C’est une directrice d’école enthousiaste et motivée, ça se voit autant dans l’aplomb de sa démarche que sur les traits de son visage.

En l’espace de 30 secondes, elle :

— salue une poignée d’élèves ;

– rappelle à une enseignante leur rencontre « pour les plans d’intervention » ;

— remercie le concierge d’aider un jeune qui a oublié la combinaison de son cadenas ;

— donne rendez-vous à des parents pour une réunion à 17 h ;

— encourage l’équipe de basketball de son école ;

— réconforte avec empathie un adolescent déprimé.

Ouf !

Cette directrice (fictive) est la vedette de la pub (très réussie) qui a été lancée la semaine dernière pour valoriser les directions d’établissements scolaires.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Geneviève Dandurand, directrice de l’école Antoine-de-Saint-Exupéry, et Kathleen Legault, présidente de l’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire

En marge de cette campagne, je me suis entretenu avec une (vraie) directrice d’école, Geneviève Dandurand.

Son école secondaire, Antoine-de-Saint-Exupéry à Montréal, est l’une des plus grosses au Québec, avec environ 3300 élèves. J’ai compris à quel point « ça roule » au quotidien dans un tel poste, lui ai-je dit.

« Ça roule, confirme-t-elle. Ça prend une bonne dose d’énergie. Tous comptent sur nous, il faut être capable de faire en sorte que tout fonctionne. »

Mais elle adore ça.

Je ne changerais pour rien au monde le métier que j’exerce. C’est la poursuite de ce qu’on faisait comme enseignants, mais à une plus grande échelle. C’est toujours le désir de la réussite de nos élèves qui nous anime.

Geneviève Dandurand, directrice de l’école Antoine-de-Saint-Exupéry

Pourtant, la campagne de pub dont je vous parle a été rendue nécessaire par la pénurie de directeurs et directrices d’école au Québec. Elle se manifeste surtout à l’extérieur de la métropole. À Montréal, ce sont les postes d’adjoints et d’adjointes à la direction qui suscitent moins d’enthousiasme.

Qu’est-ce qui se passe ?

Quelles sont les solutions à ce nouveau problème ?

C’est pour en discuter que je me suis assis pendant plus d’une heure avec Geneviève Dandurand, mais aussi avec la présidente de l’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire (AMDES), Kathleen Legault.

Les deux femmes, réunies pour l’occasion dans les locaux de ce regroupement – rue Fleury, tout près du boulevard Pie-IX –, sont bien placées pour analyser la situation des directions d’école. Ensemble, elles ont près de 40 ans d’expérience en la matière.

Premier frein à l’attractivité de leurs professions : le salaire.

Souvenons-nous que la Coalition avenir Québec a fait grimper la rémunération des enseignants du primaire et du secondaire au cours de son premier mandat. Ceux qui se retrouvent tout en haut de l’échelle gagnent maintenant un peu plus de 92 000 $.

C’était nécessaire. Mais ça a provoqué certains déséquilibres.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Kathleen Legault, présidente de l’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire

Le salaire d’entrée d’une direction adjointe, qu’elle soit dans une petite école ou une grande école, c’est 78 600 $. Et on encadre des enseignants qui peuvent gagner 92 000 $, voyez-vous qu’il y a comme un petit enjeu.

Kathleen Legault, présidente de l’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire

Et les enseignants ont en plus, actuellement, des options pour bonifier leur salaire. « Ils peuvent faire du remplacement quand il manque des gens, ils peuvent faire du tutorat, du mentorat », dit-elle.

Les deux femmes précisent toutefois que la désaffection à l’égard des postes de direction n’est pas uniquement une question de gros sous. Ce sont les conditions de travail qui sont trop souvent exaspérantes.

« Mon rôle, c’est la réussite éducative de mes élèves, mais je me trouve éloignée de ce rôle-là par toutes les autres tâches qu’on me demande de faire qui n’apportent rien pour la réussite de nos élèves concrètement, sur le plan pédagogique », affirme Geneviève Dandurand, qui est aussi vice-présidente de l’AMDES.

Quelles autres tâches ? La discussion s’anime. En un rien de temps, on m’offre plusieurs exemples. J’ai l’impression d’avoir déverrouillé une soupape avec ma question.

