Les plus rusés d’entre vous diront sûrement : « Et pourquoi pas les deux ? » Et c’est exactement là que réside une grande partie du problème. Sur une planète limitée quant à ses ressources, il est impératif de se questionner sur son rapport à la richesse… la vraie, pas celle monétaire (même si elle peut avoir une certaine utilité).

À écouter certains économistes et politiciennes, il semble que le critère ultime de l’évolution d’une société soit l’augmentation du produit intérieur brut (PIB) ou de notre richesse financière, que ce soit par rapport à nous-même ou par rapport à un autre groupe, comme une province ou un pays. Mais que disent certaines recherches scientifiques à ce sujet ?

Un paradoxe bien connu en sciences sociales et en économie, soit celui d’Easterlin (du nom de l’économiste), nous rapporte qu’une augmentation des richesses, au-delà d’un certain point, n’apporte presque rien du point de vue du bonheur.

En d’autres mots, un certain seuil dépassé, l’argent et ses dérivés n’ont presque aucun effet notable et perceptible sur l’amélioration des conditions de vie. Cela est facilement explicable par ce qu’il est convenu d’appeler l’adaptation hédonique. Une fois extrait de la pauvreté et lorsqu’un certain seuil de satiété est atteint, il appert que l’argent n’a qu’un effet négligeable sur l’augmentation du bonheur ou du bien-être subjectif, car on s’habitue à ce niveau de confort. Le problème est que le niveau de confort est toujours relatif à un comparatif qui, lui, augmente.

Mais pourquoi donc continuer à accumuler de l’argent et des richesses une fois ce seuil dépassé ? Pourquoi tout le temps vouloir plus d’argent ? Et où, au juste, se situe ce niveau de confort ou de satiété ?

Satiété financière : une notion importante à faire connaître

Personne ne remettrait en doute les propos d’une nutritionniste qui dirait qu’un être humain se maintiendra en santé en ingérant un nombre de calories approprié pour sa constitution physique et son niveau d’exercice ; en étant insuffisant ou excessif, l’apport en calories peut être problématique. Il en est de même avec l’argent… et ce, même si on ne veut pas voir cette réalité.

Une étude solide⁠1, auprès de 1,7 million de répondants dans 164 pays, nous apprend qu’il y a bel et bien un effet de satiété de l’argent sur le bonheur, celui-ci étant généralement mesuré par la présence d’émotions positives et de satisfaction de vie, combinée à une relative absence d’émotions négatives.

Pour l’Amérique du Nord, cet effet de satiété apparaît au seuil qui se situe à 65 000 $ US (pour les émotions positives), 95 000 $ US (pour les émotions négatives) et 105 000 $ US (pour la satisfaction de vie).

Ce seuil variera quelque peu⁠2 selon l’endroit géographique où nous sommes, le genre, de même que le niveau d’éducation, mais l’idée générale tient la route : lorsqu’un certain seuil est atteint, l’effet optimal semble lui aussi être atteint. Il faut donc simultanément « remonter le plancher (en augmentant le financement des services sociaux) » et « descendre le plafond (avec les impôts sur le revenu et la fortune) ».

Bonis et transparence financière

Une croyance particulièrement tenace est, par exemple, celle voulant que certains secteurs soient plus performants que d’autres, entre autres par l’utilisation des bonis financiers pour « motiver » les gens. D’un point de vue scientifique, il est généralement admis que les bonis augmentent la consommation d’anxiolytiques et d’antidépresseurs⁠3 et que ceux-ci augmentent la quantité de performance, au détriment de la qualité du rendement et du bien-être des personnes.

Pour nuancer ces propos, mentionnons que ces effets négatifs peuvent être diminués lorsque les bonis sont informatifs (plutôt que contrôlants), entièrement transparents et justes (plutôt que cachés ou ambigus et injustes), collectifs plus qu’individuels, que les critères sont démocratiquement déterminés (plutôt qu’arbitraires) et que les récompenses ne créent pas trop de différenciation entre ceux qui les obtiennent et ceux qui ne les obtiennent pas.

De récentes législations (ex. : État de New York, Californie, Colombie-Britannique) ont d’ailleurs adopté des règles qui cheminent vers de plus en plus de transparence (surtout procédurale), ce qui est un vecteur de justice sociale puissant qui devrait être mis de l’avant et encouragé chez nous.

Le bonheur comme but légitime en soi

Une étude auprès de 57 932 personnes⁠4 nous apprend qu’une réduction de 10 % des iniquités augmente la satisfaction de vie aussi efficacement que le ferait une augmentation de 37 % du revenu annuel. Et dans un échantillon de 33 pays, sur une période de 24 ans, une réduction des iniquités de 5 % augmente la satisfaction de vie autant que le ferait une augmentation de 11 % du PIB. Il est donc possible d’avoir de la prospérité sans croissance, et ce, simplement en diminuant les iniquités. Voilà une politique à coût presque nul qui bénéficie à tous et toutes.

Aussi, une enquête⁠5 auprès de plus de 220 000 personnes, couvrant la période de 1989 à 2016, nous montre que de donner la priorité au travail plutôt qu’au temps de qualité vient avec un coût quant au bien-être de la nation. La vraie richesse d’un peuple devrait ainsi inclure l’affluence temporelle au quotidien et la qualité des expériences quotidiennes.

Le rapport mondial sur le bonheur⁠6,7 est disponible gratuitement, chaque année, depuis au moins 10 ans, pour faire le point sur les pays les plus heureux et les raisons de ces constatations. En isolant les données québécoises des canadiennes⁠8, nous apprenons que le Québec est au sixième rang des entités administratives les plus heureuses au monde, devant nos comparses des autres provinces ; voilà un accomplissement que nous devrions célébrer et améliorer tous et toutes ensemble !

Le grand économiste Adam Smith a d’ailleurs mentionné, aussi tôt qu’en 1759, que « [les gouvernements] n’ont de valeur que dans la mesure où ils tendent à promouvoir le bonheur de ceux qui vivent sous leurs responsabilités. C’est là leur seule utilité et leur seule fin ».

En conclusion, il semble que d’autres critères que l’argent, dont le bonheur et la richesse en temps, pour n’en nommer que deux, puissent être des indicateurs plus probants et puissants de progrès sociétal que ne l’est l’argent ou le PIB. Qui plus est, ces indicateurs peuvent être des objectifs sociétaux importants qui méritent d’être poursuivis comme valables en soi.

*Coauteur du livre Libérer la motivation. Avec la théorie de l’autodétermination publié chez EDITO

1. Consultez l’article paru dans Nature « Happiness, income satiation and turning points around the world » (en anglais)

2. L’étude « Income and emotional well-being: A conflict resolved », parue dans le National Library of Medicine, apporte des nuances sur le seuil de satiété, mais l’idée générale qu’un effet optimal de l’argent survient à un certain seuil est respectée

2. Consultez l’étude « Income and emotional well-being: A conflict resolved » (en anglais) 3. Consultez l’étude Pay-for-performance and employee mental health : Large sample evidence using employee prescription drug usage (en anglais) 4. Consultez l’article académique Income redistribution predicts greater life satisfaction across individual, national, and cultural characteristics (en anglais) 5. Consultez l’article académique Leisure beliefs and the subjective well-being of nations (en anglais) 6. Consultez le World Happiness Report (en anglais) 7. Consultez le site d’une initiative toute québécoise s’y apparentant 8. Lisez la chronique de L’actualité « L’argent du bonheur » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue