Une fois par mois, La Presse, inspirée par le « Questionnaire de Socrate » du magazine Philosophie, interroge une personnalité sur les grandes questions de la vie. Ce dimanche, la chanteuse inuite Elisapie, de retour au Québec après un passage en Europe pour poursuivre la tournée Inuktitut, qui accompagne la parution de son quatrième album solo.

Qui suis-je ?

Je suis une éternelle chercheuse qui n’est jamais bien dans des constats fermés, car la vie n’arrête jamais d’évoluer.

Sommes-nous libres ?

Je pense qu’on naît fondamentalement libre, mais que rapidement, on fait tout pour mettre une cage autour de soi pour se protéger. C’est plus facile. Mais on perd du même coup l’essence de cette liberté qui est plus naturelle que la cage...

Que retenez-vous de votre éducation ?

L’éducation qui m’a forgée n’est pas scolaire. C’est celle de mes parents et des aînés qui ont vécu des changements drastiques. Ils étaient des profs de la vie, des profs de peu de mots qui m’ont appris à laisser de la place au vide et à m’en servir comme outil.

Je réalise aujourd’hui à quel point nos aînés étaient des éducateurs extraordinaires. Depuis 60 ans, on essaie de mettre de côté notre façon d’éduquer, on essaie de nous faire croire qu’on est moins intelligent. C’est triste. Il faut revaloriser cette forme d’éducation dans nos communautés.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

Elisapie en spectacle en décembre dernier

Un penseur, philosophe ou auteur qui vous accompagne depuis longtemps ?

Je pense à trois personnes. Mitiarjuk Attasi Nappaaluk, qui est décédée aujourd’hui, a été diplômée de McGill et a enseigné notre culture. C’était une femme extraordinaire, très influente. Elle a été une des premières femmes autochtones à écrire un livre, Sanaaq, qui est un recueil d’histoire sur une femme.

L’anthropologue Bernard Saladin d’Anglure a travaillé avec elle. Il a écrit un livre fascinant sur notre histoire : Être et renaître inuit : homme, femme ou chamane. Il a visité mon village de Salluit alors que ce n’était qu’un petit campement d’igloos.

Finalement, Leonard Cohen est mon cheerleader ! J’applique tout ce qu’il dit ! Il est devenu bouddhiste et il y a dans cette philosophie une lenteur que les Inuits ont eux aussi...

Qu’est-ce qui tourmente votre conscience ?

Moi-même ! Je suis ma pire ennemie. J’ai l’impression de n’être jamais assez ci ou ça. Je peux vite devenir tourmentée.

La chose la plus surprenante que vous ayez faite par amour ?

Ce n’est pas surprenant, mais j’ai fait trop de déclarations d’amour qui n’allaient nulle part. Je suis une fille passionnelle. Il faut que je me checke !

Le lieu ou l’état d’esprit parfait ?

Le territoire inuit, la toundra, l’horizon immense. Et les montagnes d’où je viens, à Salluit. Là-bas, la nature nous remet à notre place ! Elle a ce pouvoir de nous faire comprendre qu’on ne peut pas tout contrôler. C’est très puissant d’être devant cette immensité et ces montagnes qui parlent.

Un avantage d’être égoïste ?

Oui, il y en a. Surtout pour les femmes. Pour trouver un équilibre homme-femme, pour rectifier le passé, les femmes ont besoin de prendre leur place et de ne pas s’excuser d’être égoïstes. C’est encore la place où il faut être.

Une qualité que vous n’aurez jamais ?

Sportive ! J’ai renoncé depuis longtemps. J’aime courir, mais je n’ai aucun intérêt pour la compétition.

Un rêve ou un cauchemar récurrent ?

J’ai un rêve qui revient souvent. Je suis dans un édifice très haut et je dois marcher sur des petites lignes sans tomber. J’ai le vertige. Ce n’est pas le fun. Quand je fais ce rêve, c’est une indication qu’il y a quelque chose qui se passe dans ma tête. Je dois trouver plus de calme.

Un lieu parfait pour rêver, créer ?

Chez moi, devant une fenêtre, quand les enfants ne sont pas là. J’ai la capacité de partir en voyage dans ma propre maison.

Une belle mort, selon vous ?

La mort, j’y pense souvent. Dans ma culture, ce n’est pas un tabou. La vie et la mort cohabitent et je trouve ça très sain. J’ai perdu mes deux parents et mon père blanc biologique dans un court laps de temps.

J’espère mourir dans l’acceptation, sans être amère ou malheureuse. Et en ayant le temps d’aller faire des déclarations d’amour aux gens. Je trouve ça inspirant. Je ne veux pas mourir subitement.

Ce qui vous fâche dans la vie ?

Les enfants qui souffrent parce que les adultes autour d’eux ne vont pas bien. Il n’y a rien de pire. Les injustices envers les enfants me donnent toujours envie de pleurer.

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