Davantage de travailleurs de la construction seront formés plus rapidement dans les prochaines années, prévoit le budget déposé à Québec le 12 mars dernier. Or, sur le terrain, les conditions d’enseignement sont parfois approximatives, dénonce un syndicat.

D’ici deux ans, le gouvernement entend investir 111 millions pour accélérer la formation dans le domaine de la construction. Cette mesure, qui devait au départ être ponctuelle, est donc reconduite.

Déjà, 3600 personnes se sont inscrites aux formations de courte durée menant à une attestation d’études professionnelles (AEP) pour exercer les métiers de charpentier-menuisier, d’opérateur d’engins de chantier, de ferblantier ou de frigoriste. L’engouement a été tel que 47 000 demandes ont été reçues dans ces programmes de formation, qui sont assortis d’un incitatif financier de 750 $ par semaine.

La plupart des élèves ont commencé leur formation en janvier, et il est prévu qu’une nouvelle cohorte en charpenterie-menuiserie débute au printemps. Or, l’empressement avec lequel ces formations ont été montées se traduit dans les salles de classe, dit la Fédération autonome de l’enseignement (FAE).

« Les échos qu’on a sur le terrain, c’est que ça ne s’incarne pas de façon très heureuse en ce moment. Les infrastructures ne sont pas toutes disponibles, les gens ne sont pas tous bien installés pour recevoir les élèves », dit Mélanie Hubert, présidente de la FAE.

Elle s’inquiète que Québec prolonge ce programme alors qu’il en est encore aux « balbutiements » et que la formation est « plus ou moins adéquate ».

« Cafouillage »

Professeur et délégué syndical à l’École des métiers de la construction, Éric Girard dit qu’il a fallu mettre le programme en place « très, très rapidement », notamment en raison de la grève des enseignants affiliés à la FAE avant Noël.

« Quand on est arrivés, les locaux étaient mal adaptés, il y avait un manque de sécurité », explique M. Girard, qui cite des problèmes d’aspiration de la poussière, notamment.

C’était un peu le cafouillage, on manquait de place pour donner les cours, d’équipement.

Éric Girard, professeur et délégué syndical à l’École des métiers de la construction

Une consultation réalisée par la FAE auprès de ses membres a révélé qu’au début de l’implantation des nouveaux programmes menant à une AEP, il manquait d’enseignants dans le tiers d’entre eux.

« Parmi les profs trouvés, tous n’enseignent pas le diplôme d’études professionnelles associé normalement. Beaucoup de nouveau personnel enseignant a été engagé. Dans un cas, des enseignants d’une autre spécialité ont été engagés », lit-on dans un document produit par la FAE.

Les profs ont eu quelques semaines seulement pour raccourcir le programme d’études, dit Éric Girard. En charpenterie-menuiserie, « il a fallu couper des notions de calculs mathématiques, de plans et devis », illustre-t-il.

« Quand ils rentrent à l’école, la plupart des élèves n’ont jamais planté un clou de leur vie. On doit leur montrer toute la base, pour qu’ils puissent aller travailler sur des chantiers de construction. L’AEP baisse un peu les standards », dit M. Girard, qui se demande s’il n’aurait pas mieux valu valoriser le DEP.

Vice-président aux relations de travail à la FAE, Benoît Giguère dit craindre pour la sécurité sur les chantiers de construction si les gens sont formés trop rapidement.

Il y a des risques pour les travailleurs, mais aussi pour la population autour, il y a des risques d’effondrement. Dans le cas de la réfrigération, il y a des gaz qui passent dans les tuyaux.

Benoît Giguère, vice-président aux relations de travail à la FAE

L’« offensive de formation en construction », comme l’a appelée le gouvernement, portera-t-elle ses fruits ? Rien n’oblige les gens qui s’engagent dans des formations courtes à rester dans le domaine après.

Plusieurs élèves disent déjà qu’ils sont venus sur les bancs d’école pour faire des rénovations chez eux, ou encore pour profiter de l’argent offert par le gouvernement pour apprendre autre chose tout en conservant leur travail habituel, dit l’enseignant Éric Girard.

« Le taux qui ira sur les chantiers à la fin risque d’être très bas », prédit M. Girard.

C’est à la fin du mois de juin que cette première cohorte obtiendra son diplôme.