(Trois-Rivières) Il fallait un peu s’y attendre. Nous avions demandé au chef Samy Benabed si sa mère, avec qui il venait de tenir un « souper de famille » marocain à l’Auberge Saint-Mathieu, cuisinerait un simple tagine pour nous. Quand elle nous a ouvert la porte de son appartement, c’est une table des grands jours débordant de délices qui nous a accueillis. La pièce maîtresse mijotait encore sur la cuisinière.

« Moi, j’aime beaucoup les gens. Je suis une femme généreuse », déclare l’énergique mère de quatre grands enfants, comme si nous ne l’avions pas déjà constaté. Le travail que pratique aujourd’hui Amina le reconfirme. Elle accompagne des personnes âgées dans leur quotidien. Une d’entre elles « capote » d’ailleurs sur sa cuisine marocaine, nous confie la chef de famille, complètement investie dans son boulot depuis son retour du Maroc, où elle a laissé passer la pandémie.

  • Amina nous reçoit dans sa cuisine.

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Amina nous reçoit dans sa cuisine.

  • Ces rouleaux sont farcis de viande ou de poisson.

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    Ces rouleaux sont farcis de viande ou de poisson.

  • Le tagine aux artichauts et aux petits pois est celui que préfère Samy.

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Le tagine aux artichauts et aux petits pois est celui que préfère Samy.

  • La taktouka est une salade cuite.

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    La taktouka est une salade cuite.

  • Tadam !

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    Tadam !

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C’est que la vaillante a un projet. Elle a acheté une terre à Tiflet, non loin de sa ville natale de Salé, au Maroc. Elle y fera construire une maison qui pourra accueillir toute la famille et plantera un jardin nourricier. En attendant, elle travaille et fait des économies pour s’offrir une retraite confortable.

Il en va de même de son ex-mari, père de Samy, qui a repris ses quarts de livraison au Ti-Coq. Malgré son diplôme en administration de l’Université de Trois-Rivières, Aziz Benabed n’a jamais réussi à se faire embaucher dans son domaine. Depuis quelques années, il travaille pendant la belle saison québécoise et passe ses hivers au Maroc.

Heureusement, en 2023, Samy Benabed vit une autre réalité que celle de ses parents. Certes, enfant, il n’a pas été complètement épargné par le racisme, mais aujourd’hui, l’étoile montante se taille une très belle place dans l’espace gastronomique local, et même à l’international.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Samy Benabed est chef copropriétaire de l’Auberge Saint-Mathieu.

Nommé « Révélation de l’année » aux plus récents Lauriers de la gastronomie québécoise, au printemps dernier, le chef de 31 ans était également un des 10 finalistes canadiens de la prestigieuse Pellegrino Young Chef Academy. Il a remporté le prix du public « Food for Thought » pour son plat « Poule de soie ti-coq », un hommage au poulet de rôtisserie québécois et, bien évidemment, à son père.

Samy est très manifestement un électron libre. Son parcours éclaté a semé moult surprises. Sa mère le voyait devenir médecin lorsqu’il a fait son cégep en technologie d’analyses biomédicales, à Shawinigan. Puis on l’a imaginé grand penseur tandis qu’il étudiait la philosophie à l’UQAM.

Une deuxième famille

Mais c’est dans la cuisine de Samuel Pinard, à la regrettée Salle à manger, qu’il a trouvé sa place. Puis sa passion pour les produits d’exception s’est « agravée » pendant les trois années qu’il a passées aux côtés de Marc-Alexandre Mercier, à l’Hôtel Herman, une autre belle table dont Montréal est toujours en deuil.

Habité par le syndrome de l’imposteur, le jeune homme s’est inscrit à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ). « J’ai fait une session et demie, mais je n’apprenais pas vraiment, regrette Samy. Ils ont trouvé que j’étais arrogant parce que je ne me présentais pas à tous mes cours. Mais moi, je voulais juste apprendre. Alors je suis parti. L’ironie, c’est que l’année d’après, ils m’appelaient pour que je donne des ateliers en enseignement supérieur. »

Deuxième ironie, lorsque nous le rejoignons chez sa maman, à Trois-Rivières, le chef revient justement de l’ITHQ, où il a concocté un menu sur le thème des produits forestiers de la Mauricie. Samy n’est visiblement pas rancunier, même s’il ne manque jamais de souligner les contradictions de nos institutions.

La cuisine me fait vraiment triper, je n’ai jamais l’impression de travailler. Mes collègues sont devenus ma famille, mes amis. Je ne trouverais pas ça en poursuivant une carrière scolaire.

Samy Benabed, chef copropriétaire de l’Auberge Saint-Mathieu

« Puis toutes les questions fondamentales qui m’intéressent en font partie : l’éthique des relations avec les collègues et employés, le rapport au produit, les innombrables manières de faire les choses, ajoute-t-il. À l’Auberge, on remet toujours tout en question. »

  • Le Comptoir de l’auberge est un ajout tout récent.

    PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

    Le Comptoir de l’auberge est un ajout tout récent.

  • L’Auberge Saint-Mathieu donne sur le lac Bellemare.

    PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

    L’Auberge Saint-Mathieu donne sur le lac Bellemare.

  • L’auberge a été construite il y a plus de 25 ans par Jean-Marcel Lacourse et Louise Trottier.

    PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

    L’auberge a été construite il y a plus de 25 ans par Jean-Marcel Lacourse et Louise Trottier.

  • Ici, la verdure est reine.

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    Ici, la verdure est reine.

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Quatre amis et une auberge

C’est avec son ami d’enfance Nicholas Trottier-Lacourse, fils des anciens propriétaires, Louise Trottier et Jean-Marcel Lacourse, et deux autres partenaires que le chef a tout récemment racheté l’Auberge Saint-Mathieu. Florent Borrel est un ancien client, grand connaisseur de fromages, maintenant responsable du Comptoir de l’auberge où on sert une cuisine toute simple et du vin. Étienne Prud’homme, qui a travaillé dans le groupe Joe Beef et au défunt Pastel, est maître d’hôtel et responsable de la carte des vins. En salle et en cuisine, le personnel a la jeune vingtaine pimpante et passionnée.

L’Auberge illustre bien ce qui rend la gastronomie québécoise unique. Elle se pratique bien souvent sans chichis, dans les endroits les plus inattendus, comme cette construction rustique sur le lac, qui n’a aucune ambition de devenir un Relais et Château ni une table étoilée Michelin, même si sa cuisine est tout à fait à la hauteur. L’endroit est dynamique. L’équipe organise régulièrement des soupers d’un soir avec des restos amis et même avec les parents du chef !

« Le plan d’affaires comporte plusieurs étapes que l’on franchit à notre rythme », explique celui qui a commencé à apprivoiser les lieux à l’été 2020, mais seulement pris possession et lancé les rénovations en janvier 2023. Pour l’instant, le rapport qualité-prix est imbattable. C’est possible d’avoir une chambre et un repas gastronomique de huit services pour deux pour environ 400 $, avant vin et pourboire.

Samy Benabed pratique une cuisine très esthétique et soignée, dans la veine nordique dont il s’est laissé imprégner pendant son stage au Relae de Copenhague (fermé en 2020) et en travaillant au Mousso. Mais les créations du chef ne sont pas que jolies. Elles sont infusées d’émotion, de sincérité et d’une certaine nostalgie gustative.

  • Le vol-au-vent déconstruit de Samy

    PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM @AUBERGE.SAINTMATHIEU

    Le vol-au-vent déconstruit de Samy

  • Un grand soin est apporté à la présentation des plats.

    PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM @AUBERGE.SAINTMATHIEU

    Un grand soin est apporté à la présentation des plats.

  • La truite cachée

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    La truite cachée

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Dans le menu que nous avons eu le bonheur de déguster, il y avait entre autres un vol-au-vent méconnaissable à l’œil, mais impeccablement familier pour les papilles. Un des deux desserts était une divine référence au sandwich PB & J (beurre d’arachides et confiture), déconstruit comme suit : mousse à l’arachide, glace framboise et mouillette saupoudrée de vinaigrier. L’histoire familiale s’exprime aussi dans certains plats. Le tartare d’agneau en amuse-bouche est posé sur un peu de khoubiza, salade cuite à base de mauve.

« Petite anecdote : avant le protectorat français, les Marocains ne portaient pas vraiment de nom de famille. Mais à partir de 1950, ils ont été obligés d’en enregistrer un et mon arrière-grand-père, ne sachant pas trop quoi inscrire dans son acte d’état civil, a choisi le nom de son plat préféré, la khoubiza. C’est donc le nom de famille de ma mère ! »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

La khoubiza est une salade cuite de mauve (ou d’épinards dans ce cas-ci).

Lors de notre visite, Amina ne manque évidemment pas de préparer une khoubiza en entrée. « On la mange avec du pain, sans ustensiles », insiste-t-elle en nous voyant soulever une fourchette. Il en va de même de la délicieuse taktouka (une autre salade cuite, à base de tomates et de poivrons cette fois).

Après l’exquis tagine, nous sommes malheureusement pressés de rentrer à Montréal, pour nous occuper de nos propres familles. Amina insiste donc pour remplir mon thermos de thé à la menthe et emballer un petit carré de gâteau pour le photographe. Sur le pas de la porte, elle me met une boîte de dattes bien moelleuses dans les bras. Si ça n’est pas du grand réconfort, ça !

Consultez le site de l’Auberge Saint-Mathieu