Quand cinq directeurs d’écoles publiques et privées se libèrent in extremis, au beau milieu du tourbillon quotidien, vous comprenez que le sujet abordé leur tient à cœur. On sait déjà que trop d’enseignants démissionnent, tant leur charge de travail est lourde. Mais on se demande rarement si les parents peuvent réduire leur envie de déserter.

Les directeurs interrogés se sont montrés unanimes : oui, les parents peuvent faire une différence ! Car même si les enseignants passent l’essentiel de leur temps en classe, ils interagissent chaque semaine avec des mères et des pères. Et ces discussions – parfois chargées d’émotions – peuvent les accaparer de longues heures à certaines périodes de l’année ou dans certaines matières.

Malgré tout, avant leurs stages, les nouveaux enseignants ne sont pas préparés à ces échanges, qui les stressent et requièrent donc du mentorat, précise Guylaine Côté, fraîchement retraitée de la direction générale du collège Nouvelles Frontières, un établissement privé de Gatineau.

Personnellement, je prévenais toujours les parents : “Vous savez que l’école n’est pas le prolongement de la maison ? Il peut y avoir des valeurs qu’on ne partage pas à l’école, et vice versa.”

Guylaine Côté, retraitée de la direction générale du collège Nouvelles Frontières

La directrice de l’école secondaire Joseph-François-Perrault, située dans le quartier Saint-Michel, à Montréal, doit, elle aussi, tempérer certaines attentes irréalistes. « On rappelle aux parents qu’on ne peut pas gérer 1500 élèves comme ils gèrent leurs 2 enfants à la maison », expose Julie Dessureault.

La meilleure façon d’aider les enseignants ? Collaborer plutôt que contester, dit-elle. « Faire équipe pour rechercher des solutions fait toute la différence. C’est important que les parents soient ouverts à entendre un autre point de vue que celui de leur enfant. »

C’est aussi le message du vice-président de l’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire, Stéphane Richard. « L’enseignant a besoin que le parent l’appuie, qu’il lui fasse confiance, pas qu’il le discrédite ou tente de se substituer à lui, pour donner raison à l’enfant. Si l’enseignant dit : “Votre enfant a été impoli”, ça se peut, même s’il n’est pas impoli à la maison, il s’essaie dans d’autres sphères de la vie ! »

Des parents rebelles

Autre enjeu crucial : le respect des règles de l’école par… les parents.

« Au moins 80 % du temps, quand un cellulaire sonne en classe, c’est un parent qui téléphone, parce qu’il a raté l’appel de son enfant et pense que ça devait être important, indique Mme Dessureault. Mais à cette heure-là, papa, on est rendu en plein cours de mathématiques, et ce n’est pas le moment ! »

Même si son école l’interdit, des parents roulent aussi dans les stationnements pour déposer leur enfant à proximité des portes, plutôt qu’au débarcadère. En faisant fi de la sécurité des centaines d’autres élèves qui traversent le même espace à pied.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Julie Dessureault, directrice de l’école secondaire Joseph-François-Perrault

Des fois, on essaie d’intervenir avec un beau sourire, mais les parents ne veulent pas s’arrêter et baisser leur vitre pour nous parler ! On se dit : “Mon Dieu, vous faites ça devant vos enfants ! On peut bien avoir de la misère avec eux après ça !”

Julie Dessureault, directrice de l’école secondaire Joseph-François-Perrault

Christian Lacombe, qui dirige l’école primaire Saints-Martyrs-Canadiens, dans le quartier Ahuntsic à Montréal, observe le même phénomène. « Les stationnements, c’est fou, ça mériterait un article entier ! », lance-t-il.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Christian Lacombe, directeur de l’école primaire Saints-Martyrs-Canadiens

« On doit sortir de l’individualisme et comprendre que l’école est une petite société, une structure, et qu’il faut que ça roule. Si on a 20 enfants qui arrivent en retard, ou 20 enfants qui oublient leur boîte à lunch ou leurs souliers, ça dérangera le personnel et la classe 20 fois. »

Une minorité

La situation évolue-t-elle ? « Il y a 15 ans, on voyait déjà des parents qui pensaient que leur enfant était la huitième merveille du monde et qui voulaient jouer aux justiciers dès qu’on soulignait un manquement. Ça reste une minorité et ça dépend des milieux », répond Christian Lacombe.

Notre époque d’instantanéité semble cependant plus propice aux débordements d’émotions, remarque David Bowles, directeur général du collège Charles-Lemoyne, à Longueuil, et président de la Fédération des établissements d’enseignement privés.

« Des gens vont rapidement écrire un courriel et ça crée parfois une relation un peu plus toxique. L’enseignant va se sentir attaqué. Alors je suggère toujours : attendez donc 24 heures pour ne pas agir sous le coup de l’émotion. »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

David Bowles, directeur général du collège Charles-Lemoyne et président de la Fédération des établissements d’enseignement privés

J’encourage les enseignantes et enseignants un peu découragés en leur disant : “Regarde le nombre d’élèves que tu as comparativement au nombre de parents qui te créent des émotions négatives.” C’est vraiment une minorité, peut-être 10 % maximum. Mais c’est des minorités qui occupent parfois la majorité de notre temps.

David Bowles, directeur général du collège Charles-Lemoyne

Julie Dessureault le confirme : « Comme dans tout, 5 % des parents nous occupent parfois plus de 50 % du temps. »

Globalement, la grande majorité d’entre eux respectent l’école, soulignent toutefois nos interlocuteurs.

« Quand des enseignants tombent en maladie pendant l’année, on n’arrive pas à les remplacer aussi rapidement qu’avant, illustre Mme Dessureault. Mais les parents ont une grande indulgence. Je sens qu’ils comprennent le contexte et savent que l’équipe-école fait tout ce qu’elle peut pour essayer de répondre aux besoins des élèves. »

Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue Lisez notre texte « Dix façons d’aider les enseignants »