Comme la France et la Suisse, les Alpes italiennes ont leurs spécialités fromagères, dont la fonduta. Mais la cuisine de montagne est loin de se limiter aux produits laitiers. Le chef Marc-Olivier Frappier adore l’Italie et les Alpes. Il nous fait découvrir d’autres plats parfaits pour l’après-ski.

Marc-Olivier Frappier, chef du restaurant Mon lapin, a une « famille italienne », qu’il retourne voir chaque année. Gigi et Diletta l’ont accueilli dans leur maison de Romagne alors que le jeune cuisinier en herbe participait au programme AFS Interculture Canada (échange d’études secondaires). Pendant les vacances, ils faisaient les cinq heures de route qui les séparaient des montagnes.

« La première fois qu’on est allés dans les Alpes, c’était du côté autrichien et c’était exactement comme je l’avais imaginé. On était entrés dans une petite auberge pour demander des indications et il y avait un band en Lederhosen [culotte courte traditionnelle]. Tout le monde buvait de la bière dans des gros bocks. C’étaient les premiers Autrichiens que je voyais de ma vie et je tombais pile sur le cliché ! »

Pendant ce voyage, l’adolescent a été fort surpris de constater ce qu’on mangeait dans ces coins perdus, à 2500 mètres d’altitude. Il y avait des spätzles (pâtes de forme libre), des knodels (boulettes de pain ou de pommes de terre souvent farcies de viande), du speck, du radicchio, etc.

Là où, au Québec, on aurait du Pepsi en fontaine et des hot-dogs, eux avaient une cuisine beaucoup plus élaborée.

Marc-Olivier Frappier, chef du restaurant Mon lapin

Plus tard, alors qu’il était le patron des cuisines de Joe Beef et de Vin Papillon, celui qu’on appelle « Marco » a fait la connaissance de Myrta. Elle livrait des légumes de la Ferme des Quatre-Temps aux restaurants de Montréal. Une amitié s’est développée entre le jeune chef et la maraîchère qui, apprendrait-on assez rapidement, est la fille de la très réputée vigneronne italienne Elisabetta Foradori. On vous recommande d’ailleurs les vins de cette maison située au pied des Dolomites pour accompagner votre cuisine alpine.

PHOTO FOURNIE PAR L’AGENCE ŒNOPOLE

Le domaine Foradori est directement au pied des Dolomites.

Depuis retournée dans son Trentin natal pour y créer ses propres jardins d’altitude entre les vignes, Myrta a rapporté avec elle tout ce qu’elle avait appris dans les potagers d’Hemmingford. En 2018, Marc-Olivier et sa future épouse Vanya Filipovic, sommelière et copropriétaire de Mon lapin, rendaient visite aux Foradori.

« C’était dans le temps des Fêtes. Il n’avait pas neigé depuis deux ans dans la région, mais il s’est mis à neiger quand on prenait la route pour y aller. Il y avait une vraie euphorie à notre arrivée, se rappelle Vanya. Elisabetta habite dans une vraie maison de montagne sur une falaise, beaucoup plus haut que le vignoble. »

  • Les strangolapreti (étrangle-prêtres !) sont des quenelles au pain et aux épinards.

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Les strangolapreti (étrangle-prêtres !) sont des quenelles au pain et aux épinards.

  • Mon lapin achète les épinards d’hiver de la Ferme des Quatre-Temps.

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Mon lapin achète les épinards d’hiver de la Ferme des Quatre-Temps.

  • Marc-Olivier Frappier a servi ses strangolapreti de plusieurs manières. Ici, ils ont été déposés sur une sauce herbale et parsemés de raisins de Corinthe.

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Marc-Olivier Frappier a servi ses strangolapreti de plusieurs manières. Ici, ils ont été déposés sur une sauce herbale et parsemés de raisins de Corinthe.

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C’est là que Marc-Olivier a découvert les strangolapreti du Trentin, quenelles aux épinards à base de pain.

Il peut y avoir beaucoup de brun et de beige dans les Alpes, l’hiver. Alors quand tu vois du vert, tu sautes dessus !

