Voilà deux semaines que le gouvernement Legault a décidé de doubler les droits de scolarité des étudiants des autres provinces canadiennes. Cette décision inquiète le Canada anglais ainsi que les universités McGill, Concordia et Bishop’s. Le dossier vous semble complexe ? Voici les clés pour mieux comprendre pourquoi il est si controversé.

Quel est le problème ?

En une phrase : le Québec va devenir la première province canadienne à faire payer la totalité des coûts d’une formation universitaire aux étudiants hors province.

La facture annuelle des droits de scolarité passerait donc de 8992 $ à 17 000 $ par an pour un nouvel étudiant venu d’une autre province. Ouch !

Un étudiant québécois paie généralement entre 6000 $ et 10 000 $ par an dans une université du « Rest of Canada » ou ROC (sauf pour certains programmes contingentés comme le droit, la médecine et la pharmacie, où la facture varie entre 20 000 $ et 40 000 $ par an ; ces programmes représentent une minorité d’étudiants). Un étudiant des autres provinces paie sensiblement les mêmes sommes qu’un étudiant québécois (entre 6000 $ et 10 000 $ par an) dans une université du ROC.

Le gouvernement Legault chercherait à diminuer le nombre d’étudiants du ROC au Québec – et par conséquent, la taille de McGill, Concordia et Bishop’s – qu’il ne s’y prendrait pas autrement.

Les étudiants du ROC représentent 22 % des étudiants à McGill, 9 % à Concordia et 27 % à Bishop’s. Il y a un risque réel que la plupart de ces étudiants décident de ne plus venir au Québec.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Les étudiants du ROC représentent 22 % des étudiants à l’Université McGill (notre photo).

Comment cela fonctionne-t-il actuellement ?

Depuis 1996, les étudiants du ROC paient environ trois fois plus cher que les étudiants québécois dans une université québécoise (8992 $ contre 2881 $). C’est parfaitement normal. Les Québécois ont choisi d’avoir des droits de scolarité moins élevés que dans les autres provinces, qu’ils financent en payant des impôts plus élevés.

Le problème, c’est qu’avec sa décision annoncée plus tôt ce mois-ci, le gouvernement Legault rompt l’équilibre qui permet aux étudiants du ROC de payer sensiblement la même somme : (1) qu’ils paient dans les universités du ROC ; (2) que paient généralement les étudiants québécois dans une université du ROC.

Pourquoi Québec fait-il ça ?

Le gouvernement a donné deux raisons : l’équité financière et la défense de la langue française. « D’abord, il y a une question d’équité. Les contribuables québécois n’ont pas à payer pour la formation d’étudiants qui sont à l’extérieur du Québec. […] Quand je regarde le nombre d’étudiants anglophones au Québec, ça menace la survie du français », dit le premier ministre François Legault.

Tout ça pour… 32 millions de dollars

L’argument de l’équité financière ne tient pas la route.

Oui, le Québec paie une partie de la formation universitaire d’un étudiant du ROC à McGill. Mais les provinces du ROC paient la même partie (même un peu plus, mais passons) de la formation d’un étudiant québécois inscrit à l’Université d’Ottawa ou une autre université du ROC.

Chaque année, McGill, Concordia et Bishop’s accueillent 15 000 étudiants du ROC, et les universités du ROC accueillent 11 000 étudiants québécois⁠1. Au net, le Québec paie donc une partie de la formation de 4000 étudiants du ROC.

En moyenne, un étudiant coûte 17 000 $ par an. Comme un étudiant du ROC paie 8992 $ en droits de scolarité dans les universités du Québec, la facture réelle pour le gouvernement québécois est de 8008 $ par étudiant du ROC. Au total, les étudiants du ROC coûtent en en réalité 32 millions de dollars.

Ces 32 millions sont des peanuts – pardon, des cacahouètes – dans le budget de l’enseignement supérieur (10,5 milliards en 2023-2024). Ou comparés aux 9,7 milliards de péréquation nette reçue par le Québec cette année⁠2.

Et le français ?

