La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes.

Aujourd’hui : Claude*, 63 ans

Depuis quelques années, Claude a perdu l’usage de ses jambes, de ses mains, mais pour le reste, tout va très bien. Entretien.

« J’ai plein d’amis pour qui il ne se passe plus rien ! C’est quand même drôle ! », nous dit l’homme, âgé de 63 ans et atteint de sclérose en plaques, quant à lui assez actif, merci, avec le même amant depuis 10 ans.

C’est son frère qui nous a écrit, plus tôt cette année, pour nous inviter à le rencontrer. « Mon frère, malgré son handicap majeur, vit toujours une sexualité active. […] Je trouve son histoire inspirante et porteuse d’espoir. Mon frère a une très belle personnalité, c’est ce qui peut expliquer cette relation. » Ce n’est pas faux, va-t-on d’emblée constater.

Claude, de son côté, ne peut plus vraiment taper sur un clavier. Il ne peut plus manger tout seul non plus, ni faire quoi que ce soit de ses mains. Exit les plaisirs solitaires, on l’aura compris. « J’ai quelqu’un pour ça ! », nous dira-t-il, d’un air entendu et non moins coquin.

Il nous accueille dans son lumineux appartement bourré de plantes vertes et de tableaux colorés, le sourire aux lèvres et le chien aux pieds (ou plutôt aux roues, si vous préférez, puisqu’il est évidemment installé à longueur de journée dans un fauteuil roulant). « Et j’ai toujours quelqu’un dans ma vie, étrangement… »

La sexualité, ça, ça n’a jamais été un problème. C’est assez incroyable. Plus rien ne marche, mais ça, ça marche !

Claude, 63 ans

Nous sommes à peine installés que son téléphone sonne. C’est un ancien chum, aujourd’hui un « grand ami ». « Tous mes anciens amants sont toujours autour de moi, dit-il en souriant. Je ne devais pas être si pire que ça ! », ajoute-t-il, avec une légèreté qui ne le lâchera pas de l’entretien.

Il se raconte avec aisance, d’un débit lent, mais assuré. « J’ai toujours su que j’étais gai. Chez nous, ça n’a pas été un drame. Mon grand-oncle était gai, il n’y a jamais eu de problème avec ça. »

Il se fait un tout premier chum à 19 ans. « Un Anglais d’Angleterre, dit-il en riant, je ne l’ai jamais oublié ! » Nouvel amoureux à 20 ans, à ce jour toujours son ami. « Je ne devais pas être si mal que ça », répète-t-il.

Dans sa vingtaine, il a quelques histoires, et « ça n’a jamais été compliqué », répète-t-il, sans s’épancher sur le sujet. « J’aime être avec quelqu’un de régulier. Les aventures, ça n’est pas dans mon tempérament. » Dans sa trentaine, Claude rencontre quelqu’un de plus significatif, une histoire qui dure cette fois plus de 10 ans. Ils vont même se marier, mi-quarantaine, avant de se séparer quelques années plus tard. « On a eu un super beau mariage, se souvient-il. Et puis il est tombé en amour avec quelqu’un d’autre… »

L’homme en question était un « grand séducteur ». « On faisait des soirées coquines, se souvient-il. Je ne me suis pas ennuyé dans ma vie ! »

Je n’ai aucun regret. J’ai fait tout ce que je voulais faire.

Claude, 63 ans

Une fois séparé, il entre dans une énième relation, et c’est à cette époque que le diagnostic tombe. Claude a 50 ans. « Dans mon comportement, il devait y avoir des changements que je ne réalisais pas. J’avais peut-être une lenteur ? Ma sœur pensait que j’étais paresseux ! »

Un beau jour, il se retrouve carrément le corps handicapé tout un côté. « J’ai cru que je faisais un AVC… » Quand il apprend qu’il est malade, et que ça ne va pas s’améliorer, il déclare à son amoureux du moment : « Tu n’es pas obligé de rester ». « Je voulais me débrouiller. » Ils se laissent, mais restent également amis. « Moralement, ça me faisait du bien… »

Sans transition, Claude enchaîne : « Et puis j’ai rencontré un autre homme qui avait la sclérose en plaques ! » Leur histoire dure deux ans, jusqu’à ce que par un drôle de hasard du destin, Claude rencontre son amant actuel, un ex-auxiliaire en soins de santé de longue durée. Il vient à l’époque de se retrouver en fauteuil adapté.

Vous saisissez ? C’était il y a 10 ans. « Il vient, il me rase, il change ma couche, il me lave, c’est extraordinaire d’avoir rencontré quelqu’un qui a fait ça comme métier ! » L’amant en question passe toutes les deux semaines, pour leur « rituel », comme il dit.

Pourquoi ils ne sont pas en couple ? « Il veut se sentir libre », croit-il. Et visiblement, ça lui convient aussi.

Au lit ?

Là, j’avoue, c’est beaucoup moins acrobatique !

Claude, 63 ans

Mais ils savent quoi, et comment le faire. « Au début, je me suis dit : ça va durer une semaine, deux semaines, trois semaines ? Ça fait 10 ans ! Je dois avoir des qualités ! »

Monsieur le lève, le porte dans son lit, ils s’amusent oralement pour l’un, manuellement pour l’autre. Non, ils ne pratiquent pas la pénétration. « Mais ça n’a jamais été quelque chose qui m’attirait », précise-t-il.

À leurs débuts, ils se sont même déjà amusés à trois dans son lit. « Là, c’est plus tranquille ! […] C’est la vie ! Je fais confiance à la vie. S’il se passe quelque chose, il se passe quelque chose ! J’ai lâché prise, pas le choix avec la maladie ! »

On ne peut s’empêcher de le trouver d’une résilience rare. « Je ne suis pas une victime, je n’ai jamais été une victime, et je ne serai jamais une victime ! », confirme-t-il.

Son inspiration ? Sœur Angèle, répond notre homme, d’une ultime déclaration aussi surprenante qu’inspirante. « Hier, c’est trop tard, ici, c’est maintenant, demain, on ne sait pas », la paraphrase-t-il, avant de conclure : « ça a donné un sens à ma vie ! »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat