Nous apprenions cette semaine que plus de la moitié du personnel du réseau de l’éducation vit de la détresse psychologique et que ce niveau de détresse a doublé en dix ans⁠1. L’anxiété chez les élèves, les troubles du comportement et la violence dans les écoles sont aussi en croissance. Aujourd’hui, 40 % des jeunes ont un retard en lecture à l’entrée au secondaire et le tiers des élèves sont carrément en difficulté. On comprend les jeunes enseignants de quitter le navire.

Les problèmes de l’école d’aujourd’hui sont connus. Ils font les manchettes et nos ministres s’y attaquent. Oui, ils s’y attaquent, mais à la pièce et avec un succès pour le moins mitigé. Pourquoi cet insuccès ? Parce que les sources des problèmes de l’école sont profondes.

La société a changé

Les enfants, les parents, les familles d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier. L’univers numérique, l’accès à l’information, les influences culturelles, la force d’attraction du français ont changé aussi. La place du plaisir dans les apprentissages, la charge de travail acceptable, la conception de l’autorité, la gestion du stress, les relations école-famille-communauté, tout, même le rôle des enseignants, s’est transformé dans les dernières décennies. Nos connaissances des meilleures pratiques en éducation ont, elles aussi, évolué.

L’utilitarisme a pris du galon

Une certaine vision utilitariste de l’école a pris le dessus sur une conception plus généraliste. Pour les tenants de cette vision, l’école n’est plus avant tout un lieu de formation de l’esprit, de transmission de la culture et du savoir, mais le lieu où se constitue un bassin de travailleurs destinés à combler les besoins du marché de l’emploi. C’est l’école au service d’un système économique. Est-ce vraiment ce que nous voulons ? La question n’est pas banale. Dans le monde d’aujourd’hui, ce ne sont pas les cultures qui s’affrontent, mais les incultures. Les enfants formés d’abord pour être des techniciens (par opposition à des citoyens) auront-ils les outils nécessaires pour réfléchir ensemble aux problèmes de notre société ?

La capacité de se parler

L’école est prise dans un étau. Elle veut, d’une part, protéger les enfants de tous malaises, mais elle doit, d’autre part, leur apprendre à discuter de tout. Oui, de tout. Parce que le silence est une menace⁠2. Le silence, c’est la censure, c’est l’incompréhension refoulée, ce sont les dogmes et l’obscurantisme, c’est parfois la haine qui dort. Dans un monde où les mots font peur, comment l’école peut-elle remplir sa mission fondamentale, celle de former des esprits ?

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

L’école est prise dans un étau. Elle veut, d’une part, protéger les enfants de tous malaises, mais elle doit, d’autre part, leur apprendre à discuter de tout.

L’école fabrique les inégalités

Notre école a maintenant trois vitesses : le privé, le public sélectif des programmes spécialisés et le public tout court. Elle est devenue une fabrique d’inégalités sociales. La sélection par les notes et par l’argent divise les élèves entre riches et pauvres, entre doués et moins doués. Parmi les jeunes qui fréquentent le public « ordinaire » au secondaire, 15 % iront à l’université. Au public sélectif, c’est 51 % et au privé, 60 %3.

L’instruction étant le vecteur principal de la mobilité sociale, c’est l’ascenseur social qui est bloqué, c’est le principe d’égalité des chances qui est compromis. C’est grave.

Pour répondre à ce défi crucial, le mouvement École ensemble, un des mouvements citoyens actuels les plus enthousiasmants, propose un modèle original qui reçoit des appuis de plus en plus nombreux dans toutes les sphères de la société. Ce modèle, comme les enjeux décrits dans les paragraphes précédents, exige de toute urgence une grande réflexion nationale.

Entre 1963 et 1966, la commission Parent a publié un rapport de 1500 pages, en 5 volumes. Il contenait 500 recommandations pour une refonte complète du système d’éducation québécois. Tout y est passé : l’organisation du système d’éducation de la maternelle à l’université, son financement, les pouvoirs des uns et des autres, la place de la religion, la lutte contre les inégalités sociales, etc.

Les résultats de cette réforme ont été absolument spectaculaires. Je vous en donne un seul exemple : en 1960, les Québécois francophones avaient, en moyenne, une année de moins de scolarité que les Noirs américains⁠4. Aujourd’hui, nous sommes une des nations les plus instruites au monde⁠5.

Le nombre, l’ampleur, mais surtout la profondeur et la complexité des enjeux de notre époque exigent une réflexion à leur hauteur. Nous devons nous éloigner du cas par cas pour porter un regard à la fois sur les défis du monde d’aujourd’hui et sur le réseau de l’éducation comme outil pour nous aider à les relever.

Le philosophe Normand Baillargeon propose depuis longtemps une commission Parent 2.0. Il a raison. En éducation, le pragmatisme ne suffit plus.

Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue 1. Lisez un article du Journal de Montréal, la semaine dernière 2. Lisez une chronique publiée le 14 septembre dernier 3. Lisez un article publié dans La Presse, le 10 octobre dernier

4. Conférence de Pierre Fortin, Montréal, 11 mai 2010. Citation tirée de la bibliographie de Guy Rocher par Pierre Duchesne, p. 40.

5. En 2011, notre taux de scolarisation postsecondaire nous situait au 4e rang sur les 38 pays de l’OCDE.