Marc-Olivier Frappier, chef du restaurant Mon lapin

Depuis, il sert souvent les « étrangle-prêtres » au restaurant, que l’équipe prépare avec les épinards d’hiver des Quatre-Temps.

« On les a faits à toutes les sauces, de manière vraiment traditionnelle ou plus champ gauche. Mais la base de pain et d’épinards reste la même. »

Cuisine d’après-ski

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Ski alpin dans les Alpes

Bien qu’elle soit aussi saisonnière que la nôtre, avec une grande variété de fruits et de légumes l’été, la cuisine alpine est souvent synonyme d’hiver de ce côté-ci de l’Atlantique et ne sera jamais plus à sa place qu’au chalet, en après-ski.

Il y a clairement un moment de l’année où ça va de soi pour nous, Québécois, de cuisiner de cette façon. Moi, quand il fait -22 oC, je ne cherche pas la tomate fraîche. Ça a du sens de manger de la polenta, des gnocchis, des bouillons faits avec de la charcuterie. C’est ça qui est disponible.

Marc-Olivier Frappier, chef du restaurant Mon lapin

Les cultures culinaires alpines sont beaucoup plus anciennes que la nôtre, mais dans certains coins du Québec, le climat est semblable et ce qui y pousse – ou n’y pousse pas ! – aussi. Nous avons donc avantage à nous en inspirer.

Les 25 et 26 février, Mon lapin reçoit la chef lyonnaise Marie-Victorine Manoa dans le cadre de Montréal en lumière. « Quand elle m’a demandé avec quels ingrédients locaux elle pourrait cuisiner, je lui ai dit, un peu à la blague quand même, d’imaginer qu’elle était à Chamonix ! », lance Marc-Olivier.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Création de Jessica Noël, chef-copropriétaire chez Mon Lapin, ce strudel aux échalotes saupoudré de graines de pavot et surmonté d'une généreuse pointe de bleue pourrait passer pour de la cuisine alpine.

Système D

Encore plus que d’autres cuisines traditionnelles, celle des Alpes est une cuisine de grande débrouillardise. C’est parfois encore le cas aujourd’hui, alors que les livraisons peuvent être retardées de plusieurs jours par une tempête.

« La cuisine alpine est un exemple de cran et d’ingéniosité dans un contexte de vie en région très reculée. Lorsqu’on cuisine dans les montagnes, on aura peu accès à des fruits et des légumes frais l’hiver, et il est possible que l’on doive faire durer les provisions pendant une semaine entre deux livraisons, tout en gérant une auberge qui nourrit de 50 à 250 skieurs et autres clients par jour. La culture alpine est une culture de survie, d’autonomie et d’indépendance », écrit (en anglais) Meredith Erickson, dans son superbe ouvrage Alpine Cooking. Celui-ci fait suite à L’art de vivre selon Joe Beef ; Joe Beef : survivre à l’apocalypse ; et Friuli Food and Wine : Frasca Cooking from Northern Italy’s Mountains, Vineyards, and Seaside (non traduit), entre autres livres.

La cuisine alpine ignore les frontières politiques. France, Suisse, Italie, Autriche et Allemagne (dans une moindre mesure) fusionnent aux sommets. Aussi trouve-t-on des pâtes farcies aux pommes de terre et à la betterave, saupoudrées de graines de pavot dans les Dolomites, un établissement Relais & Châteaux qui s’appelle Bellevue à Cogne (Vallée d’Aoste), de la goulash dans le restaurant d’altitude Sofie Hütte, à Seceda, et un hôtel nommé Fichtenhof à Maranza/Meransen, dans le Tyrol du Sud, en Italie.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

La polenta taragna est faite d’un mélange de maïs et de sarrasin.

Cet hiver, pendant les vacances des Fêtes, Marc-Olivier et Vanya sont allés skier et manger dans la Vallée d’Aoste, « à 45 minutes de route après le tunnel du Mont-Blanc », plus précisément à Breuil-Cervinia.

Là, on était complètement ailleurs côté culinaire. Je ne connaissais rien de la cuisine de là-bas. Il y a plus d’influences françaises, moins d’autrichiennes, beaucoup de beurre, de crème, de fromage, peu de pâtes, mais de la polenta en masse. C’est parfait pour l’après-ski !

