(Paris) Anouk Grinberg, l’une des actrices françaises qui ont décidé de briser « le silence » autour des violences sexuelles dans le 7e art, estime que les producteurs « savent qu’ils engagent un agresseur » lorsqu’ils confient un rôle à Gérard Depardieu.

« Quand des producteurs de films engagent Depardieu sur un film, ils savent qu’ils engagent un agresseur. Pas un agresseur potentiel : un agresseur », accuse Anouk Grinberg dans un entretien à l’AFP.

L’actrice de 60 ans a partagé avec Gérard Depardieu l’affiche du film Les volets verts, après lequel deux membres de l’équipe ont accusé l’acteur d’agression sexuelle.

Mardi, le parquet de Paris a annoncé qu’une enquête avait été ouverte après la plainte d’une décoratrice de 53 ans, la troisième enquête en France visant l’acteur.

D’après le récit de la décoratrice au site d’investigation Mediapart, Gérard Depardieu aurait tenu de nombreux propos graveleux pendant le tournage à Paris, le 10 septembre 2021, puis ultérieurement l’aurait « attrapée avec brutalité » et lui aurait « pétri la taille, le ventre, en remontant jusqu’à ses seins ». L’agression dénoncée aurait été interrompue par les gardes du corps de l’acteur, selon elle.

Anouk Grinberg dénonce la « lâcheté » du réalisateur des Volets verts, Jean Becker, qui l’a accusée de propos « détestables » au sujet du comportement de Gérard Depardieu.

« Il savait très bien que deux femmes avaient été agressées gravement. C’est pour couvrir leur lâcheté, leur incapacité à protéger les femmes que (Jean Becker et les producteurs du film) m’accusent (de mentir) », fustige-t-elle.

PHOTO PATRICK KOVARIK, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Jean Becker

« Sur Les volets verts, il y avait, paraît-il, une dame (référente) dévolue (à prévenir les) agressions », poursuit l’actrice. « Elle n’a jamais apporté son soutien aux femmes qui se sont fait agresser. Elle n’est jamais intervenue quand on entendait parler de moule, de chatte, de bite, de se faire sucer. »

Anouk Grinberg soutient aussi la comédienne Charlotte Arnould, dont les accusations en 2018 valent à l’acteur une inculpation pour viols depuis 2020, et appelle d’autres actrices à prendre la parole.

« Sur certains films avec Depardieu, on dit à l’équipe avant le tournage : “s’il y a le moindre problème, vous vous taisez. Si vous parlez, vous êtes virés.” C’est efficace. […] Les gens ont peur pour leur pomme, peur de perdre leur boulot, et peur de ne pas être crus. »

« Puanteur »

Évoquant une émission de la télévision publique française diffusée en décembre Complément d’Enquête, dans laquelle on voit l’acteur multiplier les insultes misogynes et les propos à caractère sexuel, Anouk Grinberg assure que ce type de langage était le lot quotidien sur le tournage du film.

« Ce que les gens ont vu dans Complément d’enquête (sur Depardieu), c’est à peu près soft par rapport à ce que moi j’ai vu sur Les volets verts, et je ne suis pas la seule, on l’a tous vu, on l’a tous entendu […]. Du matin au soir, on avait le droit à ses salaceries », dit-elle.

Selon Anouk Grinberg, qui connaît de longue date Gérard Depardieu, son comportement s’est aggravé depuis des années. « Je l’ai toujours entendu avoir des propos sexuels, graveleux, mais oui ça a très, très gravement empiré, avec la permission du métier qui le paie pour ça, et qui couvre ses délits ».

Interrogée sur le silence d’actrices renommées comme Catherine Deneuve ou Isabelle Huppert qui ont tourné avec lui, Anouk Grinberg déplore d’être l’une des rares à dénoncer ces violences sexuelles. « C’est une affaire de conscience de soi à soi, et d’empathie. C’est leur affaire. Mais bien sûr que j’aimerais que beaucoup plus de femmes parlent, car beaucoup de femmes savent. »

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Gérard Depardieu et Catherine Deneuve

Anouk Grinberg, qui reconnaît avoir été elle-même à une époque « complice » de ces agressions, explique avoir fait des « rencontres très importantes qui font qu’on est révélé à soi-même ». « Il y a six ans j’ai rencontré Charlotte Arnould, qui à ce moment-là était très, très seule, complètement démolie par ce qu’elle venait de subir », raconte-t-elle.

Elle-même a subi ce type d’agressions, mais estime que les choses commencent à changer, bien que très lentement. « Bien sûr que j’ai eu à subir des agressions et que j’ai été entraînée à les considérer comme normales, pas seulement pour pouvoir fonctionner dans le métier, mais tout simplement pour pouvoir fonctionner dans la vie », dit-elle. « Quand on est une femme, on a intégré que se faire agresser, ça fait partie de la vie. C’est ça qui est en train de changer. »

« Ça ne change pas comme ça (mais) l’écoute a commencé à se faire, c’est déjà bien ». Quant à ceux « qui sont dans le déni, (ils) participent de cette puanteur ».