« Souhaitez-vous être réanimé ? »

La question a bouleversé Benoît Pelletier. L’ancien ministre venait à peine d’être admis à l’hôpital que, déjà, on voulait savoir s’il s’attendait à ce que les médecins tentent tout pour le maintenir en vie, si le pire survenait.

On lui expliquait les conséquences possibles, assez terrifiantes, de la réanimation. On semblait lui suggérer que ce n’était pas la meilleure option. Qu’il valait mieux ne pas s’acharner.

« Écoutez… je veux vivre », a-t-il répondu.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Benoît Pelletier, en 2019. En raison de la COVID-19, l’ancien ministre des Affaires intergouvernementales a été plongé dans un coma dont il a failli ne jamais se réveiller l’hiver dernier.

C’était le 2 janvier. Benoît Pelletier a dit oui à la réanimation. Bien que secoué, il ne croyait alors qu’à une question rhétorique. Une « simple formalité ». Il avait beau avoir reçu un diagnostic positif à la COVID-19, il ne s’imaginait pas devoir être réanimé, encore moins succomber à la maladie.

Le lendemain, Benoît Pelletier était intubé et plongé dans un coma dont il a failli ne jamais se réveiller.

Un coma de 56 jours.

Au bout du fil, l’ancien ministre des Affaires intergouvernementales raconte son histoire, le souffle court. C’est déjà bien : il y a un mois, il ne pouvait ni manger, ni boire, ni émettre le moindre son.

C’est mieux que « bien », en fait. C’est miraculeux : il y a deux mois, tout le monde croyait qu’il ne s’en tirerait pas.

* * *

À 61 ans, Benoît Pelletier est un homme en forme. Enfin, il l’était, jusqu’à ce que le coronavirus s’infiltre dans ses poumons.

L’été dernier, il a fait de la randonnée en montagne, en Gaspésie. L’été précédent, ce sont les Alpes italiennes qu’il a parcourues, bottes de marche aux pieds.

Constitutionnaliste reconnu, professeur à la faculté de droit de l’Université d’Ottawa, il ignore comment il a contracté la COVID-19. Il a ressenti les premiers symptômes, légers, le jour de Noël. « Je me suis rendu compte que quelque chose n’allait pas. J’avais une perte d’appétit. »

Son état s’est détérioré à la vitesse de l’éclair.

Au bout d’une semaine, il était en détresse respiratoire aiguë.

Pour le sauver, il fallait l’intuber d’urgence. À l’aide de puissants sédatifs, les médecins l’ont alors plongé dans un coma artificiel. C’est la procédure normale pour cette opération délicate, qui consiste à introduire un tube dans la trachée, jusqu’aux poumons.

Les mois de janvier et de février ont passé sans que Benoît Pelletier ait conscience de quoi que ce soit.

Sa famille, elle, se préparait à sa mort.

* * *

Tout s’est joué dans la première semaine de mars.

Le lundi, les médecins de Benoît Pelletier ont prévenu sa femme, Danièle Goulet : « Il faudrait que vos enfants viennent le voir, sinon, ils risquent de le regretter. »

Les médecins laisseraient passer quelques jours, le temps pour les enfants de faire leurs adieux à leur père. Puis, le vendredi, ils feraient une « recommandation » à la famille.

Lorsqu’elle a reçu l’appel de sa mère, Françoise Goulet-Pelletier a eu le cœur brisé. « Que se passe-t-il ? Comment est-ce que tout cela a pu nous arriver ? », a-t-elle écrit dans une poignante tribune à La Presse.

« Le mercredi, je me rends à son chevet. J’ai peur, mais je sais que je dois le faire. Pour lui, pour moi, pour ma mère. Je dois être forte pour les miens. Je lui chante La complainte de la butte, sa chanson préférée, je lui flatte les cheveux et lui murmure qu’il a été le meilleur des papas. »

Comme tout le monde, Françoise Goulet-Pelletier était convaincue qu’elle assistait aux derniers moments de son père.

Le jeudi, Benoît Pelletier s’est réveillé.

Il ne pouvait pas parler. Il pouvait à peine bouger. Mais, à travers son tube, il a souri.

Les médecins ont bien vu que j’étais prêt à me battre et qu’il y avait lieu de réviser leur diagnostic. La recommandation du vendredi n’a jamais été faite.

Benoît Pelletier

La mort pouvait attendre.

* * *

Il y a deux mois que Benoît Pelletier est sorti du coma.

Il a recommencé à parler, à boire et à manger. Mais il n’est pas tiré d’affaire. Il est toujours sous oxygène.

En centre de réadaptation, il doit maintenant réapprendre à marcher. Et même à se tenir debout. « À mon avis, j’en ai encore pour deux à trois mois… »

Il a perdu plus de 40 livres. Il les retrouvera.

Mais sa santé — toute sa santé, celle dont il jouissait avant la COVID-19 —, c’est moins sûr.

« Je ne sais pas quelles seront les séquelles à long terme, mais il y en aura, ne serait-ce que du côté pulmonaire. »

Après avoir subi tout ça, a-t-il été choqué de voir des milliers de Québécois manifester contre les mesures sanitaires, samedi, au Stade olympique ? Est-il furieux lorsqu’il entend comparer la COVID-19 à une grippe banale et sans conséquence ?

Pas vraiment, non. « Mais je sais bien, personnellement, que ce virus n’est pas le fruit d’un cauchemar ; c’est une réalité dont il faut se méfier et à l’égard duquel des mesures sanitaires sont nécessaires. »

L’homme n’a pas d’énergie à consacrer aux négationnistes de la pandémie. Il préfère se concentrer sur sa convalescence. Et sur le positif. Comme la vague de soutien qui a déferlé après la publication du texte de sa fille dans La Presse. « Ces réactions sincères m’ont touché au cœur, profondément. Et ça me motive beaucoup. »