Après #metoo, #moiaussi, voici #metoogarçons, une nouvelle vague de dénonciations lancée en France qui libère une parole inédite et particulièrement taboue.

La nouvelle vague #garçons

« Violé par le père de mon meilleur ami pendant 2 ans. » « J’avais 6 ans. Mon cousin, 18 ans. Dans la famille c’était l’omerta. » « Arrête de mentir : les garçons violés, ça n’existe pas. » Les témoignages en ce sens se multiplient sur X depuis la prise de parole du comédien français Aurélien Wiik, la veille de la cérémonie des Césars, il y a 10 jours. « J’avais 11 ans. De mes 11 ans à mes 15 ans, j’ai été abusé par mon agent et d’autres gens de son entourage », a dénoncé le comédien, aujourd’hui âgé de 43 ans, sur son compte Instagram. S’il dit s’être plaint et avoir « envoyé en prison » ledit agresseur à l’époque, Aurélien Wiik montre également du doigt d’autres producteurs et réalisateurs. « Jusqu’à mes 25 ans, on m’a proposé des rôles, de la drogue, en échange de faveurs », ajoute-t-il, invitant toutes les victimes masculines à prendre enfin la parole. Sans tarder, des personnalités connues (notamment le comédien Francis Renaud, qui accuse le réalisateur André Téchiné d’agression, des accusations aussitôt contestées) ont répondu à l’appel, lequel dépasse depuis largement le monde du cinéma. Des mots d’encouragement et de solidarité se sont multipliés tout autant.

Pourquoi le tabou ?

Certes, ces nouvelles dénonciations s’inscrivent dans un contexte particulier. Rappelons que cette cérémonie des Césars a été marquée par une vague d’accusations de violences sexuelles, lancées notamment par l’actrice française Judith Godrèche. Or peu d’hommes avaient à ce jour pris si ouvertement part au mouvement. Question de proportions, notamment : si on estime que près de 90 % des victimes sont des femmes (selon les chiffres de l’INSPQ), seuls 10 % seraient des hommes. Mais aussi, question de mythes tenaces. « Il y a des barrières particulières pour les hommes, analyse Dominique M. Lavoie, étudiante au doctorat en études féministes et de genre, en lien avec la construction sociale qu’on a de la masculinité. » Par exemple : « Un homme, c’est fort ; un homme, ça ne peut pas être agressé ; on pense que les hommes veulent aussi par défaut de la sexualité », illustre la chercheuse, affiliée à la Chaire de recherche sur les violences sexistes et sexuelles en milieu d’enseignement supérieur. Parlez-en à Léophane Renaud, 53 ans, agressé par un prêtre dans son enfance, puis à répétition et pendant près de 30 ans par sa conjointe et des « amis ». En clair : « Tout le monde me pose la question, dit-il au bout du fil. Comment tu fais pour bander ? » C’est d’ailleurs pour cette raison que l’homme, appuyé par ses enfants, planche ces jours-ci sur une autobiographie, qui devrait s’intituler : Ma vie aurait pu être la vôtre. « Parce que c’est tabou. Mes enfants me le disent : si tu ne mets pas ton nom, ton visage, personne ne va te croire. Mais il ne faut plus que ça arrive ! »

20 ans avant de prendre la parole

Les hommes victimes de violences sexuelles dans leur enfance prennent en moyenne 20 ans avant d’en parler. Un temps qui peut doubler dans certains cas. Pire, la moitié n’en souffle jamais le moindre mot à son entourage, selon une étude menée par Natacha Godbout, professeure au département de sexologie de l’UQAM, en 2022. Elle a sondé 379 hommes ayant recours à des services auprès d’un organisme d’aide au Québec. On y apprend en outre que 9 hommes sur 10 ont des symptômes de détresse psychologique et que la moitié vit avec des symptômes de stress post-traumatique. Si peu d’hommes ont pris la parole à ce jour, la chercheuse croit que c’est surtout parce qu’ils n’ont pas senti que le mouvement #metoo était « pour eux ». « Parce que majoritairement, ce sont les hommes qui sont des agresseurs, alors les hommes ont été un peu campés dans le rôle du méchant », avance-t-elle. « Mais l’affaire Salvail a aidé beaucoup d’hommes à porter plainte. » Elle espère que cette nouvelle vague #metoogarçons aura le même effet de « délier les langues. Et de faciliter la réflexion avec les proches ».

