manières individuelles de s’humecter, il faut absolument se rassembler. On représente une forme de risque total. Quand on voit quelqu’un se noyer, on se mouille, c’est ce que les artistes font. Ce sont des sauveteurs de la société.

Jean-François Casabonne, auteur et comédien

La comédienne Sophie Cadieux a également pris la parole : « Nous avons cette satanée habitude de bétonner au Québec. Des lieux, des agoras, des salles, des scènes, des expériences, mais quand vient le temps d’habiter ces lieux, mystérieusement on n’a plus les moyens… »

« Je suis ravie d’être ici, nous a dit la présidente de l’Union des artistes, Tania Kontoyanni. Le bien que ça me fait de voir cette mobilisation-là. Pendant la pandémie, le CALQ a financé beaucoup de projets pour des laboratoires et la conception d’œuvres, mais plusieurs de ces projets n’ont pas eu le financement pour être diffusés, d’où le mausolée. Aujourd’hui, le quotidien des artistes est affecté, il n’y a pas eu d’indexation depuis 2017, les compagnies ont la peur au ventre et diminuent leur offre… »

La directrice générale du regroupement de cirque En piste, Nadia Drouin, était également présente.

« Il y a moins de 10 compagnies de cirque qui sont soutenues à la mission par le CALQ, déplore-t-elle, donc l’écosystème est hyper fragile et tient sur des projets. Les artistes de cirque survivent à peine, plusieurs n’y croient plus, ils sont épuisés et songent à quitter le milieu. En plus, il y a eu une diminution de 30 % des représentations à l’international, ça, c’est pour les compagnies privilégiées qui reçoivent de l’aide. Donc c’est pas un moment joyeux. »

Face aux grands hommages des membres du gouvernement caquiste sur le rôle des artistes dans la société, qualifiés « d’âmes du peuple québécois » par l’ancienne ministre de la Culture Nathalie Roy, l’acteur et metteur en scène Hugo Frejabise a bien résumé la frustration des artistes : « Pourquoi tant d’honneurs et si peu de valeur, camarades du gouvernement ? »

D’autres manifestations sont prévues en mai et en juin. Mais les discussions se poursuivent avec le cabinet du ministre de la Culture et des Communications.