Marc-Olivier Frappier, chef du restaurant Mon lapin

S’agissant de polenta, il y en a justement une qui se trouve présentement au menu du restaurant. La taragna est faite d’un mélange de maïs et de sarrasin. On peut la manger seule, avec des légumes verts sautés dessus, en accompagnement d’une viande, etc.

« J’ai été inspiré en regardant le pain à la boulangerie Automne », raconte le chef. Aussi a-t-il demandé au boulanger Julien Roy s’il pouvait moudre sa polenta dans son atelier de la rue Bélanger, avec du maïs bio local.

Le chef a accepté de nous communiquer sa recette ; profitez des derniers mois de l’hiver pour tester différents ratios de maïs/sarrasin dans votre polenta. Quant aux strangolapreti, ceux de Mon lapin sont un peu compliqués à exécuter, mais on en trouve quelques recettes plus simples sur l’internet. Le livre Alpine Cooking, dont la traduction française, Voyage gourmand dans les Alpes, a été publiée en 2022 aux éditions Glénat, comblera toutes vos autres envies de cuisine de montagne.

Consultez le site de Mon lapin

Dans une version précédente de ce texte, il était écrit que le livre Alpine Cooking n'avait pas encore été traduit en français, ce qui était inexact.

Polenta taragna

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Polenta taragna avec beurre noisette

On peut servir cette polenta en plat principal, avec une salade de laitues amères en accompagnement. On peut également la garnir de légumes verts sautés (pensez rapini et brocolini, par exemple) ou avec une viande grillée, voire braisée. C’est une spécialité particulièrement polyvalente.

Préparation : 45 minutes
Rendement : de 4 à 6 portions

Ingrédients

  • 150 g de polenta de maïs biologique
  • 100 g de farine de sarrasin moulu sur pierre
  • 250 ml de lait
  • 500 ml d’eau
  • 100 g de fromage Louis d’Or en cubes
  • 50 g de beurre
  • Sel au goût

Préparation

  • 1. Dans une grande casserole, amener l’eau et le lait à ébullition.
  • 2. Verser la polenta et la farine de sarrasin en pluie en remuant constamment au fouet.
  • 3. Une fois la polenta épaissie, continuer la cuisson pendant une trentaine de minutes en brassant à l’occasion à l’aide d’une cuillère en bois.
  • 4. Hors du feu, incorporer le fromage, le beurre et rectifier l’assaisonnement.
  • 5. Servir chaud avec un peu de beurre noisette en finition.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Vanya Filipovic a sorti une sélection de vins provenant de l’arc alpin (et préalpin), tous pays confondus, offerts dans son restaurant. Tous ces vins sont en commande privée chez divers agents québécois. Ils ne se trouvent donc pas à la SAQ, à l’exception de Radikon (étiquette mauve)

Accords alpins

Pour s’accorder avec votre polenta garnie, votre fonduta ou vos strangolapreti, entre autres, les vins du domaine Foradori, dans le Trentin, sont une excellente option. En blanc, la SAQ tient des cuvées de cépages manzoni bianco et nosiola. En rouge, c’est le roi teroldego, cépage auquel Elisabetta Foradori a (re)donné ses lettres de noblesse lorsqu’elle a repris le domaine familial à 20 ans, à la mort de son père, au milieu des années 1980.

PHOTO FOURNIE PAR ŒNOPOLE

Les vendanges 2023 chez Foradori

« Les vins de montagne sont issus de régions qui, pendant longtemps, ont été extrêmement pauvres, difficiles d’accès, avec un travail manuel ingrat sur des pentes non mécanisables, explique Vanya Filipovic, copropriétaire de Mon lapin. La préservation des cépages autochtones s’est donc faite naturellement grâce à l’isolement géographique de l’arc alpin.

« L’altitude amène des énergies complètement différentes à la plante, comme à l’humain, poursuit la sommelière émérite. Les températures plus basses ralentissent la maturation, pour des équilibres uniques entre sucre et acidité. Aujourd’hui, les vignerons recherchent l’altitude comme façon naturelle de combattre les enjeux des changements climatiques. »

Trouvez les vins de Foradori