De la parole aux actes

Cela fait près de 30 ans que le sociologue de la sexualité Michel Dorais a publié son fameux Ça arrive aussi aux garçons. À l’époque, on lui disait : « tu ne trouveras pas de victimes ! », « ça ne se peut pas ! ». En tournée en France, on lui a même dit : « C’est terrible, ce qui arrive au Québec ! Ça n’existe pas ici, heureusement ! » À la lumière de ce qui déboule ces jours-ci sur les réseaux sociaux, « là, ça se passe », dit-il. « Et ça ne me surprend pas ! » Selon les recherches les plus modérées, souligne le prolifique auteur, on évalue même qu’un homme sur dix serait victime d’agression sexuelle (et une femme sur trois). Si cela prend tant de temps avant qu’ils parlent, c’est en outre lié à cet ultime mythe, selon lequel « qui a été agressé agressera ». « Ça contribue beaucoup au silence des gars, déplore Michel Dorais. Mais ce n’est pas vrai, les victimes ne commettent pas plus d’agressions ! » Il se félicite de ce nouveau chapitre de prise de parole publique. Mais ça ne suffit pas. « Libérer la parole, c’est bien, mais il faut que le système de justice bouge ! […] Parce qu’une fois qu’on a parlé, le couvercle peut se refermer. Mais les gens veulent justice ! […] Il ne faut pas que ce réveil tombe dans le vide ! »

Une expo pour « tracer les maux »

  • Une illustration de Chaimae Khouldi, intitulée Photos de famille, dans le cadre de l’exposition Tracer les maux

    IMAGE FOURNIE PAR L’UQAM.

    Une illustration de Chaimae Khouldi, intitulée Photos de famille, dans le cadre de l’exposition Tracer les maux

  • Illustration de Juliette Pierre intitulée Tu n’es pas seul

    IMAGE FOURNIE PAR L’UQAM

    Illustration de Juliette Pierre intitulée Tu n’es pas seul

  • Layloo Lapierre signe cette illustration, Arrête-toi pas.

    IMAGE FOURNIE PAR L’UQAM

    Layloo Lapierre signe cette illustration, Arrête-toi pas.

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L’exposition Tracer les maux propose une incursion bouleversante et profondément humanisante dans le vécu d’hommes victimes de violences sexuelles dans leur enfance. Inspirés d’entretiens qualitatifs réalisés par la chercheuse et professeure au département de sexologie de l’UQAM Natacha Godbout, des auteurs et artistes visuels, dont Steve Gagnon, Denis-Martin Chabot et Mickaël Bergeron, ont mis en mots et en images l’indicible. « L’enfance n’est pas à l’infini réparable et quand elle n’est pas jolie, quand elle se gâche trop tôt, nous passons le reste de nos vies à ramasser des pots qui se cassent et se cassent éternellement… », écrit Steve Gagnon. Par cette prise de parole interdisciplinaire et une utilisation inédite de l’art au service de la recherche, Natacha Godbout souhaite « toucher les gens, susciter l’empathie et la compréhension profonde de ces hommes-là. […] J’espère attirer l’attention sur ce sujet qui fait peur et faciliter les conversations ».

Exposition disponible en ligne.

Consultez le site de l’exposition

Ressources

Vous avez été agressé dans votre enfance ? Quelques centres d’aide au Québec :

Montréal

CRIPHASE : Centre de ressources et d’intervention pour hommes abusés sexuellement dans leur enfance

Téléphone : 514 529-5567

Consultez le site de CRIPHASE

Mauricie

Emphase : Entraide Mauricie – Centre-du-Québec pour hommes agressés sexuellement dans l’enfance

Téléphone : 1 855 519-4273

Consultez le site d’Emphase

Estrie

SHASE : Soutien aux hommes agressés sexuellement Estrie

Téléphone : 819 933-3555

Consultez le site de SHASE

Québec

Autohommie : Centre de ressources pour hommes

Téléphone : 418 648-6480

Consultez le site d’Autohommie