La première fois que j’ai interviewé Benoît Pelletier, c’était en avril 2005, pour un dossier trrrès important sur… les coulisses du mariage du prince Charles et de Camilla Parker-Bowles.

Qu’est-ce que le ministre québécois des Affaires intergouvernementales canadiennes venait faire dans un dossier spécial à la Paris Match ?

Eh bien, voilà : Benoît Pelletier n’était pas seulement ministre. Constitutionnaliste réputé, il était aussi l’un des seuls experts en mariages morganatiques… de la planète. C’est ainsi qu’il m’avait patiemment expliqué 1) ce qu’était un mariage morganatique, c’est-à-dire un mariage en vertu duquel l’épouse du prince héritier ne deviendrait jamais reine consort, 2) que ça n’arriverait pas, malgré les promesses de Charles, puisque Londres refuserait de s’aventurer sur cette voie hasardeuse pour l’avenir de la monarchie britannique.

Benoît Pelletier avait vu juste, mais ce n’est pas pour cela que je ressors cette anecdote des boules à mites. C’est pour mettre en lumière la générosité du personnage. Honnêtement, je ne connais pas beaucoup d’autres ministres qui auraient pris le temps de répondre aux questions d’une jeune journaliste sur le mariage d’un prince anglais et de sa gente dame.

Mort le 30 mars au Mexique, à l’âge de 64 ans, Benoît Pelletier était la définition même de l’homme affable. Depuis l’annonce de sa mort, d’autres mots reviennent en boucle pour le décrire : gentleman, érudit, rigoureux, nuancé, courtois, ouvert d’esprit, toujours prêt à aider… C’est cliché de l’écrire, mais dans ce cas-ci, ça semble bel et bien vrai : cet homme-là faisait l’unanimité. Tout le monde l’aimait.

Les étudiants de l’Université d’Ottawa regrettent un prof de droit constitutionnel qui avait la capacité de faire sortir le meilleur d’eux-mêmes.

Les journalistes se chagrinent de voir disparaître un expert toujours disponible, aux connaissances encyclopédiques.

Les politiciens de tous les horizons lui rendent hommage – du chef bloquiste, Yves-François Blanchet, qui salue « un Québécois attaché à sa nation et ce qui la fait telle », au leader du gouvernement aux Communes, Steven MacKinnon, qui salue un « fédéraliste convaincu [ayant] toujours offert une vision positive du Québec au Canada ».

Ces hommages ne sont pas nécessairement contradictoires. Benoît Pelletier était à la fois fédéraliste et nationaliste. Sensible à l’affirmation identitaire du Québec, amoureux de la langue française, il plaidait pour un « fédéralisme asymétrique », fortement décentralisé.

Tout de même : Benoît Pelletier semblait doté du pouvoir de transcender les idéologies. Un exploit, en ces temps de chicanes perpétuelles et de polarisation extrême.

Je pense que ça tenait essentiellement à une chose : la manière. L’éminent juriste menait ses combats politiques avec respect, sans condescendance. Sans tomber dans la partisanerie. Et sans jamais prendre ses adversaires pour des imbéciles.

Au-delà de ses réalisations politiques, je crois que c’est de cela – de cette manière – que le monde se souviendra. Sur le réseau X, le ministre de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe, a écrit : « Un grand Québécois, qui défendait notre identité et notre droit d’exister, comme nation. Gentil, en plus. »

Je dirais plutôt : gentil, surtout.

La dernière fois que j’ai interviewé Benoît Pelletier, en mai 2021, il avait accepté (bien sûr) de répondre à mes questions de son lit d’hôpital. Au bout du fil, je percevais son souffle court ; il était toujours sous oxygène. Terrassé par la COVID-19, il sortait d’un coma de 56 jours. Il avait perdu 40 livres…

Mais il était tiré d’affaire. Il me soufflait doucement à l’oreille que la vie était belle.

Il m’avait raconté comment il avait frôlé la mort. Sa famille était venue lui faire ses adieux. Puis, juste avant qu’on le débranche, il s’était réveillé en souriant. C’était miraculeux.

Nous étions alors, évidemment, en pleine pandémie. Après l’enfer qu’il avait vécu, lui avais-je demandé, était-il choqué de voir des Québécois traiter ce virus comme une banale grippe et manifester contre les mesures sanitaires ? Il avait poliment esquivé ma question. Il préférait (bien sûr) se concentrer sur le positif. Le plus important, ce qui le poussait à vivre, c’était l’amour qu’il éprouvait pour sa femme, Danièle Goulet, ainsi que pour ses quatre enfants, Florence, Françoise, Jean-Christophe et Mathilde.

J’avais intitulé ma chronique « La mort peut attendre ». Elle a attendu… trois ans. C’est franchement, cruellement, trop peu. Elle a pris Benoît Pelletier en traîtresse, m’a-t-on dit, pendant ses vacances. Personne ne s’y attendait. Cette fois, il n’y a malheureusement pas eu de miracle.

Depuis trois ans, Benoît Pelletier avait pourtant retrouvé la forme. Il prenait plaisir à donner des entrevues aux journalistes et des conseils aux politiciens de toute allégeance. Il écrivait, avec toute la nuance dont il était capable, sur les sujets les plus clivants. Son ton modéré nous manquera. Sa façon de ne jamais nous prendre pour des imbéciles, aussi.