Je suis enseignante au secondaire dans une école publique, défavorisée, multiethnique. J’enseigne la grammaire du français (une deuxième, une troisième, voire une sixième langue pour certains de mes élèves) ainsi que la littérature et la culture québécoises. Mais, parfois, je veux simplement m’assurer qu’un élève soit assis dans ma classe, même s’il ne m’écoute pas.

Parce que pendant qu’il est là, ce garçon n’est pas en train de se battre. Parce que pendant qu’elle est là, cette fille n’est pas dans la rue. Parce que pendant qu’ils sont là, « mes » enfants sont en sécurité. Et chaque fois qu’ils franchissent la porte de la classe, c’est avec le sourire que je les accueille, même s’ils n’ont pas leur matériel, même si je sais qu’ils dormiront sur leur pupitre dans quelques instants.

J’enseigne pour éduquer, j’enseigne pour protéger, j’enseigne par conviction, j’enseigne avec l’espoir qu’une année de plus sur les bancs – imparfaits – du système d’éducation public donnera à certains et certaines de meilleures chances de tirer leur épingle du jeu.

Tous et toutes ne termineront pas leur secondaire, mais beaucoup auront les acquis nécessaires pour accéder à un DEP ou pour se préparer au monde qui les attend à l’extérieur.

Mon école déborde. Pourtant, on y trouve toujours de l’espace pour accueillir les nouveaux élèves. On a fermé, au cours des dernières années, des locaux informatiques, une bibliothèque, des classes d’accueil. Mon école déborde, mais la direction, les enseignants et enseignantes et les membres du personnel s’acharnent à offrir ce qu’il y a de mieux à tous les élèves, pour les protéger, pour leur offrir un avenir.

Manque de scolarité

Mais pendant que mon école déborde, pendant que des milliers de voix s’écrient, dans la foulée de la grève des enseignants, qu’il faut valoriser l’éducation, le gouvernement choisit de construire, dans Ahuntsic-Cartierville, le quartier de Montréal qui compte le plus grand nombre d’enfants et de jeunes familles, une prison. À quelques centaines de mètres de mon école, dans les cours arrière de mes élèves, en plein quartier résidentiel, on veut faire renaître une prison pour femmes.

Ce qui est ironique, c’est que lors de la présentation publique du projet, en janvier, au collège Regina Assumpta, des gens emplis de bienveillance ont souligné les enjeux liés à l’incarcération des femmes : la pauvreté, la nécessité, la violence familiale, l’ignorance, le manque de scolarité – tout ce que mon école, juste à côté, lutte à contrer. Tout ce que les écoles, si elles étaient plus nombreuses, mieux valorisées, mieux outillées, pourraient enrayer.

Des chercheurs le soulignaient dans les pages du Devoir le 19 février dernier : incarcérer les femmes n’est pas la solution1.

La solution, tout le monde le sait, c’est l’éducation. Mais le gouvernement ne veut pas construire une nouvelle école : il veut construire une nouvelle prison.

De là à dire qu’il n’offre pas beaucoup de chance ni d’espoir aux enfants, il n’y a qu’un pas.

Allez faire croire aux jeunes, et aux filles en particulier, qu’on veut leur bien alors qu’on érige des établissements de détention dans leur quartier, plutôt que de leur offrir les écoles qui pourraient leur donner des ailes.

1. Lisez l’article « Les prisons pour femmes, une fausse solution ? » du Devoir Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue