La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Julie*, fin cinquantaine

C’est l’histoire d’une femme éteinte qui revit. Une folle histoire de retrouvailles et par-dessus tout de renaissance. Ça a l’air trop beau pour être vrai, et pourtant ça l’est.

« C’est une histoire improbable, inattendue, et c’est un peu un cadeau de la vie », débute notre interlocutrice, la cinquantaine radieuse, rencontrée en début d’année dans un café de banlieue pour qu’elle puisse se raconter.

« Mon objectif, dit-elle d’emblée, le sourire fendu jusqu’aux oreilles, est de susciter l’espoir chez les femmes de plus de 50 ans qui ont un peu démissionné par rapport aux relations amoureuses… » Amoureuses, mais aussi sexuelles, faut-il le préciser.

Notre coquette interlocutrice se raconte sans se faire prier, avec un sourire qui ne la lâchera (presque) pas de l’entretien. Sa première relation sexuelle ? À 18 ans, avec « lui », son « amoureux de l’époque », celui-là même qu’elle vient de retrouver, comprend-on à la voir rayonner. C’était sa première fois pour lui aussi. « Ça ne se peut pas, hein ? »

Il a été mon premier et il a espoir d’être mon dernier !

Julie*, fin cinquantaine

Et puis ? « Wow, se souvient-elle. C’était mon premier, je ne pouvais pas comparer, c’est après que j’ai pu. C’était pour moi le meilleur fit. […] Nos corps étaient destinés l’un pour l’autre, c’était parfait. » Sans rentrer dans les détails, Julie se souvient d’« énormément de sensations ». Et toutes sortes de petites folies aussi. « On recherchait tout le temps ça, toutes les occasions, dans tous les lieux les plus improbables, dit-elle. On était très “hormonaux”. […] Ç’a été une période folle et j’aimais ça beaucoup. »

Et puis au bout d’une petite année, ils ont fini par se laisser. Monsieur est parti étudier dans une autre ville, il s’est mis à « papillonner », et Julie a vécu sa première et anéantissante peine d’amour. « Je l’aimais profondément, j’ai été plusieurs jours à pleurer en boule… »

Les années ont passé, ils se sont perdus de vue, mais Julie n’a jamais cessé de penser à lui. À preuve : elle se fait ensuite quelques amoureux, « mais ce n’est jamais aussi intense, jamais aussi satisfaisant », constate-t-elle à répétition. À tel point qu’elle finit par se dire : « Voyons, Julie, décroche ! »

Mi-vingtaine, elle rencontre finalement un autre homme, son futur mari, et oui, l’« homme » de sa vie, avec qui elle va passer un bon nombre d’années. Mais ce n’est pas exactement l’« amour » de sa vie, prend-elle soin de nuancer. « C’est avec lui que j’ai bâti une famille, que j’ai construit des choses, un patrimoine. Mais ce n’est pas l’amour de ma vie. Je l’ai toujours su. Mais je l’ai toujours gardé pour moi… »

À noter qu’en plus de 30 ans, elle lui a toujours été fidèle. « J’ai toujours été la fille droite, loyale, engagée. » Jusqu’à tout récemment, on l’aura compris…

Leurs premiers mois d’intimité sont « passionnés », quoiqu’un peu « malhabiles ». Il faut dire que Julie n’est pas très à l’aise dans son corps à cette époque, elle a pris du poids et ne s’aime pas. « J’étais boulotte. […] Mais mon mari m’a toujours dit qu’il me trouvait belle. »

Arrivent rapidement les enfants, et l’intimité prend le bord. « J’étais fatiguée. Quand on a des enfants, ce qui débarque en premier, c’est l’intimité. » Et ça n’a jamais rembarqué.

Il y a dix ans, Julie s’est fait refaire les seins, une opération qui a eu un effet béton sur son estime de soi. « Je me trouvais belle, j’avais des beaux seins, ils tenaient tout seuls ! »

Mais à sa plus grande consternation, ça n’a pas le moindre impact sur son mari. « Je l’ai pris comme du rejet, de l’abandon », laisse-t-elle tomber ici. Dans les cinq dernières années, ils ont dû faire l’amour une fois. Les raisons de cet éloignement ne sont pas claires : est-ce elle ? Lui ? « L’œuf ou la poule ? » Sans doute un malheureux mélange des deux.

