Jusqu’ici, l’automne 2023 appartient aux employés de l’État québécois. Ils semblent effectivement avoir gagné le premier round de négociations du renouvellement des conventions collectives avec le gouvernement caquiste, alors que ce qu’on leur offre sur cinq ans couvre à peine l’inflation des deux dernières années. La population s’en rend bien compte, et les sondages menés par le Front commun syndical le montrent bien.

Il semble à peu près inévitable que la présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, bouge. Ça viendra, on ajoutera un petit point de pourcentage d’augmentation par-ci, par-là, dans les prochaines semaines, c’était presque écrit dans le ciel au-dessus du mont Royal, le 23 septembre dernier, lors de la grande manifestation du Front commun. Mais ça va prendre plus que ça. Depuis cette marche dans les rues du centre-ville de la métropole, toutefois, le gouvernement a en gros gagné du temps, en demandant l’élagage de certaines demandes aux tables sectorielles de négociation. Mais rien n’a encore bougé sur les salaires, rien n’a bougé dans le cœur du problème.

D’aucuns semblent dire que le gouvernement caquiste fait le pari suivant. Que les syndicats fassent la grève, que la population se tanne, et que l’opinion publique ne suive plus les employés de l’État.

Du côté des syndiqués, dont je suis, le pari me semble être le suivant. Que l’usure du pouvoir, qui commence tranquillement à gruger les chevilles du parti de François Legault, fasse boule de neige alors que les premiers flocons tomberont. Que la population, au lieu de se tanner des horaires compliqués en temps de grève, continue de les appuyer, parce que l’époque de l’appui stalinien à la CAQ, pendant la pandémie, est loin derrière nous.

Je n’ai jamais été adepte du jeu. Je me suis toujours tenu loin des casinos et autres soirées de bingo. C’est que je préfère quand on joue cartes sur table, et qu’on cesse de mener une nation, tout comme ses institutions, en naviguant une saison à la fois.

Les écoles et les hôpitaux sont des institutions dont tout le monde a besoin, très souvent, et j’aimerais espérer que nous voulons tous qu’ils soient des lieux bien financés, des oasis de vie bonne, et pas des lieux où on tente d’épargner quelques sous, en prétextant que l’argent serait mieux investi dans d’autres ministères, voire dans le salaire des ministres eux-mêmes.

Le Québec, faut-il rappeler, est une société riche. Nous avons le privilège de ne pas avoir à courir après nos cennes collectivement, et tout est question de savoir comment nous voulons gérer cette richesse. Est-ce en cherchant à créer plus de richesse matérielle, ou en voulant créer plus de richesse quant au sens de nos vies ?

Les écoles et les hôpitaux sont des institutions qui relèvent l’impossible défi de se frotter quotidiennement à la question du sens de la vie. La naissance, la mort, l’idéal d’une vie bien vécue, d’une vie réussie au-delà de la réussite économique, la compréhension d’un monde complexe en constante mutation. Le bien-être humain, quoi. Cela passe par une culture labourée ensemble, des laboratoires investis d’yeux curieux, aussi bien du côté du professeur que de celui des étudiants, et des salles d’urgence remplies de soignants passionnés, qui n’ont pas constamment hâte qu’on les traite dignement.

Entrer dans une école ou un hôpital, malgré le capital financier énorme qui doit y être investi, devrait nous faire presque oublier l’argent, parce que le but de ces institutions est tellement plus noble que ça. Seulement, pour arriver à cette noblesse, pour que le prof et l’infirmière ne pensent pas trop à leur chèque, il faut que le chèque soit bon.

Les offres salariales du gouvernement sont risibles. Elles disent en somme à quiconque voulant devenir prof ou soignant : veux-tu vraiment ça ? Tu y as bien pensé ? Il y a des moyens pas mal plus intéressants pour bien gagner sa vie. Et sur le long terme, avec toutes ces vies bien gagnées, mais insensées, on finira collectivement par se perdre.

J’invite la population du Québec, quand ça deviendra difficile, vers la mi-novembre, et que les syndicats risquent de déclencher cette fameuse grève générale illimitée, de continuer à appuyer le Front commun. Nous avons tous oublié les deux années de pandémie, et tant mieux, nous sommes ailleurs.

Mais sachons que si les écoles arrêtent cet automne, ce sera pour une noble cause, celle d’un monde qui fait sens, et que ça en vaut l’effort collectif, qui assurément fera plier le gouvernement bien plus vite qu’il n’a osé rouvrir les casinos.

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