(Paris) Auteurs lauréats de prix prestigieux, statut d’invité d’honneur au Festival du livre de Paris… La littérature québécoise s’est fait une place en France, au moment où les éditeurs de la Belle Province sont de plus en plus tentés par l’aventure de l’autre côté de l’Atlantique.

« On vit actuellement ce qui est peut-être le cycle le plus fort de reconnaissance de la littérature québécoise dans le monde et surtout en France », constate Renaud Roussel, éditeur au sein des Éditions du Boréal, au Québec.

« On y trouve quelque chose de rafraîchissant, une grande liberté de ton, de thèmes, et tout cela est plus assumé que par le passé où l’on pouvait avoir tendance à taire les “québécismes”… Il semble que les éditeurs français soient friands de cette originalité », déroule-t-il.

Une première reconnaissance de la production québécoise a eu lieu au mitan des années 60 après la « Révolution tranquille », vaste mouvement contre-culturel au Québec, avant une accélération au tournant des années 2010. Un tournant marqué notamment par la nomination de Dany Laferrière, auteur québécois d’origine haïtienne, à l’Académie française en 2013, par l’ajout du recueil de poésie Mes forêts de Hélène Dorion au programme du baccalauréat en 2022 ou encore par l’attribution du prix Médicis à Kevin Lambert pour Que notre joie demeure en 2023.

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Dany Laferrière

L’appétence pour les auteurs québécois en France ne se fait cependant pas toujours sans heurts, liés à l’usage de la langue.

Vitalité et atmosphère « punk »

« C’est une question qu’on doit se poser systématiquement pour chaque vente de droits », raconte Roxane Desjardins, autrice et éditrice au sein de la maison québécoise Les herbes rouges : « Est-ce qu’on adapte ? Jusqu’où ? »

Au cas par cas, certains éditeurs optent pour des notes de bas de page expliquant les termes inconnus, d’autres pour un lexique en fin de livre.

« Il y a certains mots qu’on m’a demandé d’adapter. Je l’ai fait quand ça ne me dérangeait pas », raconte pour sa part l’autrice et réalisatrice Anaïs Barbeau-Lavalette. Pour son livre La femme qui fuit (sorti au Livre de poche en 2017), elle a aussi « mis une petite préface qui situe l’importance du moment historique pour les lecteurs ».

Pour Benoît Virot, de la jeune maison d’édition française Le nouvel Attila, cette différence est justement ce qui fait le succès des livres québécois en France.

« Les auteurs francophones, mais non français, comme les auteurs québécois, viennent gratter la surface du français poli tel qu’on le pratique, importent du vocabulaire, mais surtout des formes d’esprit, de style, un décentrement. On est loin de la seule curiosité linguistique », insiste-t-il.

Outre-Atlantique, les lancements de maisons d’édition se multiplient, témoignant de la vitalité de la scène locale.

« Le paysage éditorial québécois est en train de changer de visage. On a grandi dans une atmosphère libre, assez punk, pleine de vitalité, qui se ressent aujourd’hui dans une certaine façon de penser la littérature », décrypte Mme Desjardins.

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Roxane Desjardins

Cette vitalité s’explique sans doute également par la place accordée à d’autres récits, à la littérature féministe, autochtone, au formalisme littéraire, abondent Benoît Virot, Renaud Roussel ou encore Anaïs Barbeau-Lavalette.  

Sans oublier ce regard nouveau porté sur la littérature française par cette scène québécoise qui s’émancipe.

« Au fur et à mesure qu’il y a eu cette prise de conscience de la richesse de l’édition québécoise, il y a eu une réaffirmation d’indépendance. […] Aujourd’hui, les ouvrages français sont classés en littérature étrangère au Québec, ce qui n’était pas du tout le cas auparavant », souligne M. Virot.