Les républicains de la Floride ont décidé qu’après leurs assauts sur les droits des minorités sexuelles, parler aux enfants du primaire du cycle menstruel est l’autre projet d’exclusion sur lequel il faut légiférer. Alors, on apprenait cette semaine qu’ils travaillent sur un projet d’interdiction d’expliquer aux fillettes des connaissances de base sur leur système reproducteur.

Dans mon ancienne vie, j’ai enseigné la physiologie de la reproduction à quelques cohortes d’étudiantes au baccalauréat en sciences infirmières. Pour évoquer le caractère systémique de cette diabolisation historique des menstruations, j’aimais leur parler des thèses du médecin viennois Bela Schick. En 1920, ce docteur a sorti une théorie dite des ménotoxines qui fera beaucoup de dommages.

Tout a commencé le jour où le clinicien dit avoir remarqué que son bouquet de roses, offert à une femme menstruée, avait fané trop rapidement. Il se gratte la tête dans son labo et valide probablement ce qu’il savait idéologiquement indéniable. Les règles contiennent des ménotoxines ; des poisons qui sortent par la peau des femmes et qui peuvent provoquer le flétrissement des plantes et le pourrissement hâtif de la nourriture. Il venait d’actualiser une croyance venue de l’époque romaine.

Ici, les menstruations étaient aussi considérées porteuses de toxines qui pouvaient rendre une femme folle. Même le réputé Pline l’Ancien dira que les femmes menstruées sont capables de gâcher le goût du vin, provoquer des hécatombes dans les colonies d’abeilles et détériorer la nourriture. Les toxines menstruelles émanaient de la peau de la femme, de son toucher, de son regard et même de son haleine, écrira le sage. Une caricature misogyne que beaucoup de penseurs occidentaux perpétueront. J’ai rigolé en découvrant un reliquat français de cette connerie rapporté dans la revue Clio par Jean-Yves Le Naour et Catherine Valenti.

Vers la fin du XIXe siècle, disent-ils, à Anjou, on tentait encore de se débarrasser des chenilles qui infestaient un champ de choux en le faisant traverser à plusieurs reprises par une femme menstruée.

Le Québec n’a pas échappé à ces sornettes. Même parler directement du sang menstruel était tabou à une époque pas si lointaine. En entrevue avec le magazine Québec Science, l’ethnologue Suzanne Marchand disait qu’entre 1900 et 1950, certaines expressions utilisées pour parler indirectement des menstruations avaient un lien avec la couleur rouge. On disait « les Anglais sont arrivés », car l’uniforme anglais était de cette couleur. On pouvait aussi mentionner l’arrivée du cardinal, dont l’habit sacerdotal rappelait le rouge du sang menstruel.

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Notre chroniqueur relève qu’historiquement, la diabolisation des menstruations possède un caractère systémique, certaines fausses croyances affirmant même que la présence d’une femme menstruée détériore plus rapidement la nourriture.

Ici aussi, dit-elle, on retrouvait les croyances qui voulaient que les menstruations détériorent la nourriture, empêchent les gâteaux de lever, gâtent les sauces et surissent les conserves. À savoir si la ménopause libérait la femme de cette charge, Suzanne Marchand répond que lorsque les menstruations s’arrêtaient, on présumait que tout ça restait à l’intérieur et que la femme pouvait devenir « contagieuse ». Être ménopausée rimait donc avec être ménointoxiquée.

Longtemps réduit au silence dans le monde occidental par la science, la libération sexuelle et les luttes féministes, voilà qu’à la faveur de l’évolution régressive d’une certaine droite rétrograde, le regard empreint de souillure et de dégoût que les religions ont toujours posé sur les menstruations revient hanter l’Amérique.

Cette obsession maladive pour le corps de la femme est souvent le fait de mâles terrorisés par ce grand pouvoir naturel féminin que représente la certitude de couver sa génétique. Devant l’incertitude de la paternité que la nature a flanquée aux gars, la phallocratie s’est surpassée dans l’histoire pour surveiller, enfermer, contrôler, exclure et même diaboliser la sexualité des femmes. Des violences qui doivent à la jalousie, la possessivité, la peur et l’insécurité pathologique d’une certaine masculinité. Je parle surtout ici de la frousse de ne pas être le dépositaire du spermatozoïde fécondant qui traversera cet utérus mystérieux et qui, depuis la nuit des temps, est l’objet de tous les mythes anxiogènes pour le mâle humain.

Pourtant, les règles, c’est juste l’expression de la générosité d’une femme qui augmente le confort et les ressources nutritionnelles dans son utérus en prévision de l’arrivée d’un œuf fécondé qui ne s’est pas présenté.

Pourquoi ne pas s’ouvrir à la science et les voir poétiquement comme un simple mouvement de flux et le reflux qui rythment la perpétuation de notre espèce dans la biosphère ?

L’Amérique qui tasse la science au profit du dogmatisme, c’est du déjà vu. Au début du XXe siècle, nombreux sont les enseignants qui y ont été ostracisés par ces gens qui maudissent Darwin et pensent que la Terre est le centre de l’univers. C’est seulement en réalisant que les Soviétiques se préparaient secrètement à aller sur la Lune que l’Amérique se réveillera en sursaut. Elle comprendra, comme disait le défunt Stephen Jay Gould, que la science et la religion sont deux magistères qui gagnent à ne pas partager des zones d’empiétement.

Aujourd’hui, c’est la Chine qui doit scruter avantageusement ce nouveau programme républicain d’abrutissement qui instrumentalise l’inculture, le complot et l’exclusion pour garder le pouvoir. Une mouvance qui a culminé avec l’élection de Trump et dont le contrôle du corps de la femme est au centre des priorités. Je plains ces hommes qui ne connaissent pas la frontière entre aimer une femme et posséder une femelle. Pendant que la planète se meurt, ces gens font de l’appropriation utérine leurs grandes priorités. Vraiment pitoyable !