À ce moment précis de l’entretien, pour un rare instant, Julie ne sourit plus. On croit apercevoir de l’eau dans ses yeux. « Dans la sphère publique, mon mari me met toujours en lumière, dit-elle. Mais dans l’intimité, c’est comme si je n’existais plus. […] C’est un workaholic, c’est comme s’il n’était allumé que par sa sphère professionnelle… »

Tenez : dernièrement, Julie a pris sa retraite. « Mais je n’ai même pas eu espoir qu’il ralentisse… »

D’où sa réflexion :

J’ai pensé aux autres toute ma vie, là, je vais penser à moi !

Julie, fin cinquantaine

Elle ne pensait pas si bien dire, puisqu’à peu près au même moment, il y a moins d’un an, son amoureux de jeunesse réapparaît sur ses réseaux sociaux. Un petit « coucou », ils échangent des nouvelles, puis, pour toutes sortes de raisons, les communications s’intensifient, jusqu’à ce que nos deux ex-amoureux finissent par se donner rendez-vous dans un café. « Je n’avais aucune intention, précise notre interlocutrice, je suis juste curieuse. » Or dès qu’elle l’aperçoit, elle le sait : « Je suis dans la marde… »

Quarante ans plus tard, cet homme est toujours aussi beau, ils ont le même vécu, ils sont même « à la même place », relationnellement et conjugalement parlant. Monsieur lui confie carrément son « régime sec » avec sa femme, ça vous donne une idée du topo.

Un deuxième rendez-vous plus tard et « c’était parti », rougit-elle. Ils s’embrassent et c’est « exactement pareil ». « Je suis complètement envahie, j’ai vécu un électrochoc ! »

Un électrochoc ?

Ma vie était sur un respirateur artificiel, et là j’ai reçu un électrochoc, je suis amoureuse et je n’ai pas vécu ça depuis lui ! C’est pour ça que je dis que c’est lui, l’amour de ma vie. Et c’est réciproque !

Julie, fin cinquantaine

Depuis, ils s’écrivent « tout le temps, tout le temps, tout le temps ». Non, son mari ne voit rien. « Il est très occupé, il n’a aucun temps pour moi. […] Et moi, j’ai juste ça, du temps ! »

Ce qui devait arriver arrive : ils se retrouvent au lit et ne se lâchent pas depuis, à raison d’une fois ici ou là par semaine. « Wow, rayonne-t-elle de plus belle. Je me redécouvre, mes mouvements, mes pulsions, cela fait tellement longtemps que je n’ai pas expérimenté ! […] J’ai 20 ans ! »

« Et je ne me reconnais plus ! ajoute-t-elle. Toutes les fibres de mon corps sont réveillées et j’aime ça ! J’aime ça beaucoup ! » Et si vous voulez tout savoir, non, les femmes ménopausées n’ont pas forcément besoin de lubrifiant. « Pantoute ! », chuchote-t-elle, les yeux brillants.

Si elle se sent coupable ? « Pantoute, rajoute notre interlocutrice sans hésiter. Je mens, j’utilise des subterfuges, mais je ne sais pas [je ne me sens pas coupable]. Je pense que j’ai beaucoup de colère intérieure par rapport à l’abandon, la négligence, le rejet. […] Mais je veux comprendre pourquoi j’ai accepté cette invitation [à prendre un café], et pourquoi je suis aussi transformée ! »

Lors de notre rencontre, Julie venait d’annoncer à son mari qu’elle rompait. Son amoureux vient lui aussi de se séparer. « On veut changer de vie, rattraper le temps qu’on n’a pas passé ensemble […]. Je n’ai pas la prétention de connaître l’avenir, mais j’ai la prétention de vouloir que cet avenir soit rempli de passion ! »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat