La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Anne*, début quarantaine

Anne a été monogame « en série », comme on dit, un peu comme tout le monde, et une bonne partie de sa vie. Elle vient de plonger dans le polyamour et elle n’en revient pas. C’est « fou », « lumineux », bref, « merci la vie » !

Quand on la rencontre, plus tôt cette semaine, on ne peut s’empêcher de se demander pourquoi tout le monde semble polyamoureux ces jours-ci. Le New Yorker posait la question plus tôt cet hiver : « Comment le polyamour est-il devenu si populaire ? » Dans notre boîte courriel, les témoignages en ce sens se multiplient.

« C’est le printemps ? », se hasarde Anne, jeune quarantaine, en riant. « Je ne sais pas si c’est une tendance, poursuit-elle plus sérieusement, mais disons que pour les progressistes, c’est très dans l’air du temps. »

On s’installe dans sa lumineuse cuisine pour l’entendre se raconter. Mais avant de passer aux choses plus joyeuses, il faut savoir que notre interlocutrice a été agressée sexuellement dans l’enfance. « J’ai enterré ça très loin dans une boîte », dit-elle, et on comprend qu’elle n’en révélera pas davantage, à part nous raconter les « traumas » qui lui reviennent sporadiquement, à ce jour. Parfois, indique-t-elle, dans l’acte, son corps fait carrément un « shut down ». « J’en ai encore avec mon mari... » On y reviendra.

Très jeune, enchaîne-t-elle, Anne se sent déchirée entre un fort « désir de connexion » et une « appréhension ». Elle y voit un lien évident : « Le choix d’être avec une personne stable, analyse-t-elle, c’est un peu un remède à la peur, à la peur des hommes... »

Sauf que ses relations « en série » se soldent toutes par des « chums trompés », constate-t-elle, en guise de prélude à sa « polyréflexion », si on peut le formuler ainsi. « J’avais de la difficulté à conjuguer mes envies et cette espèce de script normatif de la monogamie. Mais je n’aurais pas dit ça comme ça ado, précise-t-elle en riant. J’aurais dit que j’avais envie de plusieurs personnes, mais que ce n’était pas ça le deal. [...] Mais il n’y avait pas d’option ! »

Toujours est-il qu’elle a un premier chum vers 15 ans et en garde un souvenir « douloureux ». « Quand tu as des traumas, ça ressort... C’est pas le fun, ton corps est raide, pas dans l’accueil... »

Suivent quelques relations, et presque autant de trahisons, avant qu’Anne tombe, mi-vingtaine, sur son mari actuel, le père de ses enfants. « Ça fait 20 ans ! », dit-elle fièrement. Sexuellement ? « Oh, mon Dieu, dit-elle en souriant de plus belle, c’est comme si j’avais trouvé la maison ! » Désir, folie, « combustion » : « C’est quelqu’un qui est assumé et qui n’a pas peur que je le sois aussi. Une rencontre d’égal à égal. » Bref, le bonheur. Un exemple entre mille : « Mon chum d’avant, on ne pouvait pas se masturber ensemble, illustre-t-elle. Là : tu veux te masturber ? C’est cool. Tu veux qu’on se masturbe ensemble ? C’est cool. Tu veux faire ça dans un lieu public ? C’est cool ! »

Deux cochons qui se rencontrent !

Anne

Certes, parfois, reviennent ses fameux traumas. Mais comme monsieur la connaît par cœur, il sait comment l’« accueillir ». « Et ça finit en câlin, illustre-t-elle, pleine de reconnaissance. Ça va bien aller... »

Tout va pour le mieux, et dans la « combustion » pendant 10 ans, « jusqu’aux enfants, laisse alors tomber Anne. Oui, c’est vraiment plate »...

C’est qu’elle traverse un gros post-partum. « Comme j’ai eu un trauma en bas âge, explique-t-elle, quand mes enfants sont nés, il a fallu trouver un moyen pour que mon corps processe, dit-elle. C’était comme si je revoyais ma petite enfance. [...] Ç’a été vraiment difficile... »

Ils traversent ici quelques années de « vaches maigres ». « C’est dur [...]. Il y a beaucoup de ressentiment de part et d’autre, la fluidité qu’on avait est perdue. [...] Il a fallu beaucoup de patience pour traverser ça. » De la patience, certes, mais aussi de la thérapie, quelques séances chez une sexologue, et des heures et des heures de discussion, au bout desquelles, croyez-le ou non, ils réussissent à reconquérir leur belle connexion. Pas exactement comme avant, mais oui, son couple retrouve une sexualité qu’Anne qualifie de « joyeuse ». Ils recommencent même à explorer, découvrent de nouveaux jeux, des accessoires inédits, etc.

« Avec quel couple tu nous verrais... ? » Nous y voici. C’est Anne qui pose en premier la question, qui a le don de les allumer mutuellement en théorie, mais que monsieur n’est pas prêt encore à concrétiser en pratique. De nouveau, la conversation se poursuit ici, des heures, des mois, même des années durant. « Il y a des couches et des couches de tabou, de honte et de script à enlever ! », explique Anne. Mais on était curieux. » Il faut dire qu’Anne a des amis queers et polyamoureux, Monsieur fait des lectures, et « c’est devenu un champ d’intérêt ». L’objectif commun : préserver la relation primaire, avoir éventuellement des relations secondaires, et « sécuriser avant tout le projet familial », résume-t-elle, règles et soirées de sortie incluses.

De fil en aiguille, l’idée fait son chemin, et monsieur finit par être prêt. Mieux : il a une autre femme dans sa ligne de mire. C’était il y a un an. Cette fois, c’est Anne qui flanche un peu. « Le premier mois a été difficile, confie-t-elle. Entre la théorie et la pratique, c’est un choc. Après tant d’années de fidélité, il y a un deuil : je ne suis plus la one and only ? [...] Est-ce le début de la fin ? » Mais elle rebondit, rencontre à son tour quelqu’un en ligne.

Et l’incroyable se produit. À ce moment précis de l’entretien, ses yeux brillent plus que jamais. « C’est fou ! Je n’y comprends rien, ça fait quelques mois ! Et... We hit it off ! », rayonne-t-elle. Comment ? « C’est drôle, au lit, quand ça fait 20 ans que tu es avec le même homme, c’est vulnérabilisant. Mais en même temps, c’est très chaud, un beau trip, vraiment le fun ! »

Mieux : quand son mari est « dans les bonnes dispositions », elle peut même lui raconter ses ébats, et vice-versa. « Ça m’allume encore plus ! [...] C’est très étrange ! [...] Et... ça amène du bon sexe de post-racontage ! »

Mari et amoureux se sont même rencontrés, et à terme, Anne aimerait pouvoir faire des soupers en gang, rêve-t-elle. Non, tout n’est pas parfait, concède-t-elle, il y a parfois des « moments de jalousie » ou d’insécurité. Même des « tempêtes ». Mais ils se parlent, « traversent » ensemble, et Anne se sent plus proche de ses valeurs que jamais. « On a une vie à vivre, croit-elle. Là, j’ai l’impression d’être vivante ! »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat

Écrivez-nous pour nous raconter votre histoire