Seuls 45 % des élèves qui fréquentent l’école secondaire Georges-Vanier, dans Villeray, vivent dans ce quartier. Dans le Plateau Mont-Royal, l’école Jeanne-Mance accueille seulement 55 % de jeunes qui habitent tout près. Les parents montréalais ne font pas que le choix du privé, ils boudent aussi leur école de quartier pour magasiner une école secondaire publique. Un « écrémage » dénoncé par deux chercheurs.

Au centre de services scolaire de Montréal (CSSDM), on aimerait endiguer le phénomène du « magasinage ».

« Ce qu’on veut, c’est qu’il y ait des programmes particuliers dans toutes les écoles pour éviter le magasinage, et c’est aussi une volonté du ministère de l’Éducation », dit Mathieu Desjardins, directeur du service de l’organisation scolaire. On voudrait voir moins de « mobilité » des élèves quand ils entrent au secondaire.

À cet égard, les chiffres fournis par le CSSDM à La Presse sont éloquents et montrent que tous les quartiers ne sont pas égaux.

Plus de huit élèves sur dix (85 %) qui fréquentent l’école Père-Marquette, dans Rosemont, habitent ce quartier. À quelques kilomètres de là, les jeunes qui vivent à proximité de l’école Georges-Vanier la désertent. Seuls 45 % des 1137 élèves sont du quartier Villeray. Le reste des jeunes sont soit dans un programme particulier, soit en classe spécialisée (en adaptation scolaire, par exemple) ou en classe d’accueil.

A contrario, l’école secondaire La Voie, dans Côte-des-Neiges, qui est fréquentée par des élèves provenant de 80 pays différents, est remplie à 97 % de jeunes du quartier.

Le magasinage : un effet « boule de neige » à certains endroits

Les portes ouvertes dans les écoles secondaires battent leur plein ces jours-ci et nombreuses sont les familles qui visitent plus d’une école avant de faire leur choix. Par un jeudi soir de la fin de septembre, Xavier est venu visiter l’école secondaire Joseph-François-Perrault, située dans le quartier Saint-Michel.

« Le programme en musique m’intéresse. Je joue du piano et je cherchais une école où je pourrais en apprendre plus », a expliqué Xavier.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Xavier et sa mère Geneviève Yale, durant la journée portes ouvertes à l’école Joseph-François-Perrault

Ce n’est toutefois pas son premier choix. S’il est accepté à l’école publique à vocation artistique FACE, dans le centre-ville, c’est là qu’il ira.

« J’en ai une plus vieille, ce n’est pas mon premier magasinage », dit sa mère, Geneviève Yale.

Elle estime que certaines écoles publiques offrent des programmes peu variés. Celle de son quartier, Georges-Vanier, propose du sport et des sciences. Pour la musique ou les arts, « tu n’as pas le choix d’aller à l’autre bout du monde », illustre-t-elle. À l’échelle de Montréal, ça signifie souvent qu’il faut changer de quartier.

Professeure au département de didactique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Isabelle Plante constate que le magasinage des écoles secondaires a « un effet boule de neige ».

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

La professeure au département de didactique de l’Université du Québec à Montréal Isabelle Plante

Les gens ne sentent plus que c’est un choix, ils le font par obligation. C’est un cercle vicieux. Ils voudraient que leurs enfants aillent à l’école de quartier, mais ils se disent : si tout le monde va ailleurs, qu’est-ce que je vais faire à envoyer mes enfants là ?

Isabelle Plante, professeure au département de didactique de l’Université du Québec à Montréal

Il y a quelques années, dans le cadre d’une étude, elle s’est penchée sur le passage de milliers d’élèves du primaire au secondaire. Des jeunes qui allaient au secondaire « régulier », dans un programme public sélectif ou au privé, à Joliette et à Saint-Hyacinthe.

« Il y a beaucoup plus d’élèves en trouble du comportement ou avec des comportements d’indiscipline dans des milieux publics réguliers », dit-elle. À un point tel qu’elle n’a pas pu comparer les milieux, parce qu’il n’y avait pas d’élèves « avec beaucoup de difficultés comportementales dans les milieux sélectifs ou privés ».

Il ne faut pas culpabiliser les parents qui magasinent une école secondaire pour leur enfant, dit Mme Plante. « Je dirais à n’importe qui : fais ce qui est le mieux pour ton enfant et arrête de te sentir coupable pour la société entière », dit Isabelle Plante.

Une sélection « trop précoce »

Professeur à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal, Pierre Canisius Kamanzi croit que c’est sur la sélection des élèves – au public comme au privé – qu’il faut se pencher.

La sélection des élèves au début du secondaire est trop « précoce », dit-il. « C’est dans ce sens que le gouvernement devrait agir », croit M. Kamanzi.

« On arrive au secondaire, on est déjà sélectionné, notre destin est décidé », dit le professeur, qui précise que cette sélection a moins d’effets quand elle se fait en 3e secondaire. « Il faut donner du temps », ajoute-t-il.

M. Kamanzi a publié il y a quelques années une étude qui a beaucoup fait réagir.

Il a notamment démontré que parmi les élèves qui fréquentent le public ordinaire au secondaire, à peine 15 % iront à l’université. Ce taux est de 51 % pour ceux qui sont allés au public sélectif et de 60 % chez les élèves qui ont fréquenté l’école privée.

La professeure Isabelle Plante dit que le réseau privé a créé une pression sur le milieu public. « Le public a réagi, et maintenant, le régulier, c’est le parent pauvre », poursuit la professeure, qui parle « d’écrémage » en raison de la sélection.

« On accepte, comme société, de payer pour un système qui est accessible uniquement pour une partie des élèves. Ce ne sont pas ceux qui le méritent : c’est à l’argent », dit Isabelle Plante.

Dans un monde idéal, dit Pierre Canisius Kamanzi, tout le monde irait à l’école secondaire de son quartier. « On prépare les élèves à vivre ensemble et ça commence au jeune âge, dans le quartier », dit M. Kamanzi.

Il s’agit aussi de valoriser l’école du quartier, une « institution publique ». « Si elle est fuie par les personnes pour lesquelles elle a été créée, il y a matière à réflexion. »

C’est aussi l’avis du syndicat qui représente les enseignants du CSSDM.

« Il va falloir rendre toutes les écoles publiques aussi attrayantes pour les élèves et qu’elles répondent à leurs besoins pour que le choix des parents soit naturel : d’aller vers l’école publique de quartier. C’est très riche, d’avoir une école de quartier, et on le voit au primaire », dit Catherine Beauvais-St-Pierre, présidente de l’Alliance des professeures et professeurs de Montréal.

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  • 30 %
    Proportion des élèves du primaire du Centre de services scolaire de Montréal qui vont à l’école privée au secondaire
    Source : CSSDM