« Tous les types de questionnaires qu’on a sur l’entretien du bâtiment, sur certaines demandes en lien avec les aménagements », lance Geneviève Dandurand.

« La gestion de travaux majeurs », précise Kathleen Legault, qui était jusqu’à 2021 la directrice de l’école primaire St-Noël-Chabanel.

« Exactement, réplique Geneviève Dandurand. Les agrandissements, la rénovation, les travaux d’entretien des bâtiments… Je mets beaucoup de temps à planifier tout ça. C’est du temps que je ne mets pas avec mes équipes. »

Puis, le sujet de la bureaucratie liée à la reddition de comptes est mis sur le tapis. Geneviève Dandurand précise d’emblée qu’elle n’a rien contre le principe. C’est la façon de faire de Québec qui l’irrite.

Vous savez, des fois, il faut que je remplisse un formulaire de 25 pages pour recevoir une subvention de 5000 $ !

Geneviève Dandurand, directrice de l’école Antoine-de-Saint-Exupéry

Kathleen Legault connaît bien ce phénomène. Elle enchaîne rapidement avec des précisions.

« Ça vient généralement du Ministère. Ce sont des mesures dédiées qui ont un but bien précis. C’est un autre problème : la multiplication des mesures diverses. On n’a pas des budgets qu’on peut gérer en toute liberté. Nous, ce qu’on aime faire, c’est de travailler avec nos équipes pour prendre des décisions sur les priorités. Plus c’est cloisonné comme ça, plus ça devient compliqué de le faire. »

Cloisonné ? Un exemple saisissant qu’on me donne, c’est celui des activités parascolaires. Geneviève Dandurand avait une somme offerte par Québec pour emmener les enfants faire des sorties culturelles. Or, avec la pénurie de chauffeurs d’autobus, c’était impossible d’aller au théâtre comme prévu.

Son plan B : les artistes auraient pu se pointer à l’école.

« Mais les sous ne peuvent pas être utilisés pour ça : la troupe de théâtre ne peut pas venir à l’école, il faut que toi tu ailles à l’extérieur dans une salle de spectacle. Il y a toutes sortes de contraintes de cet ordre-là », raconte la directrice.

J’entends les doléances des acteurs du milieu de l’éducation depuis plusieurs années, et c’est loin d’être les premiers cas de microgestion du ministère de l’Éducation qu’on me raconte. C’est souvent, à mon sens, des démonstrations d’orgueil mal placé.

C’est aussi une terrible erreur de calcul, alors que les membres des directions des établissements, tout autant que les enseignants et autres professionnels, ont soif d’autonomie. Étant sur le terrain, ils sont presque toujours les mieux placés pour prendre des décisions.

Ils ont aussi, bien sûr, un avis éclairé sur les solutions pour remédier à leurs problèmes.

« Ça prend un soutien qui nous permet d’être dégagés de l’aspect administratif du travail, pour vraiment jouer notre rôle de leadership pédagogique. C’est ça qui nous nourrit. Remplir des rapports, ça ne nous nourrit pas beaucoup », dit Kathleen Legault.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Malgré la pénurie et les autres problèmes, Geneviève Dandurand et Kathleen Legault ont insisté plus d’une fois sur les bons coups et les succès de l’école publique. Il ne faut pas les occulter, préviennent-elles.

Je ne rendrais pas justice à la teneur de notre discussion si je ne précisais pas que les deux femmes ont insisté plus d’une fois sur les bons coups et les succès de l’école publique. Il ne faut pas les occulter, préviennent-elles.

« Ce n’est pas parce qu’il y a des pénuries de personnel qu’on ne réussit pas à maintenir nos écoles en bonne condition, avec des élèves qui peuvent y être heureux et des gens qui accompagnent nos élèves, assure Geneviève Dandurand. On n’en parle pas assez. Il y a des équipes qui travaillent très fort en ce moment pour faire en sorte que les élèves ne ressentent pas les effets de tout ce qu’on vit. »

Voilà, c’est dit !

Mais il ne faudrait pas occulter non plus les problèmes structurels qui rendent leurs tâches moins attrayantes qu’elles ne devraient l’être. Ni le fait que Québec aurait tout avantage à les régler au plus vite. Car pour ça, même de très, très bonnes pubs ne seront pas suffisantes.

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