L’argument du français est aussi boiteux. À moins qu’on ne veuille plus d’universités anglophones au Québec…

De deux choses l’une. Ou bien les étudiants du ROC continuent de venir en aussi grand nombre malgré la hausse des droits de scolarité et ça ne change rien à la situation du français à Montréal. Ou bien ils désertent McGill, Concordia et Bishop’s, et notre milieu universitaire régressera…

McGill est notre université la plus réputée dans le monde, et un pôle de recherche important. On doit être fier de McGill – pas souhaiter son déclin –, tout en améliorant grandement la francisation de ses étudiants.

Il y a d’autres solutions pour protéger le français sans étouffer les universités anglophones. Par exemple, on pourrait imposer aux étudiants un cours de français obligatoire pour obtenir un diplôme de premier cycle (les étudiants pourraient en être exemptés s’ils passent un test de français).

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

La majorité des universités francophones, dont l’Université de Montréal (photo), se montrent critiques de la récente décision de Québec.

110 millions aux universités francophones

En faisant payer 17 000 $ aux étudiants du ROC, Québec économiserait ainsi 110 millions, qu’il souhaite redistribuer aux universités francophones. Or, la majorité des universités francophones (Université de Montréal-Polytechnique-HEC, Université Laval, Université de Sherbrooke), pourtant favorisées par la réforme, se montrent très critiques de la récente décision de Québec3. Seule l’Université du Québec appuie ces changements. Ça ne veut pas dire que Québec ne doit pas améliorer le financement des universités francophones, afin par exemple de hausser leur taux de diplomation. Mais quand trois des quatre principaux bénéficiaires vous suggèrent de reculer, c’est signe que votre solution ne fonctionne pas…

Qu’est-ce qui pourrait arriver ?

Si Québec s’entête, ne soyez pas étonnés que les provinces du ROC (principalement l’Ontario, où vont étudier 9000 des 11 000 étudiants québécois hors Québec) emboîtent le pas et haussent les droits de scolarité des étudiants québécois à 17 000 $ par an. Tout le monde serait perdant.

Un bon coup

En même temps, le gouvernement Legault a annoncé une deuxième décision, cette fois à propos des droits de scolarité des étudiants étrangers (de l’extérieur du Canada). Québec établit qu’il en coûtera au moins 20 000 $ par an (Québec ne paiera donc rien pour leur formation), et prendra les « profits » de l’université anglophone sur cet étudiant (environ 3000 $ par étudiant) pour les redistribuer aux universités francophones, qui n’ont pas accès à un aussi grand bassin d’étudiants étrangers fortunés. Le gouvernement Couillard avait aboli une péréquation similaire entre universités en 2018. Québec fait bien de ramener une péréquation à même les revenus des étudiants étrangers pour aider les universités francophones. On estime que ça permettra de redistribuer une autre somme de 70 millions par an aux universités francophones.

Et réinvestir en éducation ?

Pendant que cette tempête fait les manchettes, on ne discute pas du véritable enjeu : le financement de nos universités.

Avec ces deux mesures, la Coalition avenir Québec n’injecte pas d’argent frais.

Au cours de l’hiver, le gouvernement Legault doit justement revoir le financement des universités. En raison des droits de scolarité moins élevés, les universités québécoises sont moins bien financées que les universités du ROC (l’État ne compense pas tout à fait la différence entre les droits perçus des étudiants et les frais engagés par les établissements). Pour offrir un niveau de financement comparable au ROC, Québec devrait investir 1,4 milliard par an de plus, sur un budget annuel de 4,8 milliards en 2018-2019, a calculé l’économiste Pierre Fortin⁠4.

Note : Pour cet article, nous avons seulement comptabilisé les droits de scolarité, et non les frais afférents.

1. Il s’agit des données de Statistique Canada obtenues par l’organisme Universités Canada.

2. Le Québec a reçu 14 milliards en péréquation en 2023-2024. Comme 18 % des revenus fiscaux fédéraux sont prélevés au Québec, la péréquation nette du Québec est estimée à 9,7 milliards, selon la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke.

3. Lisez la lettre des dirigeants de l’Université de Montréal, Polytechnique, HEC Montréal, l’Université Laval et l’Université de Sherbrooke

4. Pierre Fortin, « L’insuffisance de la scolarisation universitaire au Québec et le sous-financement comparé des universités québécoises », octobre 2021.

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