La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes.

Aujourd'hui : François*, fin quarantaine

François est dans un « cul-de-sac ». La femme qu’il aime, la mère de ses enfants, est gravement malade, ça ne va pas aller en s’améliorant, si bien que la sexualité n’est plus à l’agenda, depuis longtemps déjà. Confidences d’un homme aux prises avec une douloureuse et ô combien taboue « solitude sexuelle ».

Avant d’aller plus loin, permettez une mise au point. Il faut savoir que François, la fin quarantaine, n’en est évidemment pas fier. Il se sent immensément coupable et cherche ici une sorte de « validation ». « Est-ce correct ? Suis-je normal ? L’idée, c’est de valider cette solitude… », dit-il, visiblement mal à l’aise et peu habitué de se confier.

Un brin mystérieux, avec ses yeux clairs, sa belle gueule et sa sensibilité manifeste, notre François a dû faire battre bien des cœurs dans une vie antérieure. Sauf qu’aujourd’hui, il est brisé. Il le sait, et ça paraît. Non, ce témoignage n’aura malheureusement rien de bien lumineux. « J’aimerais ça, ne plus avoir perpétuellement l’air d’un chien battu… »

« Quand la maladie frappe, le premier ajustement, c’est le choc, débute-t-il. Puis il y a une insécurité qui s’installe. Et puis il y a une culpabilité d’être bien, ou d’avoir des pulsions… »

Des pulsions qu’il n’a par ailleurs jamais verbalisées, ni même simplement insinuées, devine-t-on ici. Et on devine juste. Sa solitude, encore moins. « Ce n’est pas quelque chose que tu exprimes au grand jour : bonjour, j’ai une solitude sexuelle. Ça va, toi ? », ironise-t-il, pour donner le ton à la conversation.

Parlant de « solitude sexuelle », François compare sa réalité actuelle à ce qu’il a vécu à l’adolescence. « Tu as le goût de chaleur, de découvrir, de connaître, mais il y a une solitude ! »

Tu as des pulsions, et tu ne sais pas comment gérer ça…

François, fin quarantaine

Sa toute première fois, « sur le tard », vers 18 ans, est d’ailleurs « anxiogène ». « Mais ça a été un point de départ salvateur, précise-t-il, en douceur. » Une fois ce cap passé, François gagne en « confiance », puis en « aura ». « Quand tu es plus convaincu, tu es mieux avec ton corps, prêt à explorer et écouter. »

Notez le choix des mots : François « écoute », il échange, valide. En mode consentement, avant que le mot soit à la mode. « J’ai tellement de respect pour la femme, confirme-t-il, j’ai de la difficulté à prendre ma place ! »

Ce qui ne l’empêche pas de vivre plusieurs années de « vraiment » belle sexualité, « avec des partenaires qui [lui] communiquent leurs souhaits, dans une symbiose, c’est simple et efficace. Ça passe par le cœur, l’âme et le corps, mais jamais le corps en premier »...

Et puis mi-vingtaine, François décide de se caser. « Ce moment où je décide que ça me prend une stabilité, qu’il est temps de me créer un chez-soi, pour moi, c’est un vœu de respect », prend-il soin de préciser. Avec qui ? La mère de ses enfants. Pourquoi elle, au juste ? « La question, c’est pourquoi pas ? […] Nos regards se sont croisés… » Et sexuellement ? « Parfait, dit-il. Tout ce qu’il y a de plus traditionnel. Pas de dépassement, pas de raccourci, encore une fois, dans la plénitude, le respect et le partage. Il n’y avait pas d’excès qui pourraient dépasser ce que l’autre ne veut pas. En phase avec ses souhaits, en phase avec ses désirs. Rien de spectaculaire, parce que ce n’est pas ça qu’on veut. Ce n’est pas ça qu’on est… », résume-t-il joliment.

Certes, quelques « thrills » ici ou là, mais encore là, rien de bien méchant. « Quelques prises de risques qui font pomper le cœur, parce que c’est le fun, se souvient-il. Chez des amis, ou dans la voiture dans un rest area, c’est purement amoureux. »

Cette belle « plénitude » dure dix ans. Puis, arrivent les enfants. « Et ça a changé du tout au tout. » Pourquoi donc ? Le premier a eu une maladie (lui aussi, et en premier, comprend-on). « Et rapidement, ça a pris tout notre temps et notre énergie. Ça a amené une déviation. Le couple a été mis de côté. On est devenus des accompagnateurs. » Plus d’intimité du tout ? « Presque pas, répond-il. On était très préoccupés. Peut-être trop… Et c’est venu mettre un couvercle sur quelque chose. »

Non, ils n’en ont jamais parlé.

Je voyais ça comme combattre un feu. Tu ne vas pas acheter une crème glacée quand le feu brûle…

François, fin quarantaine

« Mais peut-être est-ce une erreur de s’être oubliés… », ajoute-t-il, après réflexion.

Et non, ça ne l’a pas frustré. Ou plutôt : il ne s’est pas laissé le droit de ressentir une frustration. Encore moins de l’exprimer. Pour poursuivre avec l’allégorie incendiaire : « Tu ne peux pas être frustré d’éteindre un feu. Les priorités déboulaient, et les frustrations se sont transformées en deuil. Et le deuil, en solitude… »

On comprend qu’il mêle ici le deuil d’une maladie puis d’une autre, survenue quelques années plus tard : celle de sa femme. Parce que non, ils n’ont pas davantage discuté du désert sexuel déjà installé quand son diagnostic à elle est tombé. « Les effets de la maladie, enchaîne-t-il, et c’est ça qui est troublant, c’est que malgré tout ton amour, parfois la personne malade ne se trouve plus belle ni désirable, elle fait de l’autosabotage. […] Alors tu arrives pas dans cette situation : heille, j’ai une pulsion, comment ça va, toi, ce matin ? », ironise-t-il à nouveau.

« La question, c’est comment on gère ce deuil-là, reprend-il. La sexualité, c’est quelque chose d’assez primaire, ça peut même te définir, c’est une magnifique énergie ! »

A-t-il songé à retrouver cette « belle énergie » ailleurs, ose-t-on ? « Non, dit-il de la tête. Ce serait la rendre doublement victime de la maladie. […] Je ne veux pas blesser par-dessus la blessure. […] C’est comme si ces pulsions devenaient interdites. Tu as le goût de marcher la tête basse… »

Non, personne n’a abordé la question avec lui non plus. Ni dans son entourage, encore moins à l’hôpital. « Les intervenants sont sous-payés et surutilisés, ils manquent de temps, ce n’est pas le premier de leurs soucis ! On est en survie ! »

D’où son témoignage ici : « j’ai besoin de valider que la solitude vécue par d’autres est surmontable », insiste-t-il. On a fait le tour de la question. Mais il reste tant de questions à poser. Comment le serait-elle ? « Par la noblesse que ça a, avance-t-il. Je ne sais pas. Est-ce qu’on gagne des points au ciel ? », ironise-t-il toujours. Son souhait, désormais ? « J’aimerais ça, avoir l’impression de vivre », répond-il tout doucement. Comment il compte s’y prendre ? « En enfouissant cette solitude le plus loin possible, en l’évitant et en l’oubliant totalement, conclut-il. Mais ça me manque : […] le gros câlin […] l’humain […] la chaleur […] Ça me manque… »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat